Ce qui devait arriver…

Ce qui était longtemps annoncé et redouté est finalement arrivé. Jeudi dernier à Mare Longue, deux pèlerins participant au pèlerinage de Maha Shivaratree sont morts, leur kanwar ayant pris feu après avoir heurté un pylône électrique. Cet accident tragique, qui a fait plusieurs autres blessés, est la conséquence d’une transformation, au fil des années, d’un pèlerinage religieux en une espèce de compétition pour certains. À l’origine, les kanwars étaient des arches simples, faits dans du bois léger — l’aloes ? — entourés de papier “cerf-volant” blanc, décorés de petits miroirs ronds bougeant au rythme de la marche du pèlerin. Des Mauriciens de toutes les confessions se mettaient sur le bord de la route pour admirer le défilé des kanwars et encourager les pèlerins dans leur démarche religieuse. Au fur et à mesure, les simples kanwars se sont transformés en chars de toutes les couleurs, de plus en plus volumineux, de plus en plus hauts. Les mantras et les chants pieux qu’entonnaient les pèlerins ont été, dans certains cas, remplacés par une cassette branchée sur un petit haut-parleur, puis par de véritables systèmes de sonorisation diffusant des musiques et des chants qui, parfois, pouvaient faire penser à l’ambiance d’une discothèque où le son est poussé à fond. Petit à petit, une tendance à la compétition s’est glissée dans le pèlerinage avant de s’imposer. Certains se sont mis à construire des kanwars de plus en plus impressionnants, mais aussi de plus en plus volumineux en largeur et en hauteur. Alors qu’autrefois il fallait deux ou trois pèlerins pour porter un kanwar traditionnel, les derniers modèles nécessitaient des dizaines de porteurs et il fallait souvent utiliser, en plus, une camionnette ou carrément un camion pour le transport. La dimension de certains kanwars a commencé à provoquer des ralentissements sur les routes empruntées pour le pèlerinage et de longs embouteillages dans les centres-villes. Le sentiment d’admiration et d’encouragement d’avant s’est, petit à petit, transformé en agacement puis carrément en énervement, avant de passer à la colère dans les embouteillages. Plus encore quand, au milieu de la nuit, un groupe portant un kanwar décide soudainement de pousser à fond la sonorisation, obligeant ceux sur leur passage à subir le concert improvisé. Concert dont la musique n’avait souvent rien de religieux.

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Les rares critiques contre le pèlerinage qui prenait parfois, en raison de ce qui précède, des allures de carnaval, étaient mal prises. Ou plutôt cataloguées, comme c’est souvent le cas à Maurice, pour un commentaire communaliste, voire raciste. Un journaliste qui avait osé s’étonner des tee-shirts avec nom du donateur — souvent un politicien — et des banderoles avec logo d’entreprise qui donnaient des allures de fête commerciale au pèlerinage fut menacé. Ces menaces furent proférées par trois ministres intervenant en direct sur les ondes de la MBC, depuis Grand-Basin. Depuis, certains kanwars ont continué à être développés en largeur et en hauteur, et les systèmes de sonorisation qui les accompagnent ont augmenté leur capacité en décibels. Ces kanwars sont tellement hauts qu’ils touchent les fils électriques qui traversent les routes, ce qui oblige un des pèlerins à porter une gaule servant à soulever les fils électriques pour permettre au kanwar de passer. C’est parce qu’un kanwar a heurté un pylône électrique et a pris feu que, jeudi dernier, deux pèlerins sont morts et d’autres ont été blessés à Mare Longue. Si des mesures avaient été prises pour réglementer les dimensions des kanwars afin qu’ils ne gênent pas la circulation routière, afin qu’ils ne heurtent pas les fils électriques, l’accident ne se serait pas produit. Si la police avait fait respecter la toute nouvelle loi sur la pollution sonore, des centaines de Mauriciens habitants sur le parcours du pèlerinage n’auraient pas sursauté, nuit et jour, pour subir des concerts. Ce n’est qu’après l’accident que les responsables ont commencé à dire que certains kanwars sont trop volumineux et leurs sonorisations trop bruyantes. Espérons que le tragique accident qui a fait deux morts et des blessés à Mare Longue aura servi de leçon et mettra fin à cette compétition entre kanwars et redonnera à Maha Shivaratree toute sa dimension spirituelle. Un signe encourageant, en ce sens, a été enregistré ce samedi matin : dans certaines régions du pays, le retour des kanwars aux temples s’est fait uniquement avec des chants religieux chantés par les pèlerins, sans amplificateurs ni sonorisation.

Comme à l’origine.

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