Eh bien dansons maintenant !

Oui, l’année 2022 a été rude.
Scandales à répétition, effritement de nos institutions et de notre démocratie, l’affaire Kistnen, Sniffgate, arrestations d’opposants, meurtres, remise en cause grandissante de l’indépendance de notre police, dégradations environnementales, démonétisation galopante de notre personnel politique de tous bords, cherté grandissante de la vie.
Oui, l’année 2022 a été rude.
Et l’année 2023 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices.
Mais il n’y a pas que cela.
Cette année 2022 nous a aussi offert des raisons d’espérer.
Et ces raisons viennent d’initiatives individuelles et solidaires qui méritent d’être soulignées. Parce qu’elles donnent le ton d’une volonté de construire autrement.
Cette volonté se cristallise de fort belle manière avec, en premier lieu, le groupe Abaim. En cette période festive, la diffusion de leur album Enn nwel larkansiel renvoie au fait que cette année, leur chanson «Ti Marmit», figurant sur l’album 16 ti morso nou lanfans, fête ses 20 ans.
Sorti en octobre 2002, cet album regroupant 13 comptines-chansons, a marqué l’explosion populaire d’Abaim. Partout, à travers l’île et au-delà, des centaines de milliers de personnes ont repris le fameux « Ti Marmit », qui remettait au goût du jour en le modernisant ce que notre patrimoine offre de plus riche et fédérateur.
Abaim n’est toutefois pas née avec ce succès. Depuis 1982, patiemment, cette association créée à l’initiative des magnifiques Marousia Bouvery et Alain Muneean a commencé par œuvrer au niveau des Droits des personnes aveugles et malvoyantes. Au-delà, c’est une lutte inlassable et construite contre la pauvreté et les injustices sociales que mène le groupe. D’où la volonté, rapidement, de travailler, à la base, avec les enfants.
C’est ainsi qu’Abaim met en place, en 1995, le projet « Saturday Care » à Barkly, Beau Bassin. Avec pour objectif de faire avancer le droit des enfants à jouer, à s’exprimer, à bénéficier d’une éducation intégrée, à connaître leur culture et s’épanouir à travers elle. C’est tout naturellement que ce projet s’oriente vers la musique, avec la pratique de la ravanne et autres instruments typiques, avec la découverte et re-création des comptines traditionnelles, souvent en voie de disparition.
Les choses avancent, grandissent et débouchent sur un grand spectacle au Plaza. Du succès de ce spectacle va naître la décision de faire l’album 16 ti morso nou lanfans. Le jour prévu pour la sortie, le 11 octobre 2002, toutes les cassettes, puisque c’est ainsi que sort l’album à ce moment-là, sont déjà vendues. A ce jour, plus de 40 000 cassettes et 10 000 CD ont été écoulés. Un album qui est devenu un véritable phénomène social, qui va valoir à l’association la reconnaissance internationale de l’UNESCO.
Car Abaim, c’est une magnifique aventure collective et solidaire, qui a fait et continue de faire la différence dans la vie de milliers d’enfants, de jeunes, et de familles. De même qu’au niveau de la mémoire collective et de la culture mauricienne, avec la reconnaissance du créole au niveau de l’éducation et de la construction de notre identité.
Au-delà d’un album, les « Ti Marmit » ont fait leur chemin dans la vie. Lorsque tout le monde reprend en cœur « Aurélie, Aurélie, Aurélie konn pik séga », c’est à une vraie personne, une jeune membre d’Abaim, que cela fait référence. Aujourd’hui Aurélie a grandi, et elle fait partie, comme Estelle et d’autres, des jeunes adultes qui continuent à accompagner le chemin d’autres enfants comme celle qu’elle fut. Pour qu’ils puissent, selon la pédagogie novatrice mise en place par Abaim, s’instruire, faire vivre des valeurs communes et avancer en y prenant plaisir.
Le projet Saturday Care de Barkly est un tel succès qu’il a été suivi par d’autres antennes mises en place à Grand Baie et au Morne.
Pour marquer les 20 ans de 16 ti morso nou lanfans, Abaim a décidé de lancer un appel à tous les artistes volontaires pour revisiter les 16 comptines-chansons de l’album. De nombreux artistes d’ici et d’ailleurs ont déjà répondu à cet appel lancé en octobre dernier, et ont jusqu’à mars 2023 pour se manifester.
Il y a Abaim. Et puis il y a aussi Lakaz Flambwayan lancée par Malenn Oodiah et Adi Teelock, qui vient de fêter ses deux ans. A Médine, un espace entièrement gratuit et solidaire, qui se développe graduellement, autour de pratiques artistiques diverses: expos, concerts, débats, plantation. Et qui fait fleurir de bien jolies initiatives et réalisations auprès notamment de personnes qui ne disposaient pas jusqu’ici d’un lieu culturel pour s’exprimer.
Il y a encore, à Beau Bassin, le Jardin Colibri créé l’an dernier par Mario Jolicoeur suite à la mort de sa femme Mary. Lui se réclame directement de Pierre Rabhi. Cet homme né aux portes du Sahara algérien en 1938, considéré comme un des pionniers en France de l’agroécologie, une pratique agricole qui vise à régénérer le milieu naturel en excluant pesticides et engrais chimiques.
Le parcours de Pierre Rabhi est parlant : d’abord petit employé de banque, puis ouvrier, travailleur immigré confronté au racisme et aux paradoxes de l’univers urbain, il décide un jour de quitter ces milieux étouffants et d’expérimenter d’autres façons de vivre, avec un retour à la terre, en accord avec la nature. Avec sa famille, il s’installe dans une petite ferme en Ardèche où il concrétise ce rêve. Fort de son expertise concrète, il va lancer, en France, en Afrique sahélienne et au Maghreb, des initiatives pour « contribuer à l’autonomie, la sécurité et la salubrité alimentaires des populations ». Il œuvre ainsi, pendant près de soixante ans, au développement de l’agroécologie à travers le monde, accompagnant cette expérience de conférences et d’une trentaine de livres.
Il est par ailleurs connu pour avoir fondé les Maisons Colibri. Se basant sur une légende qui raconte qu’un jour, face à un immense incendie de forêt, les animaux observaient le désastre, atterrés et impuissants. Seul un petit colibri s’activait, ramenant de l’eau dans son bec pour jeter sur le feu. Agacé par cette agitation qu’il considère inutile et dérisoire, le tatou finit par interpeller le colibri. Qui lui répond qu’il sait que ce n’est pas avec ces quelques gouttes d’eau qu’il éteindra le feu, mais qu’il fait sa part. Une parabole qui signifie que plutôt que de rester inactif face aux problèmes actuels, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux et environnementaux, chacun peut choisir de tenter d’agir à son niveau. Et qui, face aux défaitistes ou cyniques, réaffirme le réalisme de ce que peut la somme d’efforts individuels.
C’est encore vers cela que va The Primitive Lounge de Gaël Soupe. Une expérience de permaculture, mais bien plus. Bien avant l’électrochoc du Covid, alors que le retour à la terre n’était pas encore « trendy », lui l’avait décidé. Créer un lieu de vie intégré, permettant de vivre en accord avec ses valeurs profondes, en développant l’autonomie, notamment alimentaire, mais aussi la coopération. Une entreprise palpitante, riche d’enseignements et d’idées nouvelles.
Pour tous ceux-là, l’aventure n’est pas toujours facile.
Mais elle est éminemment porteuse et inspirante.
Elle prouve que d’autres façons de faire les choses sont possibles, dans l’accord avec les autres et avec la nature. Elle montre que l’on peut aspirer à grandir ensemble.
Alors avec eux, pour l’heure, dansons sur l’air joyeux que ce pays peut aussi produire. Parce que comme le colibri, les fourmis, laborieuses, patientes et déterminées, peuvent, elles aussi, se permettre parfois de chanter…

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