Triomphe en trompe-l’oeil

Oui, le jugement final des Law Lords dans l’affaire de bribe électoral porté par le travailliste Suren Dayal sonne comme un soulagement pour Pravind Jugnauth, le Premier ministre, qui détient un impressionnant record d’ennuis judiciaires. Il est par ailleurs vain, inutile et trop tard pour regretter une action que beaucoup d’initiés et d’habitués du Privy Council qui avaient prévu le dénouement après un examen minutieux des observations de la Cour suprême mauricienne.
Ce qui est dommage dans toute cette affaire, c’est que les deux cours de justice décisionnelles n’aient pas posé de questions sur le caractère désuet de nos lois électorales et l’urgence de les actualiser. Ce n’était, certes, pas dans le champ de leurs compétences, mais l’on a connu des juges plus audacieux qui ne se sont pas privés pour dire le fonds de leur pensée sur la pertinence de certaines lois datant de plus de 40 ans et qui n’ont rien de compatibles à l’ère de l’intelligence artificielle.
Cela dit, les jubilations du 16 octobre parmi les affidés du Sun Trust, pour compréhensibles et légitimes qu’elles puissent être, n’ont en rien occulté toutes les difficultés du quotidien auxquelles est confronté un grand nombre de Mauriciens.
C’est un triomphe en trompe-l’œil. Parce que tout est à refaire pour, ne serait-ce que consolider les 37% de 2019 et tenter de les faire progresser. Lorsqu’on sait que le MSM a eu peur d’affronter la moitié des électeurs de ce pays et qu’il a renvoyé les municipales, cela ne peut que donner à réfléchir.
C’est Jean Claude de l’Estrac, vieux routier de la politique comme des médias qui, sur une radio privée, lundi dernier, réagissant à chaud, opinait que la parenthèse enchantée ne durerait pas, et que, pour ne pas changer, un événement en tuerait un autre et que la décision finale les Law Lords tomberait bien vite dans les oubliettes. Effectivement, le slogan « enn eleksion de viktwar » n’aura sans doute été que la célébration d’un après-midi.
Jugement favorable ou pas, les Mauriciens constatent avec effroi que l’Assemblée nationale a été complètement polluée par un nominé politique qui sert de bouclier au Premier ministre et à son gouvernement. La présente législature enregistre son record d’expulsions et de suspensions. Une situation déjà dénoncée auprès des associations de parlementaires internationales.
Les plus désabusés diront que les torts sont partagés, mais ils devraient quand même se poser la question de savoir pourquoi les mêmes députés, arbitrairement renvoyés, ne l’étaient pas lorsque l’agent politique de Pravind Jugnauth n’était pas au perchoir.
Et que l’on aime ou pas, qu’on apprécie ou pas l’opposition parlementaire, c’est à elle que l’on doit la révélation du projet fou de Sooroojdev Phokeer de faire l’État débourser Rs 30 millions pour l’acquisition d’une résidence à Floréal pour le loger. Il a, finalement, été mis au placard. Si l’opposition n’avait pas donné l’alerte, les contribuables auraient été mis devant le fait accompli. Ils auraient constaté que le chef agent du MSM au N°10 aux dernières élections générales se lovait et se la coulait douce dans les hautes Plaines Wilhems.
Jugement ou pas, les Mauriciens découvrent ou redécouvrent que le népotisme, le favoritisme et le placement des petits copains se pratiquent toujours avec une rare désinvolture, voire avec un brin de provocation. Ils ont découvert avec stupeur qu’un maire, Hans Marguerite, qui n’a pas particulièrement brillé à Curepipe, pouvait bénéficier d’un poste important assorti d’un salaire à faire pâlir même des managers du privé. Ce n’est pas les diplômes ou absence de qualifications du nouveau directeur qui posent problème, mais ses aptitudes pour se charger de la lutte contre l’extrême pauvreté qui est encore trop répandue chez nous. Quels sont ses hauts faits dans ce domaine ?
C’est cette mentalité de « gouvernma dan nou lame » et du syndrome de « ou kone ki mwa ? » qui avait, d’ailleurs, poussé Hans Marguerite à aller récupérer son fils au poste de police de Curepipe après l’interpellation de ce dernier pour vagabondage. Il avait, en juillet de l’année dernière, copieusement injurié des policiers à la gare Ian Palach, non sans avoir mis en avant son patronyme et ses liens de parenté avec celui qui était alors le maire de la ville.
Jugement ou pas, les Mauriciens continuent de subir des augmentations qui ne sont absolument pas justifiées. La roupie qui se déprécie vis-à-vis du dollar et de l’euro, pour doper les chiffres des exportations et les recettes du tourisme, c’est ce que brandissent les détaillants pour expliquer les prix qui sont restés à la hausse depuis deux ans. Par contre, lorsque l’euro baisse de manière sensible et que le dollar se replie, aucune répercussion dans les boutiques et les supermarchés. Et ce n’est pas les virées médiatiques, finalement stériles et de peu d’effet concret, de la ministre du Commerce qui changent quoi que ce soit pour le panier des ménages.
Nos compatriotes qui éprouvent des difficultés pour s’approvisionner en eau n’ont, eux, que faire du « enn eleksion de viktwar ». Ils se souviennent de la promesse solennelle faite en octobre 2014 de leur fournir l’eau sur la base du 24/7. Près de dix ans après, c’est le même refrain à la période sèche d’octobre-novembre. Les pertes d’eau sont toujours aussi conséquentes, les projets comme celui du barrage de Rivière des Anguilles, ressassé dans chaque budget annuel, sont devenus de risibles arlésiennes. La priorité depuis 2014 étant de tout bétonner, de massacrer le patrimoine et de dépenser des milliards sur des extensions de la ligne du tramway qui ne sont absolument pas indispensables.
Au-delà d’un jugement sans effet pour le commun des Mauriciens, on pourrait continuer ainsi l’inventaire de tout ce qui reste à faire pour freiner : la faillite de l’éducation et de la petite enfance avec ses crèches devenues mouroirs, les scandales de la Santé et les fatalités routières en hausse. Voilà ce qui devrait peser sur le jugement final, celui des urnes.

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JOSIE LEBRASSE

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