Joanna Bérenger : « Je n’ai pas l’ambition de succéder à Paul Bérenger à la tête du MMM ! »

Notre invitée de ce dimanche est la députée du MMM dans la circonscription Numéro 16, Joanna Bérenger. Elle a répondu à nos questions sur son engagement politique, les attaques dont elle est régulièrement l’objet parce qu’elle est la fille du leader du MMM, et sur des sujets d’actualité.

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Qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager dans la politique active ?

— En 2010, j’étais en train d’étudier en France et je suis revenue, sans prévenir, pour donner un coup de main au MMM, qui se présentait seul aux élections de cette année. Je considérais que c’était important de le faire et je me suis totalement investie dans la campagne sur le terrain. Ma conscience politique s’est développée et, par la suite, j’ai choisi d’intégrer les instances du parti pour apporter ma contribution pour transformer le pays, en suivant les étapes : branche, régional, aile jeune, Comité central en 2018. En 2019, mon régional m’a désignée comme candidate au Numéro 16 et j’ai été élue.

Si vous insistez sur les procédures suivies, c’est pour souligner que vous n’avez pas eu un ticket parce vous êtes la fille de Paul Bérenger, le leader du MMM ?

— J’insiste sur le fait qu’au MMM, les instances sont régulièrement renouvelées par un vote démocratique et que donc le leader et les membres de la direction sont choisis par les militants. Cela dit, je précise que je n’ai ni l’ambition ni l’intention de succéder à Paul Bérenger comme leader du MMM, mais vu que nous portons le même nom, je suis sujette à un procès d’intention permanent. Surtout de la part de nos adversaires politiques.

Est-il facile de se faire un prénom au MMM, et dans la politique mauricienne, quand on est la fille de Paul Bérenger ?

— Ça se fait naturellement au MMM, les militants ayant appris à me connaître et à me faire confiance en sachant que je suis attachée aux valeurs de la démocratie et de la méritocratie. On sait que Paul Bérenger est opposé à la politique de « papa-piti ». On sait également qu’au MSM, le fils a été mis sur le trône par son papa. Chez nous, au MMM, on ne fonctionne pas comme ça.

Vous êtes dans une situation compliquée puisque vous bénéficiez, d’une part, du soutien des partisans de votre père et, de l’autre, des attaques, souvent virulentes, de ses adversaires. On peut dire que l’héritage est lourd ?

— On peut le dire. Mais avec le patronyme, j’ai hérité des valeurs qui vont avec, ce qui me donne la force et le courage d’affronter les adversaires, dont j’ai également hérité.

l Vous n’avez pas l’intention de prendre la place de Paul Bérenger à la direction MMM. Quelle est votre ambition politique ?

— Je me suis engagée en politique pour apporter ma contribution à l’avancement de mon pays, en participant à une culture du débat qui existe, depuis toujours, au MMM. Je ne suis pas sûre que ce soit le cas au sein des autres partis politiques.

Est célébrée, ce vendredi, la Journée internationale contre la violence à l’égard des femmes. Avez-vous le sentiment qu’à Maurice les femmes politiques sont bien moins traitées que leurs collègues masculins ?

— À Maurice, les portes pour que les femmes fassent de la politique ne sont pas fermées: ce sont les mentalités qui le sont.

 Même au MMM ?

— Je parle de manière générale. Les conditions ne sont pas favorables à l’épanouissement des femmes en politique à Maurice. Il y a encore beaucoup de changements à apporter pour que davantage de Mauriciennes soient encouragées à intégrer le monde politique. Des efforts sont faits, mais tout ça est bien lent, à mon avis. Il faut lier Droits des femmes et écoféminisme pour pouvoir changer les choses. Pour moi, la lutte pour une meilleure planète et la lutte pour l’émancipation des femmes sont inséparables.

 Vous avez abordé l’écologie, continuons dans cette voie. Que pensez-vous de la COP27, qui ne semble pas avoir adopté des solutions concrètes pour faire face à la situation mondiale ?

— C’est un événement qu’il faut saluer, dans la mesure où il parvient à regrouper des centaines de chefs d’État autour de l’écologie. Malheureusement, l’objectif de 1,5°C a été déjà dépassé par les plus gros États pollueurs de la planète. Mais ce forum est important pour permettre aux petits États de faire entendre leur voix, pour demander des compensations, et il y a des fonds prévus à cet effet. J’aimerais ramener le sujet à Maurice et dire que c’est au gouvernement d’utiliser judicieusement les fonds de compensation.

Est-ce que le Mauricien a conscience de la gravité du réchauffement de la planète sur son quotidien ?

— Je crois que les Mauriciens sont actuellement concentrés sur leur survie économique, avec un pouvoir d’achat qui diminue et les prix, dont ceux des carburants, qui sont en hausse. C’est pourquoi il faut continuer à parler de l’écologie, à faire prendre conscience de la gravité de la situation parce que, comme l’a fort justement déclaré le secrétaire général des Nations Unies à la COP27, il faut décider de la survie ou du suicide collectif de l’humanité. Les catastrophes naturelles et écologiques se multiplient à travers le monde et même à Maurice, où nous commençons à souffrir de la sécheresse.

 Pourrait-on qualifier l’incendie qui, depuis le début de la semaine, sévit à Mare Chicose, la principale décharge d’ordures du pays, de catastrophe naturelle et écologique ?

— Définitivement! Je trouve qu’il est irresponsable et catastrophique que jusqu’aujourd’hui, vendredi, le gouvernement n’ait pas pris ses responsabilités pour communiquer sur cet incendie. Un chef pompier a déclaré que cet incendie ne représentait aucun danger. C’était pareil pour le Wakashio : il y avait plein de photos sur les réseaux sociaux qui montraient les fissures et l’huile qui commençait à couler du bateau et il n’y avait aucune communication officielle du gouvernement. Il a fallu que les Mauriciens se mobilisent et prennent les choses en main pour que les autorités se réveillent. Dans le cas de Mare Chicose, le gouvernement est en train de faire la même chose. On entend dire qu’il n’y a aucun danger avec la quantité de gaz toxique qui se dégage des ordures brûlées et qui est en train de se répandre dans l’air ! Il faut de la transparence de la part des politiciens.

Vous êtes, paraît-il, une grande utilisatrice des réseaux sociaux…

— Je vis avec mon temps et j’utilise les moyens qui sont à ma disposition pour communiquer et alerter sur certains sujets qui me préoccupent. C’est un moyen pour moi de garder le contact avec mes mandants en excluant, bien sûr le côté négatif des réseaux sociaux : les trolls, les insultes et les critiques négatives…

Dont vous avez été la victime avec le post « manz bondie, kaka diab ». Avec le recul, regrettez-vous d’avoir publié ce post qui a suscité une énorme polémique ?

— Non. J’ai grandi au contact de plusieurs cultures, de plusieurs religions pour qui j’ai un profond respect. Ce post a fait polémique comme beaucoup de mes prises de position qui s’inscrivent dans la ligne et les valeurs du MMM qui s’enracinent dans la philosophie des lumières. Ce qui est dangereux dans ce genre de situation, ce sont les partis politiques, en l’occurrence le MSM, qui font appel aux instincts primaires pour utiliser et attiser la haine raciale. C’est dans ce but que ce post a détourné.

Êtes-vous consciente que les dissensions qui existent entre les partis de l’opposition qui n’arrivent pas à s’entendre font le jeu et la campagne de Pravind Jugnauth et du MSM pour les prochaines élections ?

— Je suis consciente que les discussions pour une alliance sont longues et que les Mauriciens puissent perdre patience. Mais c’est justement pour qu’on puisse arriver à un accord solide que ces discussions prennent du temps. Il ne serait pas correct de donner de l’espoir aux Mauriciens sur un accord bâclé qui pourrait ne pas tenir la route. Il faut tomber d’accord sur des points précis qui vont nous permettre d’apporter un changement en profondeur. Oui, ça prend du temps…

Trop de temps ?

— Ça prendra le temps qu’il faudra pour un accord solide. Au vu de la situation catastrophique du pays et des abus de toutes sortes du gouvernement, je suis confiante que les dirigeants des partis de l’opposition sauront trouver un accord correct.

Reza Uteem, président du MMM, nous disait qu’il existe actuellement trois tendances au MMM pour une alliance électorale : (i) aller aux élections avec les partis d’opposition (ii) aller avec une réunification de la grande famille militante, dont le MSM, ou (iii) que le MMM aille seul aux élections. Laquelle de ces tendances a votre préférence ?

— Je me situe dans la tendance qui souhaite qu’on apporte une alternative crédible aux Mauriciens dans le cadre d’une réunification des partis d’opposition. C’est la seule façon de répondre à cette situation historique négative créée par le MSM. C’est la première fois que les partis d’opposition arrivent à se réunir, à discuter pour trouver un accord, et je pense que c’est une bonne chose.

Que pensez-vous de l’arrestation de Bruneau Laurette, qui se situe dans l’opposition et veut débarrasser le pays du gouvernement MSM ?

— C’est ce qu’il disait au départ avant de commencer à critiquer et taper, très agressivement, sur les partis de l’opposition. Je regrette qu’il n’ait pas réalisé qu’en faisant cela, il faisait le jeu du MSM. Concernant son arrestation par la police, je suis incapable de me prononcer en l’absence d’informations concrètes.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’il a été arrêté il y a trois semaines et que, depuis, la police n’a pas été en mesure d’apporter des preuves justifiant cette arrestation…

— Le rapport de la magistrate sur l’affaire Kistnen en disait déjà long sur les pratiques de la police. Dans le cas de Bruneau Laurette, j’ai lu que la police ne respecte pas ses engagements, et c’est bien regrettable, parce que ça contribue à l’image négative de la police. C’est dangereux quand une population perd confiance dans l’institution qui est censée la protéger et faire respecter l’ordre. Mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, car il y a des policiers qui font bien leur travail et il faut le souligner.

Quel est votre sentiment sur la polémique à propos du (dys)fonctionnement du shelter L’Oiseau du Paradis, géré par le gouvernement ?

— L’attitude du Premier ministre au Parlement dans cette affaire a été exécrable. Il n’a rien trouvé de mieux que de révéler des détails inutiles, de donner l’adresse de la maman en question et de porter un jugement moral sur sa vie, ce qui n’était pas son rôle. Une semaine avant, la ministre du Genre n’avait pas hésité à mettre le tort sur la maman, alors que le bébé était dans un établissement sous sa responsabilité ministérielle ! Cette maman, cette femme, avait besoin d’être aidée, pas d’un procès en moralité institué par la ministre et repris par le Premier ministre.

Que pensez-vous de la performance de la ministre du Genre ?

— Ma réponse est simple : j’ai demandé sa démission sur les réseaux sociaux parce que je trouve inacceptable qu’au lieu de défendre cette femme, ce qui est son devoir, elle est venue au contraire l’accuser sans même savoir s’il y avait eu abandon d’enfant. Mme Shah a mis à terre une femme qui était déjà à genoux et en tant que ministre de la Femme, c’est inacceptable. Cette femme est une personne vulnérable qui aurait dû être aidée, pas écrasée par la ministre qui, le même jour au Parlement, a déclaré sur le Dangerous Drugs Bill que les drogués doivent être considérés comme des victimes. En venant mettre le tort sur la maman, la ministre a reconnu la faillite totale de nos institutions dans le combat contre la pauvreté, la drogue et la réhabilitation des victimes de la drogue.

Est-ce qu’il existe, across the floor, une solidarité féminine entre les quelques éléments féminins au Parlement ?

— Certainement pas! Il existe une solidarité forte entre députées de l’opposition. Mais si vous suivez les débats, vous avez dû noter que les députées de l’opposition sont souvent les cibles des élues de la majorité. Je vous laisse juger sur la teneur des discours des élues de la majorité sur celles de l’opposition.

 Puisque nous parlons du Parlement, un mot sur la « performance » du Speaker et sa manière très particulière de « gérer » les débats ?

— Je regrette que pour mon premier mandat de députée, je doive faire face à un Speaker qui bafoue notre démocratie et rabaisse notre Parlement.

Arrivons-en maintenant à la dernière polémique dont vous êtes le sujet. Est-il vrai que cette prise de bec entre le leader du MMM et un de ses nombreux adjoints a été provoquée par votre manière d’entrer dans les affaires des régionaux ?

— Je crois que je vais respecter la ligne du parti qui dit que les discussions du BP ne doivent pas être étalées en public. (*)

 Est-ce que vous vous rendez compte que cette ligne est totalement dépassée pour un parti qui exige la transparence du gouvernement ?

— C’est sain pour le parti d’avoir des discussions dont les conclusions peuvent être révélées au public, pas les discussions internes qui y conduisent. Chez nous, les altercations sont fréquentes et saines, et permettent de faire vivre la culture du débat au MMM.

Est-il vrai que vous avez tendance à vous comporter comme la fille du leader, comme l’héritière qui a le droit de se mêler de tout et mettre son nez partout ?

— Le BP discute des choses qui se passent dans le parti en général, les membres du CC discutent de ce qui se passe dans les circonscriptions et régionaux. Cela étant, j’aimerais, en revenant au fait que je suis une cible du MSM à cause de mon patronyme, faire un point. Est-ce que parce que je porte le nom qui est le mien, je devrais avoir moins le droit de m’exprimer sur ce qui se passe dans les régionaux du MMM comme n’importe quel membre du BP ? Ces histoires de mettre mon nez partout, de m’ingérer dans des choses qui ne me regardent et les « dérives dynastiques » sont des attaques faites par ceux qui quittent le MMM et dont les démissions sont orchestrées par le MSM. C’est dans la même ligne que le procès d’intention que me fait le MSM et que l’on retrouve dans une certaine presse.

 Qu’entendez-vous par une certaine presse, une phrase utilisée par tous les politiciens quand ils ne sont pas d’accord avec un journaliste et un journal ?!

— Je me fais un point d’honneur de ne pas mettre tout le monde, tous les journaux dans le même panier. Je laisse le soin au citoyen conscient et informé de juger par lui-même de ce qui est publié. Je voudrais aussi dire que j’ai noué des amitiés solides avec des militants de tous âges et tous horizons, et que la culture du débat, des discussions franches et le soutien mutuel sont pour moi source de grande satisfaction. Et je plains ceux qui ne peuvent concevoir l’action politique que par les rapports de forces, les clans et les coups bas.

Cette manière de concevoir la politique existe au MMM ?

—…

C’est ça la liberté d’expression et la transparence que vous prônez ?

— La liberté d’expression et la transparence, je la vis au sein de mon parti et, je le pense, à travers les réponses que j’ai données à vos questions.

Permettez-moi alors de vous reposer celle à laquelle vous n’avez pas répondu. Est-ce que cette manière de faire la politique que vous réprouvez existe au MMM ?

— (silence) Je crois qu’elle existe dans le monde politique d’aujourd’hui en général.

Nous sommes arrivés à la fin de 2022. Que faudrait-il souhaiter pour l’année prochaine ?

— Je pense qu’il est important d’avoir une réflexion au-delà de 2024 et des élections. Pour rassurer les jeunes qui, ces derniers temps, quittent le pays, et c’est grave. Il faut leur donner confiance dans l’avenir, leur faire comprendre qu’ils ont leur place dans le pays. L’échéance électorale répond à la politique, mais ne devrait pas devenir la pensée politique. Il faut proposer à ces jeunes un projet, une vision pour qu’ils s’engagent dans la politique. Aujourd’hui, pour répondre aux impératifs économiques, sociaux et environnementaux, il est primordial de diminuer notre dépendance aux importations, de veiller à la conversion énergétique, d’ouvrir de nouveaux secteurs en consolidant ceux qui ont fait leurs preuves. Tout ça passe, pour moi, à travers trois axes principaux : l’indépendance énergétique en gérant les besoins de consommation ; la sécurité alimentaire et l’aspect sécuritaire avec, en plus des acteurs traditionnels, l’arrivée de la Chine et le repositionnement de l’Inde dans la région, en tenant en ligne de compte que Maurice est un point de passage important pour le transport des marchandises dans notre univers mondialisé.

 Je ne sais pas si c’est un compliment, mais vous ressemblez terriblement à votre père avec cette manière de développer les sujets. Vous disiez qu’il faut inciter les jeunes à s’engager en politique pour la changer. Vous croyez qu’ils ne sont pas découragés de voir chaque semaine ces vieux leaders qui font de la politique depuis des générations et qui ne veulent pas céder la place ?

— La vieillesse n’est pas un désavantage, bien au contraire, et il n’y a pas de substitut à l’expérience. En ce qui concerne le MMM, on entend beaucoup parler des démissions orchestrées par le Sun Trust, mais on parle moins des jeunes qui viennent rejoindre le MMM. En tant que secrétaire de la jeunesse militante, je peux vous affirmer que nous recevons beaucoup de demandes d’adhésion de jeunes.

Dernière question. Malgré les rapports de force, les clans, les coups bas et les attaques de l’adversaire, est-ce que vous êtes toujours satisfaite de votre engagement dans la politique active ?

— Je me suis engagée en politique en sachant pertinemment au-devant de quoi j’allais. Tristement, les coups bas et autres pratiques font, comme je vous l’ai dit, partie de la politique d’aujourd’hui. Mais c’est pour cela que je me suis engagée : pour amener un changement à ces pratiques et montrer qu’une autre manière de faire la politique est possible. Je trouve que cette première députation est extrêmement riche, m’a fait mieux prendre conscience de ce que je veux changer en politique, de la clientélisation au communalisme. Même si cela prend beaucoup d’énergie, je n’ai aucun regret de m’être engagée en politique.

(*) Il est à noter que lors de sa conférence de presse de samedi, le leader du MMM a donné des détails sur l’altercation qui a eu lieu lundi dernier au BP mauve.

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