Dya Ghose : « La profession d’avoué n’est pas assez connue »

Être présidente de la Mauritius Law Society (MLS), l’avouée Day Ghose n’y avait jamais songé jusqu’à tout récemment. Malgré tout, elle se dit prête à apporter sa pierre à l’édifice, d’autant qu’elle a des projets plein la tête. Elle dit par ailleurs regretter que la profession ne soit « pas suffisamment connue » à Maurice, tout en rappelant que le pays compte environ 230 avoués.

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Être présidente de la MLS est un rôle que vous vouliez tenir depuis longtemps ?
Pas du tout. En fait, j’ai 15 ans de pratique depuis décembre de l’année dernière. C’est ainsi que j’ai décidé de me porter candidate aux élections. Personnellement, je crois que je n’étais pas encore prête dans le passé à porter cette casquette. Mais lorsque j’ai décidé de me porter candidate pour ces élections, j’avais en tête de prendre le poste de présidente ou de vice-présidente car, au fil des années, j’ai songé à plusieurs projets. Aujourd’hui, je crois avoir les capacités à les présenter. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu attendre toutes ces années.

Qu’avez-vous appris pendant ces 15 ans ? Et que voulez-vous entreprendre en tant que nouvelle présidente ?
J’ai déjà cette connaissance légale de par mes expériences et ce que j’ai appris de la part des juges et magistrats ces 15 dernières années. Je vais voir comment accélérer les affaires qui traînent et trouver des solutions. Pendant ces 15 ans, j’ai aussi pu réfléchir sur les lacunes de la profession, et que j’ai moi-même eu à subir. J’espère pouvoir proposer des solutions.

Quels sont les projets sur lesquels vous comptez travailler ?
Ce qui me tient à cœur, c’est la sensibilisation du public sur le rôle d’avoué. C’est ma priorité. Il faut une prise de conscience générale sur notre rôle. Nous devons comprendre pourquoi l’avoué existe toujours à Maurice. Je tiens à rappeler que, dans plusieurs juridictions, le rôle de l’avoué a été complètement effacé. Or, il est important de préserver notre rôle en conscientisant les gens.

Quand je parle de ma profession à une personne, on me lance un regard évasif. Ce qui démontre qu’on ne comprend pas ce métier, ni le rôle de l’avoué. Pour les élections des avoués, nous n’avons eu qu’un seul représentant de la presse, alors que pour les avocats, la salle est remplie de journalistes. Malheureusement, on pense souvent que l’avoué fait un travail administratif pour un avocat. Cela démontre déjà quel est le rôle effacé de l’avoué. C’est très désolant. Je pense que la connaissance de cette profession ne se propage pas uniquement par la presse. C’est en allant sur de plus grandes plateformes qu’on pourra expliquer à la population le travail de l’avoué.

Je veux commencer ce travail d’explications dans tout le pays. Car c’est navrant que la profession d’avoué ne soit pas connue. À noter que des postes importants sont détenus par ceux de la profession, à l’instar du président de la République. Nous avons aussi une ministre qui est avouée.

En deuxième lieu, il faut qu’on se tourne vers la numérisation. À l’ère de la technologie, c’est très important. C’est plus que jamais nécessaire de se tourner vers le digital, car l’avoué fait beaucoup de travail sur papier. On ne peut plus continuer à travailler de cette manière. La Cour suprême a déjà franchi le pas vers l’e-Judiciary. Si ce projet nous coûte trop cher, nous parlerons avec le Master and Registrar pour trouver d’autres solutions. C’est vrai qu’on le fait déjà, mais il nous faut un système qui est plus défini pour toutes les cours. Du moins, une grande partie de notre travail doit être fait en ligne. Cet exercice doit d’abord démarrer avec la numérisation du registre de nos cours. Nous avons des preuves originales en cour. Imaginez un incendie qui ravage toutes les preuves. Ce sont des affaires qui prendront encore plus de temps. Il faut une grande volonté pour passer au numérique.

Nous souhaitons aussi organiser des colloques sur l’intelligence artificielle ou des actifs virtuels, entre autres. Je pense qu’il faut mettre l’emphase sur certaines choses qui empêchent un bon fonctionnement. Malgré les critiques, le Judiciaire peut bien fonctionner lorsque toutes les parties prenantes le veulent.

N’est-il pas temps d’avoir une école de formation pour les clercs d’avoués ?
Notre plan est de trouver une école de formation pour ceux qui veulent entamer le métier de clerc d’avoué. Aujourd’hui, ils apprennent sur le tas. Or, il y a toute une formation qui doit être faite. Quand on apprend sur le tas, il est possible qu’on ait une mauvaise orientation. C’est la raison pour laquelle il faut une formation appropriée pour ces personnes. Cela permettra aussi de lutter contre tout type de corruption ou de fraude. Il ne faut pas oublier que l’argent est payé à l’avoué jusqu’au paiement de l’autre partie. On espère pouvoir trouver des personnes pouvant dispenser des cours à ceux qui veulent être clerc d’avoué.

Pensez-vous pouvoir réaliser ces projets en deux ans ?
Ce serait une grande réussite si nous arrivions à réaliser la majorité de nos projets. D’autant qu’ils ne peuvent être réalisés du jour au lendemain. Nous allons faire avancer et compléter les projets du conseil précédent. Avec de la bonne volonté, beaucoup de ces soucis seront résolus. On ne peut pas critiquer les autres lorsque nous avons des problèmes dans notre propre cuisine.

Allez-vous poursuivre les opérations de jumelage avec d’autres juridictions après celle avec La Réunion ?
Le jumelage avec d’autres juridictions est l’un des objectifs. Je pense qu’on pourra effectuer des jumelages avec des pays africains et avec la Grande-Bretagne.

Vous avez un bon nombre de projets à réaliser pendant votre mandat. Êtes-vous assurée d’avoir le soutien de vos membres pour les mener à bien ?
Je remercie d’abord les membres du conseil qui m’ont choisie pour que je prenne la présidence. Cela démontre qu’ils me font confiance. J’ai donc leur soutien total.

Les règles de la MLS datent de plus de 10 ans. Y en a-t-il qui changeront sous votre présidence ?
Il y a un Rules Committee qui existe depuis longtemps, et qui travaille sur les nouvelles règles. Jusqu’à présent, je n’ai pas d’indication sur l’avancement des travaux. Il faudra définitivement changer les règles. On en discutera au conseil et avec l’Attorney General et le chef juge.

Les examens du Barreau affichent souvent un taux d’échecs élevé. Quelles en sont les raisons ?
Je parle en mon nom personnel, et non du conseil. Même si nous avons un fort taux d’échecs, nous avons beaucoup plus d’avoués qui réussissent aux examens par rapport aux années précédentes. Auparavant, il n’y avait que deux étudiants qui y réussissaient chaque année. Et si on arrivait à en avoir quatre, c’était beaucoup. Depuis 2005, nous enregistrons six réussites aux examens par an. C’est quand même pas mal. Mais le taux d’échecs, lui, reste élevé, car le nombre d’étudiants à participer aux examens a également augmenté. Davantage de personnes se tournent vers le droit. Il faudra d’abord commencer par les qualifications des étudiants qui participent aux examens.
J’ai étudié le droit à l’Université de Maurice et j’en suis fière, alors que mes deux sœurs, elles, ont étudié en Angleterre. Pour ma première année universitaire, elles étaient très étonnées que j’aie une bonne connaissance en la matière. C’est de là que j’ai compris la différence entre une personne ayant étudié à l’extérieur et à l’Université de Maurice. Notre système de droit est hybride, et nous avons développé le droit mauricien. Une personne ayant étudié le droit en Angleterre et qui prend part à ses examens à Maurice n’est pas en avance sur quelqu’un qui a étudié à l’Université de Maurice.

On peut aussi avoir réussi ses examens de droit avec une Second ou une Third Class. Je me pose souvent la question avec grand respect envers tous ceux qui ont fait un LLB. Si on se plaint du taux d’échec, il faut aller voir à la racine. Avec un tel résultat, est-ce que la personne est prête pour des examens professionnels ? Personnellement, je suis d’avis qu’un cours de six mois est important avant de se rendre aux examens.

L’une des recommandations de Lord Phillips était de revoir le syllabus. Où en est-on avec cette proposition ?
L’une des recommandations de ce rapport était de changer le syllabus. Je crois que cela a été fait. Avec tout le respect que j’ai pour toutes les institutions, deux sujets importants ont été retirés, soit la Family Law et la Commercial Law. Mais ce n’est que mon opinion. L’avoué est appelé à connaître ces deux lois parfaitement avant de commencer à pratiquer. Donc, si on démarre sans ces connaissances, il y a un problème. Je parlerai de ce sujet avec l’Attorney General, de même que du rôle de l’avoué. L’avoué peut aussi représenter son client lorsque ce dernier n’est pas au pays. Il faut avoir un cadre juridique législatif qui permet de le faire.

Vous ne semblez pas pratiquer la langue de bois…
J’ai mes opinions, et je n’arrive pas à me taire. Mais je crois que tous les présidents de la MLS ont essayé à faire entendre leur voix. Je ne serai donc pas une exception. Je vais faire entendre ma voix, oui, mais surtout tenter de trouver des solutions. J’espère qu’on m’écoutera et qu’on appliquera mes propositions.

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