Ashok Subron : « Il ne s’agit pas de changer de gouvernement, mais de système politique ! »

Notre invité de ce dimanche est Ashok Subron, porte-parole du parti politique et syndical Rezistans ek Alternativ. Dans l’interview qui suit, il justifie la proposition de constituer une plateforme unitaire des partis de l’opposition parlementaire et extraparlementaire. C’est, affirme-t-il, la seule solution pour pouvoir battre le MSM et ses alliés aux prochaines élections.

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l Où en sommes-nous dans l’affaire qui oppose Rezistans ek Alternativ à l’État mauricien pour la mise en pratique des recommandations de la commission des Droits de l’Homme des Nations Unies sur la loi électorale qui fait obligation à un candidat de déclarer son appartenance ethnique ?

— Il faut rappeler que cela fait 18 ans que Rezistans ek Alternativ mène ce combat, tant au niveau international que local. L’État mauricien a partiellement mis en pratique les recommandations avec un mini amendement constitutionnel en 2014. Mais depuis, l’État mauricien, sous la direction de Pravind Jugnauth, s’est rangé dans le rang des pays qui ne respectent pas les résolutions internationales. Tout comme la Grande-Bretagne dans le cas des Chagos, ce que l’État mauricien condamne ! En 2019, un grand tournant est survenu sur le plan local quand la Cour suprême a voulu prendre le cas sur le fond, mais l’État mauricien a trouvé toutes sortes d’obstacles juridiques pour que cela ne soit pas fait. Mais malgré les obstacles de l’État, une majorité de Mauriciens est contre le fait qu’un candidat aux élections doit afficher son appartenance ethnique. Depuis l’indépendance, le sens de l’histoire allait vers moins de communalisme et plus de mauricianisme. Pravind Jugnauth et le MSM ont inversé cette tendance de l’histoire, et quand on regarde ce qui s’est passé après, nous pensons que c’est une démarche délibérée pour mettre en place ce que nous appelons la modilisation de la politique mauricienne. À l’heure où nous parlons, il n’y a pas de cas devant la justice mauricienne, mais nous sommes en train d’en préparer d’autres. Le combat juridique va continuer, mais malheureusement, nous irons aux prochaines élections sans aucun changement en ce qu’il s’agit de la déclaration communale des candidats.

l Quelle est l’analyse de Rezistans ek Alternativ sur la situation politique du pays ?

— Nous vivons actuellement deux moments importants : nous concluons un cycle long post-indépendance sur lequel Maurice a opéré et qui est aujourd’hui obsolète, périmé et génère des dynamiques très dangereuses. À l’intérieur de ce cycle long se trouve un cycle court, que nous appelons le cycle jugnathien. Depuis, le pays est mal à l’aise avec ce gouvernement autoritaire, qui a passé des lois pour encadrer la population, plus particulièrement la classe des travailleurs, soutient le secteur privé et ceux qui pratiquent la fraude, la corruption et le détournement de fonds, ce qui a généré une forme de contestation sociale avivée par la catastrophe du Wakashio, l’affaire Kistnen, ce qui a poussé l’opposition extraparlementaire à jouer un rôle de premier plan dans la mobilisation populaire. En 2014, il y a eu beaucoup d’éléments qui expliquent la défaite du PTr-MMM, comme le rejet de l’alliance à cause de la certitude affichée de l’emporter qui était une forme d’arrogance et surtout il y avait de l’autre côté le bonhomme Jugnauth, alors qu’en 2019, c’est son fils qui était à la barre et qui l’a emporté avec seulement 37% des voix. Nous estimons aujourd’hui qu’il ne rassemble que 30% de l’électorat.

l Si l’on se base sur cette analyse, l’alliance de l’opposition a déjà remporté la victoire aux prochaines élections !

— Objectivement oui, mais tout dépend de la capacité de mobiliser les 70% de l’électorat qui sont contre le gouvernement MSM. Une élection avec un three corner fight comporte une forte possibilité que Jugnauth l’emporte…

l C’est déjà le cas avec d’un côté le MSM et ses alliés, de l’autre l’alliance parlementaire PTr-MMM-PMSD, si elle tient encore jusque-là, et un troisième front avec une pléthore de petits partis politiques…

— Rien n’est encore joué. Prenant en considération la situation actuelle, l’affaiblissement des deux grands partis traditionnels, le PTr et le MMM…

l Ce n’est pas le cas du PMSD ?

— Je viens de la gauche et de partis qui ont un ancrage ouvriériste, ce qui est le cas du PTr et du MMM, pas le PMSD, qui a un autre ancrage et qui a déjà été affaibli au cours des précédentes élections. Mais je reconnais que Xavier Duval a fait quelque chose de très important pour la démocratie mauricienne en démissionnant du gouvernement MSM-PMSD en refusant de voter le Prosecution Bill et ses amendements. Il est possible que l’alliance PTr-MMM-PMSD seule ne puisse remporter les prochaines élections, surtout après les tiraillements sur les tickets auxquels nous venons d’assister.

l Est-ce que vous tenez compte dans votre analyse du fait qu’au moins un tiers de l’électorat se dit indécis et ne sait pas s’il ira voter ?

— Les indécis font partie des 70% et sont prêts à voter en fonction du programme gouvernemental qui sera proposé. Je suis persuadé que l’enjeu des prochaines élections sera suffisamment important pour que les électeurs se déplacent. Il y a plus de 60% de l’électorat qui sont assez jeunes et qui ne se retrouvent pas dans les partis traditionnels. Cet électorat n’a pas le sens de l’histoire politique, mais il a d’autres valeurs, comme le droit de la nature que nous voulons inclure dans la Constitution. Il y a une évolution de la pensée écologique dans le monde et à Maurice que les partis traditionnels n’ont pas encore intégrée.

l Selon vous, ce jeune électeur ira-t-il voter ?

— Il le fera si les valeurs qu’il défend figurent dans le programme politique d’une alliance crédible. C’est pour cette raison, entre autres, que nous proposons la défense du droit de la nature. C’est aussi une des raisons qui incitent Rezistans ek Alternativ à pousser pour la création d’un front unitaire d’opposition parlementaire et extraparlementaire sur la base d’un projet de réforme constitutionnelle et un programme en faveur des travailleurs et de l’écologie.

l C’est au cours de la récente conférence constitutionnelle que vous avez organisée que les propositions que vous venez de mentionner ont été lancées. Vous avez déclaré par la suite que les participants au débat — essentiellement des représentants des partis de l’opposition parlementaire et extraparlementaire — étaient d’accord pour une réforme électorale avec une bonne dose de proportionnelle. Mais Ashok Subron, tous les partis politiques sont d’accord avec une réforme électorale quand ils sont dans l’opposition. Pas quand ils sont au pouvoir !

— Comme je vous le disais avant, nous sommes arrivés à la fin d’un cycle long au cours duquel tous les partis traditionnels ont subi les conséquences du système électoral, élection après élection. Ils sont aujourd’hui convaincus de la nécessité de revoir le système.

l Vous avez également déclaré proposer « une bonne réforme électorale avec une bonne dose de proportionnelle, prenant en considération la sensibilité politique. » Est-ce que c’est un autre terme pour désigner ce que Pravind Jugnauth appelle les réalités électorales, dont le communalisme ?

—Pas du tout ! Nous disons qu’il faut remplacer la représentation communale par la représentation politique, sur la base des voix récoltées, pas sur l’appartenance ethnique des candidats. Nous espérons que les prochaines élections seront les dernières à utiliser le facteur communal pour l’inscription des candidats et sommes convaincus que la plateforme unie des oppositions peut l’emporter.

l Pour arriver à ce résultat, Rezistans ek Alternativ dit être disposé à contracter une alliance électorale…

— Pour nous, il ne s’agit de changer de régime au pouvoir, de remplacer l’actuel par un autre. Le régime au pouvoir a éliminé et criminalisé les oppositions, comme nous avons pu le voir dans l’affaire Kistnen ! Il ne s’agit pas de changer de régime, mais de changer de système, et pour ce faire, il faut amender la Constitution, ce qui nécessite une majorité de trois quarts au Parlement. Il faut donc non seulement proposer un amendement à la Constitution, mais venir avec les textes de loi détaillés et rendus publics avant les élections. Il existe suffisamment de compétences dans le pays pour le faire.

l Comme dirait l’autre : aret reve kamarad ! Savez-vous que l’alliance PTr-MMM-PMSD, constituée il y a plus de deux ans, n’a toujours pas réussi à présenter son programme gouvernemental sur lequel il espère se faire élire ?

— Un des gros problèmes de l’alliance PTr-MMM-PMSD, c’est qu’elle a décidé de faire un programme secret. Du coup, au lieu d’avoir des divergences sur le programme gouvernemental, ce qui aurait été sain et démocratique, ils ont des divergences sur le partage des tickets !

l Une alliance, c’est une négociation et des concessions entre partenaires. Jusqu’à quel point idéologique Rezistans ek Alternativ est disposé à aller pour faire exister ce front des partis parlementaires et extraparlementaires ?

— Ce que nous essayons de faire, nous le faisons publiquement. Nous sommes conscients qu’il n’y a pas nécessairement de convergences de vues entre les partis de l’opposition parlementaire et extraparlementaire sur, par exemple, la politique économique. C’est pour cette raison que nous disons : commençons par les amendements constitutionnels et proposons des réformes pour élimer la représentation communale ; introduire la proportionnelle ; le « right to recall » ; la décentralisation des pouvoirs du Premier ministre ; le non-cumul des mandats électifs et l’inscription des droits économiques et sociaux dans la Constitution. Pravind Jugnauth utilise le droit à la pension — pour laquelle les pensionnés ont contribué — pour en faire une arme électorale à la veille de chaque élection. Si la pension de vieillesse était alignée sur le salaire minimum, elle ne serait plus un sujet de démarchage — pour ne pas dire de chantage — électoral.

l Quand on vous écoute, on a l’impression que c’est vous qui dirigez le front, que c’est vous qui donnez les instructions aux autres partis. Vos éventuels partenaires sont-il sur la même longueur d’onde que Rezistans ek Alternativ ?

— Nous avons proposé la création de ce front de l’opposition parlementaire et extraparlementaire, c’est donc de notre devoir de faire connaître ces propositions en respectant nos possibles partenaires à venir.

l Depuis que cette proposition a été faite, il y a deux semaines, avez-vous reçu des réactions, des réponses ?

— Le problème c’est que la « question » des tickets au sien de l’alliance des partis parlementaires a mobilisé l’attention. Par ailleurs, avec la mobilisation pour le 1er-Mai, nous avons mis ce dossier de côté, mais tout en continuant un travail de compilation et de synthèse.

l Vous n‘êtes pas sans savoir que ce qui semble de première importance pour la majeure partie des partis extraparlementaires, c’est de déterminer qui sera Premier ministre et ministres en cas de victoire électorale, et certains présentent déjà les objectifs de leurs hypothétiques ministères ! Comment allez-vous faire pour que l’importance de l’amendement constitutionnel prenne le pas sur les considérations que l’on vient de mentionner ?

— C’est triste de constater que beaucoup — aussi bien dans l’opposition parlementaire qu’extraparlementaire — sont entrés dans la logique du partage du pouvoir et des postes à pourvoir. Cette manière de procéder nous ne mènera pas loin dans la constitution d’un front unitaire des oppositions.

l Pourquoi pensez-vous que les partis traditionnels, qui ont une vieille culture politique, vont accepter la stratégie que vous proposez ?

— Parce que c’est dans leur intérêt. Parce que les 70% des votes qui se retrouvent dans l’opposition au gouvernement ne sont pas acquis, n’appartiennent à personne. Une majorité ne se retrouve pas dans le régime en place, mais elle ne s’est pas encore cristallisée autour de l’alliance de l’opposition parlementaire ou extraparlementaire. D’où la pertinence de notre proposition qui repose sur le constat que je répète : il n’est pas certain que seule l’opposition parlementaire puisse remporter les élections, et il est certain, par ailleurs, que les votes dispersés de partis extraparlementaires vont faire le jeu de Pravind Jugnauth. C’est une proposition très pragmatique.

l Combien de tickets faudrait-il pour satisfaire votre parti dans l’éventualité que le front se concrétise ?

— Mais nous n’en sommes pas encore là ! Je vous répète que nous venons tout juste de lancer la proposition et que nous attendons les réactions et les retours pour entamer la discussion.

l Est-ce que vous avez entendu, comme nous, cette rumeur venant des rouges qui dit : donnons des tickets à Kugan Parapen et à Ashok Subron pour parler à l’électorat de la classe ouvrière, ce que le PTr ne fait plus…

— Laissez-moi éclaircir ce point : il n’y a aucune discussion avec qui que ce soit en ce qui concerne les tickets que pourrait avoir Rezistans ek Alternativ. Il y a beaucoup de personnes qui souhaiteraient que nous soyons candidats aux élections, mais ne le seront que sur la base d’un projet qui réunit toutes les parties. Il faut être logique : tous les partis extraparlementaires y compris Rezistans ne peuvent remporter les élections seuls. C’est la même chose pour l’opposition parlementaire. La seule solution pour battre Pravind Jugnauth passe par un front uni des tous les partis d’opposition parlementaires et extraparlementaires pour pouvoir obtenir les trois quarts de sièges qui permettent d’apporter les amendements à la constitution. C’est à partir de ces données qu’il faut travailler.

l Quelque part, Rezistans ek Alternativ est aujourd’hui disposé à faire ce que les partis de gauche ont toujours reproché au MMM : utiliser la voie électorale pour arriver au pouvoir !

— Pour nous, la voie électorale n’est qu’un outil de transformation de la société. L’élection qui arrive se situe dans un contexte qui offre des possibilités de changements structurels et de protection des citoyens. Nous vivons actuellement à Maurice un moment particulier avec la venue de nouveaux setlers capables d’acheter des villas de plusieurs centaines de millions et qui vont, avec leur argent, influencer la vie politique du pays. Nous avons aussi d’autres setlers, des travailleurs étrangers — souvent maltraités et qui font le travail que les Mauriciens ne veulent plus faire. Troisièmement, nous assistons à l’exode le plus massif depuis l’indépendance, pas l’exode de la classe moyenne, mais celle de la classe ouvrière. Ceux qui vont rester, parce qu’ils sont obligés de le faire, ne pourront pas acheter un logement ou alors en s’endettant jusqu’à plus de soixante ans. Ce modèle de développement n’est pas basé sur une économie productive, parce que c’est le foncier qui tire la croissance et ça a commencé depuis l’an 2000, quand on a autorisé les étrangers à acheter de la terre à Maurice. Il faut aussi savoir que depuis peu, l’étranger qui possède un permis de résidence peut acheter n’importe où à Maurice à des prix que la majorité de Mauriciens ne peuvent se permettre. Il y a nécessité de changer de gouvernement et de nous assurer, dans la mesure du possible, que les droits de nos enfants soient protégés, renforcés.

l Il est donc essentiel que la plateforme que vous proposez soit créée…

— Nous ne faisons qu’assumer notre responsabilité de mouvement de gauche écosocialiste. Nous l’avons dit : il ne faut pas croire que les prochaines élections seront faciles, qu’il suffira de dire que le gouvernement est incompétent et bizin fer li ale. Il y a une majorité de Mauriciens qui veulent changer de gouvernement, mais ils veulent d’un véritable changement, pas d’un remplacement d’un parti par un autre, des individus par d’autres individus. Ils veulent d’un changement qui va marquer l’histoire du pays comme le PTr le fit en obtenant le droit de vote puis l’indépendance, de la même manière que le MMM-PSM avec l’amendement de 1983 qui a permis que les élections soient tenues à des dates régulières.

l Soyons cyniques : et si malgré votre plaidoyer, la création d’un front de toutes les oppositions n’aboutit pas ?

— C’est notre première option et nous espérons qu’elle pourra se concrétiser. Sinon, la deuxième option sera de tenter de constituer une plateforme avec d’autres organisations et mouvements qui ne font pas partie de ceux dont nous avons parlé. Après, il nous restera l’option d’aligner des candidats avec nos alliés pour les prochaines élections. Nous sommes dans une période de transition à tous les niveaux. Nous sommes en train de sortir d’un monde dominé par l’impérialisme anglo-saxon, pour aller vers un monde plus multipolaire avec d’autres regroupements géographiques et politiques. Nous sommes également dans une période de transition à Maurice où nous sommes en train de sortir d’un modèle économique dépassé, mais que ceux à qui il a profité et continue à profiter vont tout faire pour le maintenir à travers les prochaines élections. C’est pour cette raison que ceux qui veulent d’un vrai changement, qui ne veulent pas que le gouvernement actuel revienne au pouvoir pour continuer à faire ce qu’une grosse partie de la population condamne, doivent s’unir pour remporter les élections. Avec suffisamment de sièges pour amender la Constitution afin de protéger nos enfants et de faire en sorte que le système soit plus juste pour la majorité et ne continue pas à être bénéfique que pour une minorité. Si la plateforme ne se fait pas, si cela arrive, malheureusement, Rezistans ek Alternativ aura tout fait pour combattre et faire partir un régime qui, on le sait, a du sang sur les mains. Nous ne porterons pas la responsabilité d’avoir refusé de faire un bond en avant pour le pays et ses habitants 56 ans après l’indépendance.

l Que souhaitez-vous dire pour terminer cette interview ?

— Je fais un appel à Paul Bérenger et à Navin Ramgoolam, qui sont aux derniers moments de leur vie politique, pour leur dire : il y a encore quelque chose qui peut être fait pour le pays et son devenir. Je leur dis : faites-le pour le sens de la marche de l’Histoire, pour nos enfants et les générations à venir.

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