Crimes odieux : quand nos aînés pris pour cibles, vivent la peur au ventre

Depuis quelque temps, la communauté des personnes âgées à Maurice est confrontée à une vague de crimes brutaux et choquants. Les récents événements qui ont coûté la vie à trois aînés ont mis en lumière la vulnérabilité croissante de cette population et ont ravivé les inquiétudes non seulement parmi les aînés, mais aussi leurs proches quant à la sécurité dans un pays où le respect des aînés a toujours été une valeur fondamentale. Aujourd’hui, c’est la peur au ventre que vivent ces personnes âgées…

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Chaque semaine, les gros titres de la presse résonnent avec des histoires de violence contre les aînés. Des vies brisées, des familles endeuillées. Faut-il voir là une dégradation des mœurs ? Est-ce que des facteurs sociaux tels que l’alcool, la drogue, la pauvreté ou les problèmes familiaux sont responsables ? Si certains prônent le durcissement des lois, voire la réintroduction de la peine de mort, d’autres insistent sur un retour vers les valeurs d’antan. Ce qui est sûr, c’est que la peur est devenue omniprésente parmi les personnes âgées, qui vivent désormais dans une anxiété constante face à la possibilité d’une attaque brutale. Beaucoup d’entre elles se sentent vulnérables et isolées, craignant pour leur sécurité, même dans le confort de leur propre domicile.

Trois vies, trois histoires, trois tragédies
Razeeyab Nuther Saib, une enseignante à la retraite de 71 ans, avait toujours été une figure connue dans le quartier de Boundary, Rose-Hill, où elle résidait. Ses voisins la connaissaient pour sa gentillesse et son sourire chaleureux. Pourtant, il y a une quinzaine de jours, même sa sagesse et son expérience n’ont pas pu la protéger de la violence gratuite qui a mis fin brutalement à sa vie. Marc Henri Collaud, un ressortissant suisse de 75 ans, avait choisi Maurice comme havre de paix pour sa retraite. Sa générosité envers les nécessiteux était connu à Terre-Rouge. Cela ne l’a pas empêché d’être une victime tragique d’un crime odieux, lui aussi. Abdoolah Fakeermahamood, un employé du Police Executive Service âgé de 63 ans, avait ouvert sa maison à un tailleur en tant que locataire, sans se douter des conséquences tragiques à venir. Lui également a été cruellement tué chez lui. En moins d’une semaine, ces trois aînés ont été violemment assassinés par leurs agresseurs. Des actes sans doute prémédités et d’une rare cruauté, orchestrés par des individus sans scrupules. Trois vies, trois histoires, trois tragédies. Et pourtant, ces attaques ne sont pas isolées. Elles font partie d’une tendance alarmante : de plus en plus de personnes âgées sont victimes d’agressions, d’attaques et de meurtres.

Dormi “lizié ouvert”
Leur grand âge, la maladie, une déficience physique ou mentale… Autant de facteurs qui rendent les personnes âgées vulnérables. Les récents crimes ont exacerbé ces sentiments de vulnérabilité et ont renforcé le sentiment d’impuissance face à des menaces de plus en plus présentes. Marie B., âgée de 77 ans dit, dormir “lizié ouvert”. Cette habitante de Vacoas vit seule depuis plusieurs années. “Avant mo pa ti per. Me depi mo pe tann zis crime dans radio, mo per pou rest tou sel”. Elle a demandé à ses proches de consolider sa maison. Ce qui a été fait, car ses enfants, qui vivent dans d’autres régions, ne peuvent pas être tous les jours chez elle. “Zot ena zot travay, zot ti fami. Zot dir moi vinn rest kot zot mé mo pa envi kit mo lacaz. Si mo aller aussi voler kapav vini”, dit Marie. Le vol encore, c’est une chose. “Mais si on lui ôte la vie… ” murmure sa voisine qui veille sur elle comme elle peut de l’autre côté de la grille.

“Si ou fer résistant, zot touye ou sans pitié”
Comme Marie, ils sont nombreux à vivre seuls dans leur maison. Avec la montée des crimes, le quotidien de nombreuses personnes âgées a changé. “Mo ferm la porte, la fenêtre, gramatin tanto”, explique Meera. Cette grand-mère de 80 ans vit seule, elle aussi, depuis le décès de son époux il y a deux ans. Si en raison des récents crimes son petit-fils, âgée de 16 ans, est venu habiter avec elle, elle se pose la question « li enn zenfan, ki li pou kapav fer ? » Mais avoir une présence la rassure tout de même. Surryadev, lui, habite Curepipe. Il est âgé de 66 ans. Cela fait seulement un an depuis qu’il a pris sa retraite. Il a perdu son épouse dans un accident il y a quatre ans. Depuis, il vit seul. Ses deux enfants sont à l’étranger. Si Surryadev est un homme, il n’a pas moins peur.

Pour cause, depuis quelque temps, il perd la vue. Une maladie irréversible. Alors, il se barricade chez lui la plupart du temps. “Li pa facile parski mo vulnérable. Kan ou pe tander ki pe arriver dehors ou bizin gagn tracas. Si enn dimoun rent kot moi, mo pa pou conner mem”, dit-il. Il raconte que souvent, des gens viennent frapper à sa porte. “Mo pa ouvert, parski zordi zour, soi-disant zot pe rod travay, aprè zot donne ou kout kitzoz, ou fini la mem”, dit-il.
Désirella, elle, a aménagé temporairement chez sa mère Santa, âgée de 85 ans, depuis le début de l’année. L’octogénaire vivait seule auparavant, mais avec la dégradation de son état de santé, sa fille a préféré venir vivre chez elle pour veiller sur elle. Mais ce n’est pas sans conséquence, dit-elle. “J’ai laissé derrière moi ma maison, mon mari et mes enfants. C’est leur père qui s’occupe d’eux pour aller à l’école. J’y retourne le week-end ou alors eux viennent chez grand-mère. Mais ce n’est pas la situation idéale. Je reste avec ma mère parce qu’elle a peur. Dans le voisinage, nous avons une voisine de 87 ans qui a été violée récemment”, dit Désirella. Si le présumé violeur a été arrêté, les deux femmes ne sont pas pour autant tranquilles. “Zordi, dimoun veyer, zot conner kot ena vier dimoun ki rest tou sel. Zot profiter. Si ou fer résistant, zot touye ou sans pitié”, dit Santa.

Installer des caméras
Baneesha abonde dans le même sens. Cette femme de 76 ans habite avec son fils de 54 ans. Le problème c’est qu’outre sa fragilité, son fils est trisomique. Personne pour les protéger. “Mo garçon contan coz are dimoun. Des fois dimoun tape laporte, mo pa conne zot, li ouvert li fer zot rentrer li fer zot assister dan salon”, explique-t-elle. Ce qui n’est pas sans risques. “Tou kalité dimoun ou trouver aster. Ena fer semblant pe rod travay. Madam tape la porte, ou pe cozer devant, miser fini rentre par la cuisine par derrière”, dit-elle. Comme sa voisine, Harsha, elle envisage de faire installer des caméras de surveillance chez elle. Mais Baneesha reste lucide. “Komie caméra ou pou mettre, si zot inn fini fer brit, fini touer, ki sa pou servi. Monn fini mort lerla”, dit-elle. Geeta, elle, a été victime de brutalité de la part de son propre neveu. “Enn zour linn vini, mo ti dans la cuisine, linn fini passe par la fenêtre linn rentrer. Kan mo tann tapaz dans la chambre, mo ale guetter mo trouv li. Li prend gourdin linn tap moi, monn perdi connaissance”, raconte la dame de 64 ans.

Dans nombre de cas, en effet, des proches, des loups déguisés en agneaux, sont également responsables des actes de violence envers les personnes âgées dont ils connaissent les habitudes, leurs routines, leurs faiblesses. Ils se glissent dans leur intimité, trahissant la confiance qui devrait les unir. Les aînés se retrouvent ainsi pris au piège, victimes de ceux qu’ils aimaient et en qui ils avaient foi.

Comme témoignent ces aînés, de nombreuses personnes âgées vivent désormais dans l’angoisse permanente d’une attaque, que ce soit par des inconnus profitant de leur vulnérabilité ou même par des proches mal intentionnés. Les ruses et les manipulations utilisées pour abuser de leur confiance sont devenues monnaie courante, accentuant leur sentiment de vulnérabilité. Qu’il s’agisse d’escroqueries, de faux prétextes d’aide ou même d’agressions perpétrées par des proches, nos aînés vivent désormais dans la peur constante d’une attaque à tout moment, de jour comme de nuit. En plus des attaques physiques, les personnes âgées sont également confrontées à d’autres formes de maltraitance, telles que l’exploitation financière, l’abus émotionnel et la négligence. La situation est d’autant plus préoccupante que la population des personnes âgées continue de croître à Maurice, une tendance qui devrait se poursuivre dans les années à venir.
Récemment, face aux récents événements, la ministre de la Sécurité sociale, Fazila Jeewa-Daureeawoo, a encouragé les personnes âgées à télécharger l’application mobile « Sekirite ».

Cette application vise à leur apporter une assistance lorsqu’elles se retrouvent en situation de danger ou de maltraitance, leur permettant notamment de solliciter l’intervention des forces de l’ordre. Cependant, force est de constater que nombre de personnes âgées ne savent pas utiliser un smartphone. Qui plus est, disent-elles, « kan ou dan sok, dan panik, ou kapav ale rod smartphone la ? » Dès lors, des mesures doivent être prises pour renforcer la sécurité de nos aînés, que ce soit à travers des programmes de sensibilisation, des patrouilles de police accrues ou encore des sanctions plus sévères pour les auteurs de crimes contre les aînés.

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