Kavi Ramano : « Nécessité urgente de revoir le cadre juridique »

Le ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, devrait présenter ce mardi à l’Assemblée nationale un nouveau cadre juridique régissant l’environnement. Dans un entretien accordé à Le-Mauricien, il souligne la nécessité urgente de sa démarche.

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Pourquoi ce nouveau projet de loi sur l’environnement en 2024 et pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ?

La loi sur la protection de l’environnement date de 2002, avec quelques modifications apportées en 2008, pour décentraliser la gouvernance environnementale, et des modifications mineures par la suite. Conscient de cela, j’ai décidé, lors de ma prise de fonction en 2019, d’organiser de larges consultations nationales avec l’ensemble des acteurs de la société à travers les assises de l’environnement.

Ces consultations se sont avérées intéressantes et riches, avec quelque 400 participants présents à cet événement, dont des représentants de ministères, d’organismes parapublics, d’autorités locales, d’acteurs du secteur privé, d’universités, de jeunes, d’organisations de la société civile et d’organisations non gouvernementales. Ces consultations se sont poursuivies après les assises par le biais de nombreux canaux tels que la presse.

Pour faire face aux défis et aux urgences d’ordre environnemental émergents, ainsi que pour permettre au pays d’évoluer vers une économie verte et circulaire, ces consultations nationales ont mis en évidence la nécessité urgente de revoir le cadre juridique de la protection de l’environnement au sein de la république.

Alors que l’intention initiale était de simplement apporter des modifications à la loi sur la protection de l’environnement (EPA) de 2002, il est devenu clair qu’un changement de paradigme en termes de dispositions légales était nécessaire. Le projet de loi, dont la portée est plus large, est structuré en 18 parties et comprend 16 annexes pour répondre aux défis environnementaux contemporains et imminents.

Cet exercice de refonte a nécessité une révision en profondeur avec de vastes consultations existantes afin de s’assurer que nous avons tous une compréhension commune de ce que nous devons changer et de la façon dont nous nous y prenons. D’où le temps que cela a pris.

Quels sont les principaux points saillants de ce nouveau projet de loi ?

Le projet de loi prévoit d’accorder un statut juridique formel à un Observatoire de l’Environnement. Cet observatoire mettra l’accent sur la communication et le partage des données environnementales, ainsi que sur la création d’une plateforme de la science aux politiques pour aider à l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes.

Un mécanisme visant à assurer une meilleure gestion et protection des zones écologiquement sensibles (ZES) sera introduit afin de faciliter la coordination globale entre les ministères et les organismes pour la gestion durable des 14 ZES énumérées dans l’annexe du texte de loi. L’inventaire et des cartes des ZES sont mis à jour.

Le ministre sera habilité à promulguer des règlements pour la protection, la conservation, la restauration et la réhabilitation des ZES et pour prévenir, réduire et contrôler la pollution qui s’y trouve. À ce titre, les ZES qui ne relèvent actuellement d’aucun organisme d’application de la loi, comme les grottes et les vasières, seraient dorénavant couvertes par la nouvelle législation.

Le projet de loi habilitera le ministère à imposer à toute personne identifiée comme générant des déchets polluant l’environnement d’adopter des mesures appropriées pour récupérer ou éliminer son produit après sa durée de vie utile. Également connue sous le nom de responsabilité élargie des producteurs, cette mesure entraînera un changement de paradigme dans nos efforts visant à améliorer la circularité dans notre économie et complétera les mesures prises dans le cadre de notre programme de tri à la source au niveau des ménages, comme le prévoient notre stratégie de récupération des ressources et la nouvelle législation sur la gestion des déchets et la récupération des ressources.

Enfin, le projet de loi introduira un mécanisme de gestion durable des plastiques en réponse au traité juridiquement contraignant au niveau international qui sera finalisé cette année. Cela nous permettra de respecter les engagements nationaux, régionaux et internationaux en matière de lutte contre la pollution plastique ; de donner des conseils sur les programmes de recherche et de développement ; et d’assurer la sensibilisation du public, entre autres.

Le projet de loi a introduit un nouveau mode d’évaluation, soit l’évaluation environnementale stratégique, pour des projets autres que l’évaluation des incidences sur l’environnement et l’examen environnemental préliminaire. Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit et pourquoi est-il introduit dans cette nouvelle loi ?

L’évaluation environnementale stratégique (EES) est un processus systématique d’aide à la décision visant à garantir que les aspects environnementaux et autres aspects de la durabilité sont effectivement pris en compte. L’EES est un instrument fondé sur des données probantes, qui vise à ajouter de la rigueur scientifique à l’élaboration de politiques, de plans et de programmes, en utilisant des méthodes et des techniques d’évaluation appropriées.

Il convient de rappeler que les évaluations environnementales stratégiques étaient auparavant régies par la loi de 2002 sur la protection de l’environnement. Toutefois, à la suite des modifications apportées à l’EPA en 2008, ces dispositions sur les EES ont été abrogées en raison du manque d’information sur le sujet, de la résistance institutionnelle et des chevauchements de compétences ; des difficultés à définir et à assurer une participation effective de la participation du public ; et la coordination et l’intégration de l’évaluation stratégique avec d’autres processus d’évaluation, ce qui rendait le mécanisme d’EES fastidieux à mettre en œuvre à l’époque.

Sur la base d’au moins trois décennies d’expérience acquise dans l’évaluation des incidences sur l’environnement, le moment est venu de réintroduire l’EES. L’EES veiller que les considérations environnementales soient intégrées dans les plans et les programmes dès la phase de planification et offrira une perspective plus large en veillant à ce que les questions socio-économiques soient traitées sur un pied d’égalité avec la protection de l’environnement et la durabilité.

En bref, les EES permettent d’évaluer diverses options et solutions de rechange de manière à ce que toute option stratégique approuvée tienne dûment compte des objectifs en matière d’environnement et de développement durable.

Le public aura un rôle clé à jouer, car les promoteurs devront obligatoirement participer à des processus de consultation à grande échelle. Cela permettra d’identifier, de sélectionner et de justifier des options gagnant-gagnant par rapport aux objectifs environnementaux et de développement.

Le projet de loi sur l’environnement 2024 exigera désormais des EES dans le cadre de plans et de programmes dans tous les secteurs portant sur (1) les zones écologiquement sensibles, (2) la pêche, (3) l’énergie, (4) l’industrie, (5) les transports, (6) la gestion des déchets, (7) la gestion de l’eau, (8) le tourisme, (9) les développements immobiliers et les villes intelligentes, (10) le soutage dans le port, (11) le développement des parcs animaliers, à thème et d’attractions sur plus de 20 hectares de terrain, ainsi que (12) au sein d’entreprises multiples.

 

Aucune disposition dans la loi n’oblige le ministre à justifier pourquoi il accepte d’accorder un permis d’EIE ou d’EES ou pourquoi il rejette la demande. Pourquoi en est-il ainsi ?

Conformément aux dispositions du projet de loi, une demande d’EIE ou d’EES sera examinée par un comité EIE/EES, composé de toutes les autorités concernées, qui recommandera ou non la demande. Ces recommandations sont formulées en fonction des mesures d’atténuation proposées dans le rapport fourni par les promoteurs, des points de vue d’experts et des lois, des règlements, des politiques et des lignes directrices en vigueur.

Le ministre approuvera ou rejettera une demande, en fonction des recommandations du comité EIE/EES et en tenant compte de la politique gouvernementale. Le ministre peut également mettre sur pied un comité consultatif technique chargé de le conseiller sur une demande particulière d’EIE ou d’EES.

Il y a un équilibre délicat à maintenir afin de ne pas pénaliser indûment le développement des projets tout en veillant à ce que ceux-ci n’aient pas d’impacts négatifs sur l’environnement, c’est-à-dire qu’il y ait une croissance verte.

Toutefois, toute personne qui s’estime lésée par la décision du ministre de délivrer ou de ne pas délivrer un permis de PER, d’EIE ou d’EES, et qui est en mesure de démontrer que cette décision peut lui causer un préjudice injustifié, en plus d’avoir présenté une déclaration de préoccupation lors de consultations publiques, peut toujours interjeter appel de la décision.

 

Pourquoi la Commission nationale de l’Environnement est-elle remplacée par une nouvelle commission appelée Commission nationale de l’Environnement et du dDéveloppement durable et quelles sont les fonctions qui différeront de celles de la Commission nationale de l’Environnement devant le Tribunal d’Appel de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire ? Va-t-il superviser notre performance par rapport aux cibles fixées dans les ODD ?

Le monde est confronté à de multiples défis environnementaux, sociaux, économiques et sanitaires interdépendants, à savoir la crise du changement climatique, la pollution, la perte de biodiversité et l’extinction d’espèces, la déforestation, la dégradation des terres et l’augmentation des catastrophes environnementales.

Maurice, en tant que membre des PEID, est l’un des pays plus touchés par ces crises et il est nécessaire de renforcer la gouvernance environnementale à tous les niveaux. Ces crises ne peuvent être abordées avec succès que si elles deviennent une priorité politique absolue soutenue par la législation, la prise de décision inclusive, le suivi et l’application de la loi.

Compte tenu de ces enjeux globaux et de notre vision nationale, la Commission nationale de l’Environnement est remplacée par la Commission nationale de l’e-Environnement et du Développement durable qui prendra également en compte le développement durable et les nouveaux concepts tels que l’économie circulaire.

Il convient de souligner que la Commission nationale de l’Environnement et du Développement durable est désormais également chargée de fixer des objectifs et des cibles nationaux en matière d’économie circulaire, d’économie verte et de consommation et de production durables ; de fixer des objectifs et des cibles nationaux conformément aux obligations découlant des accords multilatéraux sur l’environnement et le développement durable ; et en ce qui concerne la protection, la gestion et la conservation de l’environnement, faire les recommandations et donner les directives qu’il peut déterminer aux ministères publics.

Il convient également de noter que la Commission nationale de l’Environnement et du Développement durable est présidée par le Premier ministre, soit au plus haut niveau du gouvernement, et que la réunion regroupera les ministres concernés ainsi que des membres ayant une vaste expérience dans le domaine du développement durable.

En vertu de ses fonctions, la Commission nationale de l’Environnement et du -Développement durable fixe les objectifs et les cibles nationaux, conformément aux obligations découlant des accords multilatéraux sur l’environnement et le développement durable. Il a également pour mandat d’examiner les progrès accomplis par les services publics dans tous les aspects des projets et programmes de protection, de gestion et de conservation de l’environnement.

La Commission peut, en outre, formuler des recommandations et donner des directives aux services publics en ce qui concerne la protection, la gestion et la conservation de l’environnement afin de parvenir à une île Maurice plus propre, plus verte et plus durable.

 

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