KI FER PA MWA: Pour apprendre à rêver

Deux containers blancs en guise de salles de classe. Malgré ses moyens limités, l’ONG Ki Fer Pa Mwa veut donner l’occasion aux enfants de Batterie Cassée d’avancer vers leurs rêves. À travers un projet d’accompagnement scolaire et d’encadrement social, elle espère leur ouvrir les portes d’un autre avenir.
Loïc a 8 ans. C’est déjà décidé : plus tard, il sera médecin. Il aura pour collègue son amie Anaëlle, qui portera la blouse de l’infirmière. Ils pourront soigner Nick lorsque ce dernier se blessera, ce dernier évoluant comme footballeur professionnel. Pour l’instant, Laurina se contente de “sant bann sante ti-komik”, mais elle se prépare pour une carrière de chanteuse. Quand Lauri, 8 ans, deviendra danseuse, elles se produiront sur les mêmes scènes. Tessa, même âge, voit l’avenir autrement : elle sera policière et son copain Ryan officiera comme plombier. Christabelle, qui aime les animaux, sera vétérinaire, Kamlesh et Bonny, mécaniciens. Après avoir bien réfléchi, Avinash fera la même chose. Ce qui lui permettra de rester toujours dans le monde des voitures. Loin du cambouis, Kate et Wilhya, futurs stylistes, confectionneront leurs propres vêtements…
Efforts.
Dans le container blanc aménagé en salle de classe, il n’est pas interdit de rêver à haute voix. Miss Véronique a toujours encouragé les enfants à voir grand et à croire en leurs ambitions, mais ils ont aussi compris que pour avancer, il leur faudra faire de gros efforts.
Afin de devenir pilote, Schön s’applique en maths et en sciences. Quand il finira le collège, il ira à l’université pour se spécialiser. Un jour, il aura peut-être à bord de son avion son amie Anslelle. Elle rêve d’être hôtesse et se concentre déjà sur l’anglais et le français, “parce qu’il faut savoir bien parler”. En sus de faire de son mieux en classe, comme ses autres camarades, elle a appris à prendre du plaisir dans la lecture. Tintin pour les uns, Lucky Luke pour les autres, anglais ou français : les goûts varient. Pour les aider, des manuels et des livres ont été rangés sur une bibliothèque dans le deuxième container du centre.
Dans quelques années, Gracy sera “Miss, pour faire les enfants apprendre”. Ce métier, la fillette a appris à l’aimer en observant celles qui l’ont accompagnée jusqu’ici. Dans le centre où elle se rend chaque après-midi en jour de semaine et les samedis, une attention spéciale et adaptée est offerte à chaque enfant. Désormais, Gracy le dit avec fierté : “J’aime apprendre.”
Avenir.
En face, un terrain abandonné. Un peu plus loin, le voisinage vaque à ses occupations pendant que certains rentrent du travail d’un pas hâtif avant qu’arrive le froid et que tombe la nuit. Rien d’anormal ou presque. Cité Briqueterie, à Batterie Cassée, vit au rythme de tous les préjugés dont les banlieues des villes sont affublées : drogue, pauvreté, précarité, violence, vulnérabilité.
Les anecdotes et les exemples pour soutenir ces dires ne manquent pas. “Mais ici, il n’y a pas que du négatif”, rétorque aussitôt Véronique Mars. D’autres exemples positifs peuvent être cités, poursuit la travailleuse sociale. La région a produit des champions, d’excellents artistes et musiciens, des citoyens qui ont brillé dans différents domaines. En ce moment, plusieurs jeunes sont à l’université. L’avenir que les habitants espèrent meilleur se construit maintenant, à travers les enfants.
Proies.
D’où l’accompagnement pédagogique offert par le centre, situé dans l’Impasse Cocotterie depuis une année. Il y a trois ans, le projet avait été lancé par des habitants de la région, dans le centre social de Batterie Cassée. “Nous nous sommes rendu compte que beaucoup d’enfants de la région avaient du mal à s’appliquer à l’école”, souligne Véronique Mars, coordinatrice du projet. Pour Melvina Jean, animatrice, il était également nécessaire d’offrir un encadrement à ses enfants dans cette région où les fléaux sont constamment en quête de nouvelles proies.
Tout a commencé modestement, mais avec une vraie conviction. L’une des premières étapes a été de rendre confiance à ces enfants qui auraient pu percevoir l’exclusion comme une manière d’être. “Souvent, quand ils entendaient des jeunes et des enfants réussir ailleurs, cela les affectait. Parce qu’ils avaient la perception, qu’eux, ne pouvaient briller”, confient les animateurs. D’où le nom – Ki Fer Pa Mwa – choisi pour l’ONG et prononcé davantage comme un défi qu’une simple question. Animé par des bénévoles, le centre a ouvert ses portes à une cinquantaine d’enfants de la région.
B.A.-BA.
Dans certains cas, il a fallu revenir au b.a.-ba : “Après des années passées à l’école, ils ne connaissaient toujours pas l’alphabet et étaient incapables d’écrire leurs noms”, souligne Melvina Jean. Aucune formule magique pour rattraper ce retard : il aura suffi de peu de temps pour y arriver. Chaque après-midi et les samedis, rendez-vous est donné aux enfants dans les locaux du centre où le travail effectué à l’école est repris en commun. “Ici, nous accordons une attention spéciale à chacun des enfants. À l’école, l’enseignant n’a pas toujours le temps pour cela et envoie ceux qui ont des difficultés au fond de la salle de classe.”
Alors que l’école normale désespérait d’eux, les performances des enfants se sont nettement améliorées. Pour les animateurs, tous ces progrès sont des signes d’espoir et encouragent les bénévoles, même si les moyens restent limités. Un système a été élaboré pour que les parents s’intéressent aussi au travail des enfants. Des rencontres avec les animateurs ont lieu une fois par semaine.
Mais le centre ne se résume pas à une affaire académique. Les enfants sont exposés aux valeurs. “Nous leur enseignons également la discipline”, précise Kenny Ramen, animateur.
Survivre.
Le projet a vu le jour grâce au soutien apporté du Lions Club, de la MCB, de la municipalité de Port-Louis, du gouvernement, du contracteur Mario Porphire (qui habite la région) et d’autres sponsors. Ki Fer Pa Mwa survit à travers la générosité des uns et des autres. Mais cela ne suffit pas. Car après chaque session de travail, une collation est offerte aux enfants. “Souvent, ce sont les membres de l’ONG qui financent cette collation. Parfois, les parents nous font aussi parvenir quelque chose”, souligne Jean-Claude Lily, vice-président de l’ONG. Le jour de notre visite, un petit paquet de biscuits et un jus ont été offerts à chacun.
Un soutien plus régulier est souhaité : “Certains enfants n’ont que cette collation comme repas.” Si elle reçoit l’aide escomptée, une cuisine pourra être aménagée afin qu’un repas chaud puisse être servi à chaque enfant. La cuisine sera aussi un espace où les animateurs apprendront aux enfants à cuisiner. Il faudrait aussi faire poser une toiture dans la cour pour protéger les enfants de la pluie et du soleil.
Action.
Mais le plus gros souci demeure l’accès à l’eau, la CWA ayant réclamé Rs 13,000 à l’ONG pour une connexion. Les fonds pour les dépenses courantes faisant déjà défaut, l’on arrive difficilement à se débrouiller.
Cet après-midi, la séance de travail est animée par Miss Dielanie Durhône, qui enseigne l’histoire et les sciences. On y parle de “Mahé de La Bourdonnais, de Pierre Poivre, de l’histoire de Maurice”, s’empressent de dire les enfants. Puisque Pierre Poivre a été cité, autant parler d’une de ses réalisations. “Le Jardin de Pamplemousses”, répondent les petites voix. Quant à Mahé de La Bourdonnais, une voix se détache pour nous rappeler que ce dernier était arrivé à Maurice en 1735…
En trois ans, Ki Fer Pa Mwa a eu suffisamment d’arguments à faire valoir pour soutenir la pertinence de son action.

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