Armoogum Parsuramen : « Le gouvernement se moque du sort des handicapés »

Notre invité de ce dimanche est Armoogum Parsuramen, le fondateur et président de la Global Rainbow Foundation, laquelle vient de célébrer ses sept ans d’existence. Dans l’interview que vous allez lire, il souligne les problèmes des handicapés mauriciens et le désintérêt du gouvernement à leur égard. Dans le deuxième volet de l’interview, l’ancien ministre nous fait part de son analyse sur la situation sociopolitique du pays.

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  • Vous célébrez, cette semaine, les sept ans d’existence de l’ONG Global Rainbow Foundation comme s’il s’agissait d’un anniversaire de vingt ans. Ce n’est pas un peu exagéré ?

— D’abord, pour moi, les sept ans de la Global Rainbow Foundation, qui a eu un parcours extraordinaire, équivalent à vingt ans d’existence. Ensuite, je crois dans la numérologie, et le chiffre sept est important pour moi. Puis, dans l’arc-en-ciel, il y a sept couleurs, n’est-ce pas ?

  • C’est vrai qu’à l’époque vous avez souvent cité l’arc-en-ciel dans vos discours de ministre de l’Education et de la Culture pour symboliser la nation mauricienne. Mais il n’en est pas moins vrai que beaucoup vous ont rétorqué que dans l’arc-en-ciel, les couleurs sont séparées les unes des autres, et ne se mélangent jamais.

— Je vous rappelle que feu Mgr Margéot avait soutenu ce symbole. Pour moi, pour que l’arc-en-ciel puisse exister, il faut que chacune des couleurs qui le composent soit préservée. Nous devons rester côte à côte, ensemble, et ne pas nous mélanger pour faire une seule couleur. C’est ça la beauté de la diversité de l’arc-en-ciel.

  • Quand on entend ce qui se dit aujourd’hui dans les meetings, les réunions, et certaines déclarations, on peut se demander si l’arc-en-ciel dont nous parlons n’est pas en train de disparaître.

— Je me pose beaucoup de questions sur la situation sociale de notre pays et sur le moral des Mauriciens.

  • Nous allons y revenir. Quel est le bilan de ces sept ans de la Global Rainbow Foundation ?

— J’ai lancé cette fondation le 11 novembre 2011, quand j’ai pris ma retraite et que j’ai décidé qu’après avoir beaucoup reçu tout au long de ma vie, j’allais désormais consacré ce qui me reste comme temps pour suivre le précepte qui dit : « In life you learn, you earn and you return ». Au départ, je n’ai pas été soutenu et les débuts de la fondation ont été difficiles. Je n’ai pas obtenu de CSR au cours des premières années et j’ai dû me débrouiller et faire appel à mes amis et à mes réseaux. Mais au cours de ces sept ans, nous avons réussi à soulager, apporter une aide, une dignité et une autonomie à pas mal de Mauriciens handicapés. A ce jour, nous avons offert des prothèses à 1 300 Mauriciens et à 200  Sénégalais. J’aimerais signaler que deux de ces Mauriciens bénéficiaires de prothèses sont devenus des techniciens qui fabriquent des prothèses pour les autres. Par ailleurs, nous avons fait beaucoup de plaidoyer pour que les droits des handicapés soient reconnus et respectés, mais c’est un combat beaucoup plus difficile.

  • Ce combat est beaucoup plus difficile aujourd’hui qu’hier ?

— Dans une certaine mesure, la réponse à cette question est oui. Il est triste d’avoir à constater que dans cinq cas j’ai dû faire appel à l’Equal Opportunity Commission pour que le droit des enfants handicapés à fréquenter une école soient respecté. A l’époque, la réponse était immédiate, aujourd’hui ça prend beaucoup plus de temps, comme ce dernier cas que avons soumis à la commision. Il s’agit d’une petite fille qui, suite à une opération après sa naissance, doit porter un appareil auditif. Elle habite Union Park, a eu d’excellents résultats au primaire et a demandé son admission dans un collège à Plaine-Magnien, non loin de chez elle. Le ministère de l’Education a décidé de l’envoyer dans un collège à Curepipe en dépit d’un certificat médical qui dit qu’à cause de ce handicap cet enfant supporte mal l’hiver curepipien. En dépit de tout cela, le ministère reste sur ses positions. J’ai logé une plainte à l’Equal Opportunity Commission, qui a tenu cinq réunions sur ce cas et proposé des solutions, mais le ministère ne cède pas.

  • Comment peut-on expliquer que le ministère de l’Education donne l’impression qu’il se désintéresse totalement du sort des enfants handicapés ?

— J’essaye de comprendre, sans y parvenir.

  • Est-ce que c’est une politique décidée par le ministre ou par ses officiers ?

— J’ai été ministre de l’Education et je sais, par expérience, que ce genre de situation peut être réglée en une journée. Personnellement je blâme la ministre de l’Education qui a un pouvoir discrétionnaire dont elle n’use pas, alors qu’elle l’a déjà fait dans un autre cas d’enfant handicapée, une aveugle dont Week-End avait cité le cas. Je ne comprends pas l’attitude du ministère. Mais il n’y a pas que dans l’éducation que cela se passe. Je vous cite le cas d’une handicapée qui, selon le Service to Mauritius, programme institué par le gouvernement dans le but de venir en aide aux jeunes gradués, aurait pu se faire embaucher. Elle n’a pu le faire, parce qu’elle ne bénéficie pas d’une allocation de transport pour se déplacer.

  • Mais que disent les ministres ?

— Ils font semblant de ne pas entendre les doléances et ils ne répondent pas aux lettres ! Les ministres concernés reportent toute la faute sur les fonctionnaires et sur les règlements, ce qui est injuste parce qu’un ministre a des pouvoirs dont il doit user et des responsabilités qu’il doit prendre. Ils n’ont pas la volonté de venir en aide aux handicapés et c’est visible. Revenons à l’éducation, les enfants handicapés n’ont pas les livres spécialisés dont ils ont besoin pour étudier. Comment, dans ce cas, peuvent-ils étudier et passer des examens ? Au lieu d’être aidés, ils sont négligés, ne bénéficient pas du support dont ils ont besoin et des facilités techniques qui existent. Ils sont, il faut le répéter, doublement handicapés à Maurice et donc, il faut continuer le combat tous les jours. Heureusement qu’il y a, quand même, des personnes comme le responsable des Editions de l’océan Indien, qui a accepté d’aider   les handicapés à trouver les livres spécialisés dont ils ont besoin et que le ministère ne leur fournit pas.

  • Peut-on aller jusqu’à dire qu’il y a une volonté officielle de ne pas venir en aide aux handicapés dans ce pays ?

— J’incline malheureusement à le penser. On dirait que le gouvernement se moque du sort des handicapés ! Il semble penser que ce sont des problèmes qui ne le concernent pas, leur attitude le démontre et cela ne date pas d’aujourd’hui. Je vous donne un autre exemple : au lancement de la Fondation et son travail pour les aveugles, le ministère de l’Education, dirigé alors par Vasant Bunwaree, a voulu venir en aide à cette catégorie de handicapés. Il a offert à 18 d’entre eux un monitor chacun, mais sans l’appareil nécessaire pour le faire fonctionner, ce qui fait qu’il est inutilisable ! J’ai aussi tendance à croire que le gouvernement ne s’intéresse pas vraiment au sort des handicapés quand je lis le texte de loi instituant le Special Need Authority qui a été voté cette semaine au Parlement.

  • Que reprochez-vous à ce texte de loi qui semble vouloir s’occuper des handicapés ?

— C’est l’impression que le gouvernement veut donner. Mais ce qu’il n’a pas fait, en dépit du fait que cela figurait dans le manifeste électoral de l’alliance — et du PTr/MMM aussi d’ailleurs —, c’est de faire voter un Disability Bill, qui fait partie d’une convention internationale signée par l’Etat mauricien. Cette non-action a valu des critiques à l’Etat mauricien par les Nations unies. La loi qui vient d’être votée a été rédigée sans consultations avec les parties directement concernées, sans leur demander leurs propositions. Avant de faire voter une loi sur le handicap, le gouvernement indien — qui est, nous dit le gouvernement mauricien, le modèle à suivre — avait consulté toutes les parties concernées. A Maurice, c’est le contraire qui a été fait et je suis contre cette approche, car cette loi est loin de régler le problème des handicapés à Maurice. C’est qu’elle va faire, c’est d’instituer une nouvelle autorité — sur le modèle de la PSSA — pour contrôler les écoles du secteur, mais la tâche va être compliquée dans la mesure où les définitions sont vagues.

  • Est-il nécessaire d’instituer une nouvelle autorité ? Le ministère de l’Education ne contrôle-t-il pas déjà le secteur ?

— C’est une bonne question. La manière dont les choses se sont passées me pousse à me demander si The Special Education Needs Authority Bill n’a pas été votée juste pour caser quelqu’un, un proche d’un ministre, à sa tête. Le gouvernement aurait été plus crédible vis-à-vis des instances internationales et aurait tenu une de ses promesses électorales en présentant et en faisant voter un Disability Bill. En refusant de le faire, le gouvernement mauricien va se faire, une fois de plus, taper sur les doigts par les commissions des Nations unies pour non-respect des conventions internationales. La loi qui a été votée ne prend pas en réelle considération les vrais problèmes des handicapés. Au lieu de viser à l’inclusion, c’est la ségrégation qui en résultera. Le but n’est pas d’inciter les enfants handicapés à aller vers l’école publique, c’est-à-dire l’inclusion, mais à les confiner dans des écoles spécialisées qui seront gérées par la nouvelle autorité. A Maurice, au lieu d’avancer, comme c’est le cas partout dans le monde, le combat pour la reconnaissance des droits des handicapés recule.

  • La Global Rainbow Foundation a aussi un autre cheval de bataille : le rétablissement de la pension pour les handicapés quand ils ont atteint 60 ans.

— C’est un autre vrai problème dont la source réside dans le fait que le terme “droit des handicapés” ne figure pas dans la Constitution, ce qui est une autre entorse aux conventions internationales. Pour le gouvernement, il semble logique qu’un citoyen autrement capable ne puisse avoir droit à deux pensions payées par l’Etat. Il est en train d’appliquer un raisonnement technique à un problème humain. Une personne handicapée a droit à une pension, dont la somme est égale à celle de la pension de vieillesse. Quand un invalide a 60 ans, après tous les problèmes et toutes les difficultés qu’il a vécus, on lui coupe sa pension d’invalide afin qu’il puisse toucher sa pension de vieillesse. Mais les fonctionnaires qui sont encore en service touchent la pension de vieillesse avant de toucher, à leur retraite, leur pension de l’Etat, et cette mesure discriminatoire envers les handicapés ne semble pas déranger le gouvernement. Mais, allons plus loin, le ministre mentor touche tous les mois son salaire de ministre, sa pension d’ex-président de la République et sa pension de vieillesse sans que cela dérange le ministre des Finances. SAJ a-t-il plus besoin de sa pension de vieillesse qu’un handicapé à qui le gouvernement a coupé sa pension d’invalide ? Et dire que le rétablissement de la pension des invalides figurait dans le manifeste électoral de Lalians Lepep !

  • Franchement, Armoogum Parsuramen, après avoir fait trente ans de politique, vous pensez que les mesures des manifestes électoraux sont rédigés pour être mises en application ? Vous avez bâti votre réputation de directeur d’ONG sur le fait que vous vous étiez retiré de la politique active et ne souteniez aucune alliance ou parti. Or, pour la célébration des sept ans de la fondation, vous avez invité Navin Ramgoolam. En ce faisant, n’avez-vous pas manqué à votre parole ?

— J’ai déjà dit, et je le répète une fois encore, que je ne fais plus de politique active depuis que j’ai pris ma retraite de l’UNESCO. Depuis, je me suis engagé dans la voie du service qui m’apporte une satisfaction totale. Dans le passé, j’ai déjà invité des ministres et différentes personnalités à assister aux activités de la Global Rainbow Foundation. J’ai invité Navin Ramgoolam dimanche dernier, parce que c’est lui qui, il y a sept ans, avait lancé ma fondation et m’a aidé à faire mon travail. J’ai trouvé tout à fait normal de l’inviter pour les sept ans de la fondation.

  • Des membres du gouvernement étaient également invités à cette activité ?

— Non, pas cette fois. J’ai invité Ramgoolam à venir constater le bilan de ce que nous avons fait depuis qu’il a lancé la fondation. Il n’y avait rien de politique dans cette démarche.

  • Vous allez me faire croire que vous, le vétéran de la politique, n’avez pas mesuré la portée politique de cette invitation, la manière dont elle allait être interprétée dans le contexte préélectoral que nous vivons actuellement ?

— J’ai lancé cette invitation de bonne foi, sans aucune arrière-pensée politique. Vous savez, il y a des gens qui n’ont pas d’agenda politique et qui font les choses positives dans ce pays. Il faut être capable de ne pas s’enfermer dans ces raisonnements pour et anti. Je sais qu’il y a eu des commentaires, souvent désobligeants, sur cette invitation. Mais j’aimerais dire une chose : ces mêmes personnes qui me critiquent aujourd’hui ont été hier, et à plusieurs reprises, les alliés de Navin Ramgoolam. Ils ont fait partie de ses gouvernements, ont accepté d’être ses nominés politiques. Qui a renouvelé le mandat de SAJ comme président de la République ? A cette époque, Ramgoolam était plus que fréquentable. Mais dés qu’ils rompent avec Ramgoolam, il faut que tout le monde fasse la même chose ? Et si demain ils refaisaient alliance avec Ramgoolam, ce dernier va redevenir fréquentable ? Je ne fonctionne pas de cette manière-là. J’ai invité Navin Ramgoolam parce que j’avais une raison valable pour le faire, point à la ligne.

  • Maurice étant un pays où tout est hyper interprété et analysé à l’aune de la politique partisane, cette invitation de Navin Ramgoolam ne risque-t-elle pas d’avoir des répercussions négatives sur l’action de la Global Rainbow Foundation ?

— J’espère que non. Je vais continuer le combat, qui est juste, que le gouvernement soit content ou pas. De toutes les manières, la fondation n’a pas reçu beaucoup de soutien de la part du gouvernement jusqu’à maintenant. Je vais attendre la décision de l’EOC sur le cas dont nous avons parlé avant d’entamer des démarches sur le plan international pour que les droits de cette petite fille handicapée soient reconnus et respectés. Que les autorités soient contentes ou non.

  • Vous ne faites pas de la politique active, mais on peut tout de même en parler, puisque je sais que vous suivez l’évolution des choses. Quelle est votre analyse de la situation sociopolitique actuelle ?

— Il faut écouter ce que disent les Mauriciens dans les radios et les journaux. Il est clair qu’il y a un mécontentement qui se généralise dans le pays. La manière précipitée dont sont faits les travaux pour le métro léger, avec tous les inconvénients que subissent les gens, est un vrai problème qui aura des répercussions. Je constate aussi une tendance du gouvernement à museler la population par des lois votées en catimini. Je constate une volonté de vouloir tout contrôler qui n’augure rien de bon pour le pays.

  • Mais vous avez fait partie de gouvernements qui pratiquaient également cette politique. Souvenez-vous de la loi sur les journaux de 1984. Je ne me souviens pas de vous avoir entendu dire que la démocratie était en danger à ce moment-là… 

— Tous les ministres ne sont pas forcément d’accord avec toutes les décisions du gouvernement, mais la solidarité gouvernementale doit primer. Pour revenir à mon analyse de la situation actuelle, il est clair que ce gouvernement manque d’autorité et de leadership et que chacun fait ce qu’il veut, comme c’est le cas pour Showkutally Soodhun. Cette manière de faire existe parce que le chef du gouvernement est incapable de mettre de l’ordre dans ses rangs, surtout pour ne pas risquer de démission qui pourrait affaiblir sa majorité. C’est ainsi qu’on a eu un Deputy Speaker le temps d’une demi-journée, et il a été remplacé par un back-bencher sur une base nettement communaliste. Le gouvernement Jugnauth de 1983 à 1995 n’a rien à voir avec le gouvernement Jugnauth d’aujourd’hui. A l’époque, Anerood Jugnauth prenait des décisions dans le cadre d’une ligne politique claire. Aujourd’hui, il n’y a ni décision ni ligne politique claires.

  • Mais l’opposition — ou les oppositions — n’a pas, non plus, de ligne politique claire ou de ligne tout court !

— C’est vrai. Elle est divisée, elle est incapable de constituer un front uni pour faire face au gouvernement. Chacun des partis de l’opposition a son agenda, sa stratégie, ses positions sur les alliances à venir.

  • Avec ce que nous venons de dire, est-il possible d’envisager qui pourrait remporter les prochaines élections générales ?

— C’est une question qui n’a pas de réponse pour le moment, tant les options d’alliances sont ouvertes. Il faudra attendre que le Parlement soit dissous, la date des élections annoncée et les alliances — s’il y en a — conclues pour voir un peu plus clair dans le jeu politique et discerner les tendances fortes. Je pense que le Mauricien n’est pas dupe et qu’il saura, le moment venu, prendre la bonne décision pour son avenir et celui du pays. Quant à moi, je vais continuer à servir les plus vulnérables, quel que soit le gouvernement en place. Je vais faire le maximum pour soulager autant de personnes, et autant de personnes handicapées, que possible.

Jean-Claude Antoine

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