Au cœur du confinement — Sarvesh  Dosooye : « Moins de souci si l’on diminue le risque d’être contaminé ! »

Depuis que le pays est en confinement à cause du Covid-19, la plupart des Mauriciens, soucieux de la protection de leur santé, restent chez eux. Or, être confiné chez soi et voir le nombre croissant de cas positifs à ce virus augmente le niveau de stress chez la personne déjà stressée dans sa maison. Mais parfois lorsque les règles de base ne sont pas respectées – même si on prend les précautions – nous sommes à risque d’être infectés par des gens qui sont insouciants. Ce qui fait accroître le stress. Le confinement apporte son lot de problèmes que ce soit dans la famille mais présente également des opportunités de pouvoir s’améliorer. Selon Sarvesh Dosooye, directeur général de Forward Psychology Consulting, si les risques de contamination sont minimes, le stress le sera aussi dans un moment pareil.

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Depuis que le pays est en confinement, ce sont des milliers d’employés qui se voient obligés de travailler chez eux. Ce confinement est nouveau pour ceux qui ont l’habitude de travailler au bureau. Quels sont les effets que cela peut avoir sur notre santé mentale ?

Les effets sont assez variés, tant positifs ou négatifs. Si nous prenons le cas de Maurice, les Mauriciens qui ont l’habitude d’aller au bureau ont une certaine routine. Et ce changement apporte une certaine résistance chez eux. Quand une routine s’arrête, les gens sont mal à l’aise et sont un peu hors d’eux. Ils ne sont plus confortables. Et lorsqu’une personne n’est pas confortable, elle doit gérer ce stress additionnel qui vient d’être créé par ce changement. C’est à ce moment qu’on verra des changements dans son comportement, dans sa pensée, dans ses émotions.

Si nous parlons des avantages du confinement, ils sont plusieurs. Par exemple, lorsque nous travaillons à la maison, on est épargné de l’embouteillage du matin. On peut se réveiller légèrement plus tard et être un peu moins stressé. Cela nous donne plus de flexibilité et c’est toujours bien. La personne se sent plus à l’aise. Il y a moins de stress qui s’accumule. En travaillant de la maison, la personne a des possibilités de faire des choses qu’elle n’aurait pas pu faire lorsqu’elle allait au bureau. Elle peut s’adonner à une petite escapade pour manger quelque chose, boire une tasse de thé ou aller voir le/la conjoint(e), voir les enfants. Évidemment, on le fait lorsqu’on est en pause. Mais qui dit plus de flexibilité dit aussi davantage de responsabilités. Le travail de la maison n’est pas aussi simple car la personne est appelée à aménager un espace délimité pour le travail. Sinon, les barrières entre la maison et le travail vont simplement disparaître. La personne doit être plus disciplinée, ce qui peut être difficile pour certains. En termes d’initiatives, c’est vrai que d’aucuns ont du mal à en prendre. Celles-ci nécessitent qu’on leur donne des directives pour qu’elles puissent travailler. Mais à la maison, cela n’existe pas. Trop de liberté peut nuire car la petite bête qui s’appelle ‘la tentation’ va s’insérer dans la vie de la personne. Elle est tentée par la télévision, la radio, les enfants, les parents, les animaux. Les tentations sont multiples. Et les personnes qui ont du mal avec la discipline vont se laisser distraire très facilement et cela peut causer une baisse dans la productivité. Mais c’est aussi compréhensible que la productivité ne va pas être la même. Le télétravail n’est pas facile pour tout le monde et beaucoup d’entreprises et d’employeurs n’ont pas de facilités pour cela et les travaux qui ne peuvent pas se faire à la maison doivent être pris en compte pour expliquer cette baisse de productivité. Le facteur humain peut jouer dans la balance aussi. Elle prendra deux à trois fois plus de temps à faire le même travail. Ce qui n’est pas forcément facile. Un autre aspect que nous avons tendance à négliger est l’isolement. Un des avantages d’aller au bureau est de rencontrer des gens qu’on voit tous les jours. On rencontre des collègues ou des amis. Le contexte social aide beaucoup de personnes à garder le moral. L’homme est un animal social et avoir des contacts et voir ses groupes le font du bien. Mais lorsque celui-ci reste à la maison, il perd ce côté. L’être humain s’adapte facilement mais il suffit qu’il le veuille.

Qui sont ceux qui sont les plus affectés par le confinement ?

Chacun le vit différemment. Certaines personnes habitent seules, et c’est l’isolement total car elles n’ont aucun contact avec personne. Le confinement peut être dur. Outre cet aspect, il y a le secteur informel. On parle des employées de maison, des jardiniers, des maçons. Ce sont des emplois où les gens sont payés au jour le jour. Si ces gens ne travaillent pas, ils n’ont pas d’argent. C’est pourquoi nous voyons qu’ils sont plusieurs à ne pas avoir les moyens ni le temps de faire leurs provisions. Ainsi, ils se retrouvent sans denrées de base. Ces gens sont les plus affectés que des personnes qui ont une certaine somme d’argent en réserve. C’est vrai que vivre au jour le jour demande une planification. Nous avons aussi des personnes de nature stressée et d’autres qui ont le moral moins fort. Ces gens sont très stressés par ce qui se passe autour d’eux. Déjà rester à la maison peut donner quelques petits troubles après un certain temps. Chacun a une compréhension différente et peut avoir du mal à saisir certaines informations, et l’on peut se stresser davantage par rapport à d’autres. Certaines personnes sont hypersensibles et se sentiront très mal en voyant tout ce qui se passe autour d’elles.

 

Pensez-vous que le confinement peut donner lieu à d‘autres problèmes telle la violence conjugale ou être la cause des maladies à cause d’une mauvaise alimentation ?

Oui, et c’est le cas partout dans le monde. Le confinement peut donner lieu aux troubles dans les couples. Ce n’est pas forcément de la violence pour tout le monde, mais le fait que chaque partenaire commence à se connaître. Peut-être qu’ils n’ont pas passé autant de temps ensemble qu’aujourd’hui. Et là on découvre qui l’autre est vraiment. Cela peut causer quelques petites pressions. Ce qui n’est pas à ignorer. Si nous prenons les couples dont la situation financière est précaire, ils auront du mal. D’abord, ils sont stressés et cela jouera sur la dynamique du couple. Déjà être ensemble toute la journée pendant tous ces jours peut être dur car les gens peuvent s’aimer autant qu’ils le peuvent mais il est important de voir aussi d’autres personnes. Et ceci peut engendrer de la violence et affecter les couples. Ce qui est aussi la cause des divorces. C’est ce qui se passe au Royaume-Uni. Plusieurs couples se séparent car ils ne peuvent pas rester ensemble étant donné les circonstances. D’autres maladies peuvent s’installer lorsqu’on ne fait rien à la maison à cause de mauvaises habitudes. Les gens mangent et boivent mal du matin au soir, d’où l’importance des activités physiques. Pour faire passer le temps, les gens tendent à boire beaucoup. Qu’est-ce qui se passera après un mois de confinement ? On ne le sait pas.

Comment préserver notre santé mentale à un moment où d’une part nous sommes stressés par le travail et que d’autre part, le nombre de cas positifs liés au Covid-19 augmente à Maurice ?

Il faut d’abord comprendre ce qui se passe et non pas seulement réagir à ce qui se produit. Si nous prenons les précautions, les risques sont moindres. Le problème c’est que nous n’avons pas de contrôle sur les facteurs externes. Pourquoi se soucier de ce qui se passe ailleurs alors qu’on est censé faire le maximum collectivement et individuellement. Mais parfois lorsque nous voyons beaucoup de personnes qui ne respectent pas les règles de base – même si on prend les précautions – nous sommes à risque d’être infectés par des gens qui sont insouciants. Cela peut nous stresser davantage. Mais il faut se focaliser sur comment l’individu pourrait se protéger pour éviter ou diminuer les risques de contamination. C’est vrai que beaucoup de personnes ne se soucient pas de ce qu’elles font mais la personne réfléchie prendra ses précautions. Si la personne diminue ses risques d’être contaminée, elle a moins de souci comparé à une autre personne. Il faut savoir anticiper et non pas seulement réagir. Ce qui se passe aujourd’hui est le résultat de ce qui s’est passé auparavant. Tant qu’une personne reste chez elle, il y a moins de soucis. Il faut justement savoir baisser et gérer le stress. La différence c’est comment on la gère. Il suffit de savoir gérer son temps et apprendre quelque chose de nouveau. Pourquoi ne pas parler à votre conjoint(e) ? Il y a combien de personnes qui ne se parlent pas. Pourquoi ne pas faire le jardinage ou se consacrer à la méditation ? On peut s’améliorer durant cette période. Cela permettra de préserver la santé mentale, et l’exercice physique est important. Une bonne santé physique et mentale est étroitement liée.

Pensez-vous que la santé mentale est un sujet qu’on a peur d’aborder dans un moment pareil ?

Sachant que les gens ont du mal à parler en temps normal, je constate maintenant que ça change car les gens se sentent vraiment affectés. La psychologie a toujours été un tabou, pas seulement à Maurice mais à travers le monde. Mais maintenant les gens comprennent vraiment l’aspect mental de la santé. C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de personnes qui se sentent « vraiment » bien. D’une certaine manière, nous pouvons dire que cette psychose aide la psychologie parce que les gens comprennent un peu plus l’importance de la santé mentale. La santé physique est visible alors que la santé mentale ne l’est pas. C’est quelque chose qu’on ignore souvent. Et là on doit lui accorder l’attention qu’elle mérite. Ce n’est peut-être pas suffisant mais c’est un bon début. On peut voir que les personnes stressées prennent des décisions qui sont moins bonnes. Les personnes frustrées sont plus susceptibles de faire des choses qu’elles regretteraient après. Tout cela est lié à la santé mentale. Une personne frustrée conduit de manière agressive sur la route. Tout cela, ce sont des conséquences d’une santé mentale qui n‘est pas forcément adressée. Si on parle de santé mentale durant cette période, déjà le manque de discipline pourrait être quelque chose de mental car une personne qui n’arrive pas à se gérer n’arrivera pas à respecter les consignes. D’ailleurs, la psychologie du travail est un sujet dont on parle peu à Maurice.

Comment peut-on détecter si une personne souffre d’un problème mental à cause du confinement ?

Un examen par un professionnel y est nécessaire. A Maurice, nous avons 1,3 million de ‘psychologues’… En effet, tout le monde se prend pour un ‘psychologue’. Ce qui est très dangereux. Pour détecter une personne qui souffre, on n’a qu’à voir son comportement. Des changements que nous apercevrons sont révélateurs.

 

Quelles sont les leçons que nous pouvons retenir, et comment nous préparer dans l’éventualité que nous soyons à nouveau frappés par un autre événement de la même intensité ? 

La capacité de se gérer et de gérer les autres en temps de crise n’est pas donnée à tout le monde. Ce n’est pas parce qu’on aime une personne qu’elle sera compétente. La compétence c’est la capacité de produire et d’être productif de manière concrète et précise dans une situation donnée. Une personne peut être compétente dans une situation mais pas dans une autre. De ce fait, il faudra faire appel aux gens compétents. Je ne veux pas dire que les gens qui travaillent ne sont pas compétents mais tout le monde peut s’améliorer. Je pense que les mêmes personnes qui gèrent cette crise aujourd’hui seront plus compétentes dans le cas d’une deuxième crise. La leçon c’est d’éduquer, faire confiance et être impartial. On ne peut anticiper certaines choses mais autant que possible essayons de prévenir. Tel est le cas pour la santé mentale et pour d’autres situations.

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