Chagos : l’Inde et l’UA, Trump Cards pour Maurice

  • Dans un Written Statement à la Cour Internationale de Justice, New Delhi soutiendra que « Mauritius has historical sovereignty over the Chagos Archipelago »
  • L’Union africaine obtient une extension d’un mois du délai pour la soumission des exposés écrits au sujet de la décolonisation et de l’excision des Chagos du territoire mauricien
  • Londres poursuit son opération de charme envers des membres de la communauté chagossienne avec le Chagos Islands British Citizenship Bill

À l’approche de la date butoir pour la soumission des written statements à la Cour Internationale de Justice (CIJ) en marge de l’advisory opinion sur les Chagos contre la Grande-Bretagne, Maurice a franchi un cap crucial. Port-Louis peut désormais compter sur le soutien indéfectible de deux alliés de taille dans ce différend politico-diplomatique face à l’ancienne puissance coloniale, la Grande-Bretagne. L’Union africaine, qui prendra une part active dans les débats sur le processus de décolonisation avec en toile de fond l’excision de l’archipel des Chagos, a obtenu de la CIJ de La Haye une extension du délai pour transmettre ses arguments. De son côté, l’Inde devrait également se signaler avec un éventuel document formel au registrar de cet organe juridique des Nations unies pour soutenir la thèse de la « historical sovereignty » de Maurice sur les Chagos. De son côté, Londres n’en démord pas et poursuit son opération de charme à l’égard des membres de la communauté chagossienne avec son cheval de Troie sous forme de Chagos Islands British Citizenship Bill. Par contre, la visite de courtoisie du nouvel ambassadeiur américain à Maurice, David Dale Reimer, vendredi, a été l’occasion pour le Premier ministre, Pravind Jugnauth, de « voice his concerns on the Chagos Archipelago Issue ».

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Le poids diplomatique de l’Inde, qui est parvenue à faire élire un de ses éminents juristes à la Cour International de Justice au nez et à la barbe de la Grande-Bretagne, constituera une des deux Trump Cards pour Maurice lors de la prochaine étape de la request for advisory opinion sur les Chagos. Suite à des échanges diplomatiques intenses, New Delhi pourrait consentir à s’engager formellement par écrit aux côtés de Maurice avec un written statement à la CIJ, dont « the main thrust would be on the lines to prove that Mauritius has historical sovereignty over the Chagos Archipelago ». Une autre ligne que pourraient adopter les autorités indiennes devrait s’articuler autour du fait que « there is no bilateral treaty between Mauritius and the United Kingdom which could have allowed for the Archipelago to secede ». C’est ce que révèle la publication diplomatique spécialisée indienne The Wire au cours de la semaine écoulée.

Ce développement est accueilli favorablement par Port-Louis, dans la mesure où l’absence de la Grande Péninsule comme un des sponsors de la résolution 71/292 du 22 juin 2017 aux Nations unies pour la request de cette advisory opinion était diversement commentée. La publication The Wire avance que « India also kept some distance when it did no agree to Mauritius’ request to co-sponsor the resolution. Officials claimed that India wanted to keep open channels of communication with the US and UK on this question. » Toutefois, l’intervention du représentant permanent de l’Inde à l’ONU, Syed Akbaruddin, aurait convaincu d’autres États membres, jusque-là hésitants, à se prononcer en faveur de la résolution de Maurice. L’une des précédentes fois où l’Inde avait soumis des written submissions à La Haye remonte à 1995-96 sur le dossier de la « legality of the threat and the use of nuclear weapons ».

Dans la conjoncture diplomatique et politique, le dossier des Chagos est au centre d’une opération de horse trading entre New Delhi et Washington au sujet de la sécurité dans l’océan Indien vu les ambitions affichées par la République populaire de Chine. Washington est présenté comme étant déçu de l’éventualité des observations écrites et formelles de l’Inde sur les Chagos à la CIJ. The Wire assume que la posture adoptée au sujet du maintien de la présence des Américains à Diego Garcia constituerait un compromis concocté par New Delhi, qui était pendant la période de la Guerre froide « staunchly opposed to the military presence of any non-litoral power in the Indian Ocean ».

Commentant cet ajustement d’envergure par rapport aux « security concerns relating to the Indian Ocean », The Wire ajoute que « the change in India’s position can also be attributed to the increasingly visible Chinese role in the Indian Ocean. If the US decreases its activity in the Indian Ocean region, then the vacuum would be filled by China sweeping in, Indian officials believe. That was one of the reasons New Delhi had convinced Mauritius to publicly offer a long-term lease to the US for Diego Garcia, if sovereignty was restored. This offer was made by the Mauritian permanent representative to the UN, Jagdish Koonjul, before the resolution was put to vote in the Unied Nations General Assembly ».

Un autre facteur déterminant en marge de l’arbitrage de la CIJ concerne la décision irrévocable de l’Union africaine de prendre part aux débats axés sur la décolonisation aux termes des résolutions adoptées par les Nations unies. La lettre officielle du 10 janvier du conseiller juridique de l’organisation panafricaine au registrar de La Haye, Philippe Couvreur, est venue mettre un terme à une phase d’incertitude. Même si l’UA a patronné la résolution du 22 juin 2017 sur les Chagos, très peu de signes au sujet d’un written statement étaient tangibles venant d’Addis-Abeba jusqu’en début d’année.

Opération de charme

Cette correspondance de l’UA portait sur deux points, à savoir que « cette organisation soit autorisée à fournir des renseignements, par écrit et oralement, sur la question soumise à la Cour pour avis consultatif et se voie accorder une prorogation d’un mois du délai dans lequel elle pourrait présenter son exposé écrit ». Moins d’une semaine après, une ordonnance, signée du président de la Cour de La Haye, Ronny Abraham, et du greffier (Registrar), Philippe Couvreur, soutient que « l’Union africaine, qui est susceptible de fournir des renseignements sur la question [qui lui est] soumise… pour avis consultatif, pourra le faire dans les délais fixés par la Cour dans la procédure relative à la requête pour avis consultatif au sujet des Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965. » De ce fait, le délai dans lequel tous les exposés écrits pourront être présentés est prorogé au 1er mars 2018 au lieu du 30 janvier, avec également un report d’un mois, soit au 15 mai, pour les counter-submissions.

Avec ce nouveau délai, le gouvernement pourrait surseoir à sa décision de soumettre bien avant le 30 janvier toute la documentation légale justifiant la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Après les consultations de haut niveau du week-end du 6 janvier, l’Hôtel du gouvernement pourrait approfondir les échanges avec les conseils légaux, dont Me Philippe Sands, QC, pour décider de la marche à suivre.

D’autre part, la semaine écoulée a vu une double opération de charme de la Grande-Bretagne pour tenter d’amadouer encore une fois les Chagossiens. En fin de semaine, la ministre de l’Intérieur britannique, Amber Rudd, s’est rendue à Crawley, une agglomération de Londres avec une forte présence chagossienne. Faisant état de cette présence ministérielle inhabituelle, la presse régionale britannique note que « speculation was high that her visit was linked to Crawley MP Henry Smith’s Chagos Islands British Citizenship Bill that he introduced to Parliament earlier in the week. » Interrogée sur la position du gouvernement de Teresa May sur ce projet de loi, elle devait ajouter que « the Government would look carefully at it. »

En effet, mardi dernier, le député de Crawley, Henry Smith, présentant à la Chambre des Communes le Chagos Islands British Citizenship Bill a fait un véritable plaidoyer en faveur des Chagossiens. « The Chagossian islanders have been treated appallingly over half a century. This Bill does not give special privileges to them but it aims to reinstate citizenship rights that subsequent generations were prevented from acquiring as a result of their ancestors’ exile from the British Indian Ocean Territory », s’est-il appesanti, en ajoutant que « we owe this to these people. And while it will not turn back the hand of history and erase the many years of tragedy that Chagossians have suffered, it will, I hope, give some measure of fairness and enable the community to grow and prosper in years to come. »

Ce projet de loi, inscrit dans le jargon parlementaire des Private Member’s Motionsreviendra à l’agenda de la Chambre des Communes le 16 mars prochain pour des débats en deuxième lecture.

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