EXPOSITION À PARIS JUSQU’AU 6 NOVEMBRE

SALLY GABORI, artiste aborigène qui découvre la peinture à … 80 ans

Se tient actuellement à la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris l’exceptionnelle exposition de Sally Gabori, artiste autodidacte Aborigène. Qui est cette talentueuse dame qui a suscité tant d’admiration et de respect dans le milieu artistique ? Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori est née vers 1924 sur l’île de Bentick, dans le golfe de Carpentarie, au nord d’Australie. Elle appartient au peuple de Kaiadilt et parle la langue Kayardilt et à peine l’anglais. Pour comprendre et apprécier son travail, il faudrait qu’on apprenne un minimum sur sa vie avant qu’elle se mette à la peinture.

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« Largement isolés, avec une population atteignant 125 habitants en 1944, les Kaiadilt sont le dernier peuple côtier de l’Australie aborigène à être entré durablement en contact avec les colons européens. Sally Gabori et sa famille ont longtemps mené une vie traditionnelle, reposant presque sur les ressources naturelles de leur île. À partir du début des années 1940, des missionnaires presbytériens, installés depuis 1914 sur l’île voisine de Mornington, tentent de convaincre les Kaiadilt de rejoindre leur mission, en vain. Mais en 1948, à la suite d’un cyclone et d’un raz-de-marée qui inondent une grande partie de leurs terres et contaminent les réserves d’eau douce, les 63 derniers résidents Kaiadilt, dont Sally Gabori et l’ensemble de sa famille, sont évacués vers la mission presbytérienne de l’île de Mornington. Leur exil, qu’ils pensaient de courte durée, s’étendra finalement sur plusieurs décennies. À leur arrivée à Mornington, les Kaiadilt sont installés dans des campements sur la plage, et les enfants séparés de leurs parents et installés dans les dortoirs de la mission, avec interdiction de parler leur langue maternelle, rompant ainsi tous liens avec leur culture et leurs traditions », lit-on dans la brochure qui accompagne l’exposition.

Sally Gabori est considérée comme l’une des plus grandes artistes contemporaines australiennes de ces deux dernières décennies. Ce qui est exceptionnel dans son parcours qui n’a duré que dix ans, c’est qu’elle a découvert et s’est mise à la peinture à 80 ans ! En effet, c’est en visitant et en participant aux ateliers proposés aux personnes âgées par le centre d’art de Mornington qu’elle découvre la peinture et là c’est une révélation. Depuis cette visite, elle se rend très régulièrement au centre et peint plusieurs toiles par jour. Sa production devient frénétique et intensive, et occupera tout le restant de sa vie. Jusqu’à sa mort en 2015, elle aura peint plus de 2000 œuvres. La notoriété de l’artiste s’est faite en peu de temps grâce à celui qui a insisté pour qu’elle prenne un pinceau pour s’essayer à la peinture, Brett Evans, ancien CEO du centre d’art de Mornington. Mais c’est surtout grâce à la célèbre et influente marchande d’art Beverly Knight qui, depuis la mort de l’artiste gère ses œuvres et travaille en étroite collaboration avec la famille de celle-ci, que les œuvres de Sally Gabori ont pris de la valeur et se sont retrouvées dans des collections privées. Cependant, ayant abusé de la faiblesse et de l’âge avancé de l’artiste, Brett Evans a, lui, été condamné par la justice australienne à quatre ans et demi de prison pour avoir vendu une quantité d’œuvres de l’artiste sans son consentement et qui plus est, à son nom.

La fondation Cartier pour l’art contemporain consacre une rétrospective exceptionnelle (du 3 juillet au 6 novembre) d’une trentaine de toiles de Sally Gabori dont les spectaculaires grands formats et trois œuvres collaboratives réalisées avec d’autres artistes Kaiadilt, notamment ses filles et ses nièces. Hervé Chandès, directeur général de la fondation, a tout de suite été séduit quand il a découvert les œuvres de Gabori dans un catalogue d’exposition. « J’ai été complètement bouleversé … par les couleurs, par les compositions, les échelles, les dimensions, la beauté, l’espace. C’était vraiment choquant et tellement beau ». Effectivement dès l’entrée de l’exposition, nous sommes attiré.e.s  par ces grands formats sur lesquels nous retrouvons des touches très lisibles et visibles exécutées avec beaucoup de vitalité et d’énergie.

Sally Gabori y exprime une grande liberté en peignant de façon abstraite son île natale. Ses œuvres constituent autant de références topographiques que de récits ayant une signification profonde pour elle, sa famille et son peuple. Les œuvres rassemblées dans cette salle sont associées au lieu Thundi, situé au nord de l’île Bentinck. Certaines toiles représentent des phénomènes climatiques, comme les Morning Glories, ces formations de nuages de forme cylindrique ou le cyclone qui a contraint la famille à connaître l’exode. Par ailleurs, tous ces effets de lumière, de textures, de liberté gestuelle, de zones topographiques sont l’exploration des possibilités infinies de la peinture. L’artiste travaille alla prima, c’est-à-dire l’application de la peinture avant que la touche inférieure n’ait complètement séché, faisant ainsi muer les couleurs, les tonalités et les jeux de transparences. Les œuvres dans cette salle m’ont immédiatement fait penser aux toiles de Cy Twombly dont j’apprécie particulièrement le travail.

Dans la salle d’à côté, nous sommes cette fois-ci happé.e.s par les couleurs et deux toiles monumentales qui sont des œuvres collaboratives faites par des sept femmes artistes Kaiadilt. Les couleurs sont utilisées avec beaucoup d’audace. Sur ces deux toiles, elle cartographie de nombreux lieux qui lui sont chers. Ces tableaux à sept voix offrent une vision holistique et polysémique de l’attachement profond de ces femmes à leur terre natale. Chacune à leur manière illustre leur lien viscéral à leur île mais surtout à l’important legs culturel dont elles sont détentrices.

Finalement au sous-sol, nous nous retrouvons à Dibirdibi au milieu d’un tsunami de couleurs. Les tableaux, toujours monumentaux, de quatre à six mètres pour la plupart, sont accrochés pour former une frise tout autour de la salle. Les toiles réunies dans cet espace sont à la fois des célébrations du récit fondateur de son île natale et les portraits abstraits de son mari bien-aimé, Pat Gabori. C’est une ode à l’histoire Kaiadilt et aux personnes qui lui sont liées. Ici, les couleurs utilisées m’ont quelque peu fait penser à Malcolm de Chazal, tout aussi autodidacte que Gobori et qui célébrait également son île mais de façon figurative.

La rétrospective de Sally Gabori est à voir absolument si vous passez par Paris d’ici le 6 novembre. Le travail de cette artiste est une célébration de la couleur, du geste libre et un devoir de mémoire. Cette exposition est aussi la reconnaissance d’un talent issu d’une minorité qu’on a souhaité faire disparaître mais qui grâce à une production boulimique de la peinture jusqu’à la fin de sa vie à peindre et dire son île, l’histoire se souviendra pour toujours de l’île Bentinck et du peuple Kaiadilt. Peut-être pourrions-nous tirer une leçon de l’histoire de Sally Gabori : L’art doit être accessible à tous car parmi celles et ceux qui n’ont pas les moyens d’y accéder, peut sommeiller un.e Sally Gabori. Et qu’il n’y a pas d’âge pour se mettre à une activité artistique pour le plaisir!

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