Fléaux sociaux : la drogue – crever l’abcès

Vu l’état de dégradation de certaines de nos institutions ces jours-ci, le contenu d’une clé USB – qui demeure, certes, au niveau des allégations, jusqu’à preuve du contraire – accompagnant un affidavit juré en Cour suprême le 26 mai dernier par rapport à une affaire de drogue, n’étonne pratiquement personne. Ce qui surprend, en revanche, c’est ce sentiment d’impunité qui prévaut dans divers secteurs vitaux du pays sclérosant, manifestement, la société dans son ensemble. Lorsque le PM, de surcroît, ministre de l’Intérieur et responsable de la police, reconnaît que « sa bann mafia-la, zot ena linflians lor sertenn dimounn dan sertenn lotorite, dan sertenn institision », la question qui émerge spontanément : qu’est-ce qui a été fait pour la mettre hors d’état de nuire ? Or, même une des recommandations phares de l’ex-juge Lam Shang Leen prônant le démantèlement pur et simple de l’ADSU, n’a jamais été envisagée.

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Cependant, faire porter le bonnet d’âne de la drogue à l’ancien régime « qui a, pendant des années, ‘soutire’ la mafia qui s’est considérablement enrichie », selon les dires du PM environ une décennie après l’accession de son parti au pouvoir paraît, aujourd’hui, tout à fait anachronique. Pour toutes les erreurs et les autres actes répréhensibles qui auraient été commis par Navin Ramgoolam lors de son passage au bâtiment du Trésor, il a été jugé et lourdement condamné sous la loi de la démocratie par le tribunal de l’opinion publique qui l’a impitoyablement descendu de son piédestal du pouvoir. S’il a déjà purgé sa peine pour pouvoir aspirer à un retour au confort douillet du maroquin premier ministériel, le peuple décidera en temps et lieu et en son âme et conscience même si certaines frasques, à l’instar de l’image ahurissante des billets de banque, monnaie locale comme des liasses de devises étrangères neuves et consécutives, dégringolant d’un coffre-fort ouvert, continuent à hanter les esprits. Mais toujours est-il que certaines décisions malencontreuses de l’actuel PM pourraient servir de tremplin pour favoriser l’émergence des circonstances qui reconduiraient son adversaire attitré à la tête d’un futur gouvernement. Comme, par exemple, le déballage inopportun à l’Assemblée nationale le 16 mai dernier d’une facette de la vie privée de l’ancien PM avec moult détails sur l’utilisation des produits aphrodisiaques et stimulants sexuels.

Or, à quelques mois de la fin de la présente mandature, le chef du gouvernement doit pouvoir tourner son regard vers l’avenir en vue de boucler son programme gouvernemental présenté à la population en décembre 2019. Il a certes quelques belles réalisations à son actif dont, le développement d’infrastructure du pays, la consolidation de l’État providence, la rémunération minimale légale des salariés et sur lesquelles il pourrait éventuellement s’appuyer pour le renouvellement de son contrat quinquennal le moment venu. Mais qu’en est-il aujourd’hui des fléaux sociaux qui rongent le fondement même de notre République, suscitant un climat d’incertitude, de tension et d’anxiété au sein de la population ?

Dans une lettre pastorale de carême 2021, une année après l’accession de Pravind Jugnauth au poste de PM par la grande porte, le cardinal Maurice Piat avait mis l’accent sur le fléau de la corruption qu’il décrivait comme « une autre épidémie aussi virulente », une « maladie plus pernicieuse que la Covid-19 » ou encore « un cancer qui répand une appréhension diffuse, affaiblit le moral et mine la confiance dans l’avenir. » Qu’est-ce qui a réellement changé depuis ? Rien, si ce n’est que la situation a même, à bien des égards, empiré. Et lorsque la corruption gangrène une institution aussi vitale ayant comme objectif principal le maintien de l’ordre et la paix publique, la sécurité collective et individuelle, responsabilité que le peuple a confiée à ses représentants, n’est plus assurée dans le pays.

De deux choses l’une : soit, le PM se fie aveuglement à l’image dépeinte par le chef de la police lors de leur rencontre quotidienne ; soit, ne voulant prendre aucun risque, il refuse de bousculer une institution qui, au fil des années, a sombré dans une léthargie épouvantable. Mais, dans les deux cas, il ne fait qu’apporter l’eau au moulin de la majorité conservatrice de cette institution qui ne veut, en aucun cas, abandonner sa zone de confort. Or, la lutte contre la corruption et d’autres actes de malversation au sein de la force de l’ordre portera ses fruits seulement si elle est menée avec conviction et détermination en amont, pas en aval. Car, comme le dit si bien Emmanuel Kant, célèbre philosophe allemand du 18e siècle, « le mal est radical » et l’exterminer requiert, par conséquent des moyens radicaux.

  Par rapport au combat contre la drogue dans un pays insulaire comme le nôtre, ne possédant aucune frontière terrestre, l’ampleur qu’a prise le fléau est, semble-t-il, à la mesure du niveau de protection des réseaux, parfois par ceux-là mêmes censés les démanteler. Vu la spécificité intrinsèque de chaque État, chaque société, transposer les exemples français, britanniques ou américains aux conditions locales constitue un moyen simpliste de pousser la poussière sous le tapis. Et lorsque le commissaire de police avoue lui-même que, dans un circuit fermé que représente un centre pénitentiaire, « des prisonniers contrôlent le trafic depuis leurs cellules », des interrogations, somme toute, légitimes mais alarmantes émergent quant au rôle et responsabilité des uns et des autres dans ce combat.

  Ainsi, en ce qu’il s’agit de la bande sonore en question, le plus tôt l’abcès est crevé, le mieux serait non seulement pour la force policière qui enregistre depuis des années un niveau de confiance populaire au ras des pâquerettes, mais également pour le gouvernement et la population dans son ensemble.

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