Kavydass Ramano : « Belal : les dégâts ont causé des pertes énormes au pays »

Dans une interview accordée à Le-Mauricien cette semaine, Kavydass Ramano, le ministre de l’Environnement, de la Gestion des déchets et du Changement climatique revient sur les inondations de 15 janvier, qui ont occasionné « des pertes économiques et non économiques énormes au pays ». Évoquant le refoulement des déchets au Caudan Waterfront, le ministre estime que l’incivisme est en partie responsable de la situation. Il annonce que des amendements à l’Environment Protection Act seront présentés à l’Assemblée nationale à la rentrée parlementaire…

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Les événements du 15 janvier dernier ont mis en lumière la vulnérabilité de Maurice face aux effets du changement climatique. Quelle leçon en tirez-vous ? Quelles ont été les forces et les faiblesses de la stratégie gouvernementale en ce qui concerne le changement climatique ?
Alors que le monde fait face à une crise climatique globale, les effets dévastateurs de ce phénomène ne connaissent pas de frontières. Vous n’avez qu’à voir les inondations causées par les pluies persistantes qui ont frappé l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et les États-Unis depuis le début de l’année. Aujourd’hui, avec une augmentation moyenne de la température de 1,34 °, enregistrée depuis les années 1950, ce qui est bien au-delà de la moyenne mondiale de +1,2 °C, Maurice subit malheureusement de plein fouet les impacts aggravés du changement climatique.
Les données officielles dont nous disposons sont inquiétantes. L’élévation du niveau de la mer s’accélère et est estimée à 4,7 mm par an, soit supérieure à la moyenne mondiale de 3,7 mm. La hausse du niveau de la mer est estimée à environ 1 m d’ici 2 100. Et je ne parle pas de la diminution de la pluviométrie, de l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des précipitations et des événements météorologiques extrêmes, dont des pluies torrentielles entraînant des inondations soudaines, et de l’intensification rapide et de la fréquence accrue des cyclones…
Le 15 janvier, nous avons malheureusement vécu un événement lié à ce dérèglement climatique, d’où les dommages aux biens, aux denrées alimentaires des ménages, des effondrements de murs et des routes, ainsi que des répercussions sur l’agriculture. Nous restons également sur nos gardes quant aux possibilités d’avoir une augmentation des maladies à transmission vectorielle. Ces dégâts ont causé des pertes économiques et non économiques énormes pour le pays. D’où la pertinence de la question des pertes et dommages pour les pays vulnérables tel que Maurice, dont nous en avons discuté à la COP28.

Les conséquences de Belal suffisent-elles pour avoir droit au fonds des pertes et dommages ?
En tant que petit État côtier, Maurice est confrontée à des vulnérabilités inhérentes au changement climatique, en particulier les impacts en termes d’érosion des plages et de dégradation du littoral. Le cyclone Belal a accentué l’érosion des plages sur plusieurs sites vulnérables, qui avaient déjà été touchés par le cyclone Freddy en 2023. Le cas du 15 janvier ne peut pas être considéré comme un événement isolé.
Avec les impacts croissants du changement climatique, des cyclones plus fréquents et plus intenses se produisent déjà dans le monde entier, et Maurice ne fait pas exception. Maurice, grâce à son expérience des cyclones passés, a tiré des enseignements cruciaux pour renforcer la résilience des plages vulnérables et lutter contre l’érosion des plages. Ainsi, la préservation et la restauration des écosystèmes côtiers naturels, tels que les Mangroves, les herbiers marins et les récifs coralliens, sont essentielles pour atténuer les ondes de tempête et l’érosion, en plus de la protection côtière et des travaux d’infrastructures. La préparation de la population sera également cruciale pour faire face à une telle situation.

Comment le littoral mauricien est-il impacté ?
L’érosion des plages et la dégradation des berges sont les principaux problèmes environnementaux auxquels Maurice est confrontée en raison des impacts croissants du changement climatique. Le 6e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) 2021 indique, avec un degré de confiance très élevé, que les côtes seront exposées à des risques croissants, y compris l’érosion des plages, au cours des prochaines décennies en raison du changement climatique et de l’élévation du niveau de la mer.
Cela accentue encore l’érosion des plages, entraînant une perte de 20 m de large des plages au cours de la dernière décennie, selon les observations et les études menées sur le site. Les fortes vagues et les ondes générées par les cyclones peuvent perturber le transport des sédiments en peu de temps, provoquant une érosion drastique des plages. Le sable des plages peut être entraîné hors des récifs par des passes, ce qui entraîne parfois une perte permanente de sable sur certaines plages.
Nous savons que l’impact de l’érosion des plages peut être préjudiciable à l’industrie du tourisme, qui dépend fortement des zones côtières de premier ordre, avec des plages de sable et des lagons sains. De plus, l’érosion des plages entraînant des dommages aux infrastructures, la perte d’espaces de plages impacte considérablement le tourisme et les moyens de subsistance des communautés côtières. Pour toutes ces raisons, la réhabilitation côtière figure en bonne place à l’agenda du gouvernement.

Où en sommes-nous avec les mesures annoncées dans le budget ?
Le ministère a mis en place un programme continu de réhabilitation côtière sur les sites prioritaires érodés afin de protéger nos atouts côtiers au profit de notre population et de l’industrie du tourisme. Au cours des cinq dernières années, des ressources importantes ont été injectées pour la réhabilitation d’environ cinq kilomètres de plages érodées. Des solutions douces, dures et basées sur la nature et sur des études d’experts ont été mises en œuvre. Les solutions fondées sur la nature comprennent des récifs artificiels (boules de récif), la plantation de Mangroves et d’herbiers marins, et la restauration de la végétation indigène des dunes. Au cours des cinq prochaines années, le ministère réhabilitera quelque 22 kilomètres de rivages érodés sur 24 sites prioritaires. Le contrat a été attribué à Luxconsult (Mauritius) Ltd. Le projet en est à l’étape de la conception détaillée.

La question de l’aménagement du territoire et le remplacement des terres agricoles par le développement immobilier ont été déplorés. Quel est votre avis ?
Maurice dispose d’une superficie limitée de terres propices au développement. La croissance économique rapide des dernières décennies a entraîné une pression croissante sur les ressources foncières, avec une demande croissante d’expansion urbaine et infrastructurelle, ainsi que de soutien aux secteurs agricole, industriel, manufacturier et touristique.
En retour, cela a indéniablement eu des impacts importants sur l’environnement en termes de défrichement et d’embouteillages, entre autres. Il est un fait que le développement urbain a en quelque sorte modifié le paysage environnemental par l’expansion des zones pavées et imperméables, ce qui pourrait avoir contribué à l’accumulation d’eau dans certaines zones. Il est donc important de mettre en place des mécanismes.
L’un des outils les plus importants pour une prise de décision éclairée et pour parvenir à un développement durable est le mécanisme d’évaluation des incidences sur l’environnement (EIA). Il convient de souligner que tous les projets d’aménagement ne sont pas soumis à une autorisation d’EIA E. Une EIA E est une étude qui identifie les impacts potentiels d’un projet d’aménagement, évalue les effets attendus sur l’environnement naturel et socio-économique, la santé humaine et sur les biens, et fournit des mesures d’atténuation.
Cette étude nécessite une approche multidisciplinaire impliquant plus de 20 autorités, en plus de consultations menées avec le public et les communautés locales. En outre, la planification et le développement de l’utilisation des terres deviennent de plus en plus complexes en raison des défis émergents, tels que le changement climatique, les sécheresses, les crues soudaines et les glissements de terrain.

Le refoulement des déchets sur le Port Louis Waterfront n’a échappé à personne. Comment cette situation vous interpelle-t-elle ?
Plus de 541 000 tonnes de déchets solides ont été mises en décharge en 2023, contre environ 520 000 tonnes en 2022, soit une augmentation d’environ 4%. Compte tenu de cette tendance et de la reprise des activités économiques post-Covid, et d’un scénario de maintien du statu quo, on s’attend à ce qu’environ 650 000 tonnes soient générées d’ici 2030.
À Port-Louis, le service est efficace mais les déchets ne peuvent pas être collectés quotidiennement au niveau des ménages, car cela impliquerait la mobilisation d’énormes ressources, financières et autres. Sur la base d’une population d’environ 150 000 habitants dans la région de Port-Louis, environ 180 à 200 tonnes de déchets sont générées chaque jour et envoyées à la station de transfert de Roche-Bois, pour être ensuite transportées à la décharge de Mare-Chicose.
Avec la forte quantité de précipitations sur une courte période, il était évident que les drains existants ne pouvaient pas absorber une telle quantité d’eau de surface, compte tenu de la grande zone de captage. Tous les déchets en vrac trouvés dans les cours, les routes, les égouts, les marchés ouverts et dans les zones commerciales ont été emportés par les pluies vers les égouts principaux ou directement vers la zone portuaire de Port-Louis, et se sont retrouvés au bord de l’eau.
Cela s’est produit un lundi matin, ce qui a eu un impact sérieux sur le service de collecte. Tous ont été témoins de l’énorme accumulation de déchets au Port Louis Waterfront. Il s’agit de déchets de toutes sortes, comme des bouteilles en plastique, des téléviseurs, des réfrigérateurs et d’autres appareils électroniques, des matelas et des vêtements, ainsi que des branches et des feuilles. Bien que certains d’entre eux soient malheureusement des effets personnels du public ou des débris naturels qui ont été emportés lors des inondations, il est indéniable qu’une partie importante est le résultat de l’incivisme, malgré les efforts de mon ministère pour mener une sensibilisation de masse et augmenter le montant des amendes pour les infractions concernant les déchets et les décharges illégales jusqu’à Rs 25 000.

Les amendements à l’Environment Protection Act sont attendus avec impatience. Où en sommes-nous ?
Dès ma prise de fonction, en 2019, l’une des toutes premières mesures que j’ai initiées a été de mener une large concertation nationale avec l’ensemble des acteurs de la société à travers les Assises de l’environnement. Ces consultations se sont avérées passionnantes et riches, avec quelque 400 participants présents, parmi lesquels des représentants des ministères, des organismes parapublics, des autorités locales, des acteurs du secteur privé, des universitaires, des jeunes et des membres de la société civile.
Ces discussions se sont poursuivies par la suite autour des défis environnementaux systémiques et contemporains auxquels le pays est et a été confronté au fil du temps. Avec le soutien des bailleurs de fonds, nous avons réussi à élaborer un plan directeur de l’environnement (2020-2030) pour permettre à Maurice de s’engager dans une transition écologique, qui a été adoptée dès le 27 mai 2022.
Pour faire face aux défis et aux urgences environnementales émergentes, ces consultations nationales ont mis en évidence la nécessité de revoir le cadre juridique de la protection de l’environnement au sein de la république. Alors que l’intention initiale était de simplement apporter des modifications à la loi sur la protection de l’environnement de 2002, il est devenu évident qu’un changement de paradigme en termes de dispositions légales était nécessaire.
Nous avons donc dû entamer des procédures auprès du bureau du procureur général pour abroger la loi précédente afin de présenter au Parlement un tout nouveau projet de loi sur la protection de l’environnement. Les discussions avec le Parquet sont à un stade avancé; nous visons à finaliser le projet de loi à la fin de ce mois et à le programmer pour une entrée à la rentrée de l’Assemblée nationale, en mars. Comme vous le remarquerez, nous ne nous sommes pas reposés sur nos lauriers et le pays disposera enfin très bientôt d’un projet de loi sur la protection de l’environnement remanié.

Devrait-on abolir les exemptions à l’Environment Impact Assessment ?
Les membres du public comprennent souvent à tort que les entreprises dites exemptées n’ont pas besoin d’une EIA. Permettez-moi d’apporter une précision. S’il est vrai que je peux exempter un projet nécessaire dans l’intérêt national de l’EIA, de tels projets nécessitent toujours une demande d’EIA à soumettre au directeur de l’Environnement pour examen.
L’EIA est traitée de la même manière qu’une EIA normale, y compris la consultation publique. La seule différence est que l’entité gouvernementale ne paie pas les frais de traitement d’une EIA exonérée et, au lieu d’un permis d’EIA, l’aménagement est assujetti à une liste de conditions.
Il convient également de noter que certains développements d’importance nationale primordiale ont été exemptés des exigences d’une demande d’EIA à la suite de décisions gouvernementales. C’est le cas par exemple du développement du projet de tram par Metro Express Ltd et du projet d’agrandissement de l’aéroport de Rodrigues, entre autres. Néanmoins, une étude d’impact sur l’environnement a été menée par Metro Express Ltd pour le développement du train léger sur rail par Metro Express Ltd ainsi que pour l’agrandissement de l’aéroport de Rodrigues afin de respecter la durabilité environnementale et les garanties sociales dans les projets.

Les inondations, qui ont détruit les murs du cimetière Saint-Jean, ont donné lieu à beaucoup de commentaires. Pourquoi ce problème se pose-t-il maintenant alors que le cimetière existe depuis plusieurs décennies. On reproche aux autorités d’avoir trop tardé pour résoudre ce problème. Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes tous peinés pour les dommages causés aux murs du cimetière St-Jean et les habitations avoisinantes. Il est important de souligner que des événements exceptionnels tels que les pluies torrentielles ont dépassé les normes habituelles, créant ainsi des
conditions imprévues.
Le cimetière de St-Jean existe depuis plusieurs décennies et est fréquenté par des milliers de personnes. Mais nous devons reconnaitre
que les conditions météorologiques extrêmes auxquelles nous sommes confrontées ont aggravé la situation.
Concernant l’Old Moka Road, un mur de soutènement est en construction. Le design et l’allocation du contrat ont été faits par le ministère des Infrastructures Nationales (MNI), qui supervisera également les travaux qui ont atteint un stade avancé.
Le MNI sera également responsable de la reconstruction du mur sur la Broad Avenue, affaibli par l’accumulation d’eau dans le cimetière. En
attendant le début des travaux, un barrage en clôture sera installé par le ministère de l’Environnement.
La NDU est aussi responsable de la construction du drain prenant de l’Old Moka Road passant à l’arrière de la MCB pour terminer à la Rivière Sèche. Le contrat a été alloué à la Compagnie Gamma Civic. Les travaux progressent d’une façon satisfaisante.
Depuis l’effondrement du mur du cimetière, le long de l’Old Moka Road, à la suite des pluies torrentielles du 7 novembre 2023, plusieurs
réunions de travail ont eu lieu avec les différentes autorités (MNI, NDU, Municipalité de Quatre-Bornes, NEOC, le Ministère de la Santé), le bureau du cimetière, la fabrique de St-Jean et le diocèse afin d’évaluer l’ampleur des dégâts et de concevoir des mesures adaptées. Je suis en contact permanent avec L’Evêché, la paroisse de St Jean, et les habitants de la région. Une réunion de coordination se tient d’une façon régulière avec les différentes autorités.
Quatre Bornes fait aussi face à des problèmes d’inondations à des endroits spécifiques notamment à Candos, à La Louise, le SSR Avenue, la région de St-Jean et Colleville ainsi que celle de La Faye. Des travaux seront entrepris concurremment par la Wastewater
Management Authority pour le tout-à-l’égout et la NDU pour les drains.
La NDU et la LDA travaillent aussi sur le problème d’accumulation d’eau à La Louise.

ACCROCHES
« Nous savons que l’impact de l’érosion des plages peut être préjudiciable à l’industrie du tourisme, qui dépend fortement des zones côtières de premier ordre, avec des plages de sable et des lagons sains. De plus, l’érosion des plages entraînant des dommages aux infrastructures, la perte d’espaces de plages impacte considérablement le tourisme et les moyens de subsistance des communautés côtières »

« Nous sommes tous peinés pour les dommages causés aux murs du cimetière Saint-Jean et aux habitations avoisinantes. Il est important de souligner que des événements exceptionnels – tels que les pluies torrentielles du 7 novembre 2023 – ont dépassé les normes habituelles, créant ainsi des conditions imprévues »

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