Le secteur financier face à son destin

Les autorités mauriciennes se préparent fébrilement à dérouler le tapis rouge pour accueillir la délégation de la Financial Action Task Force (FATF) à Maurice dans une dizaine de jours. On est loin de l’accueil réservé aux premiers visiteurs de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESSAMLAG) il y a quelques années. La reconnaissance de la FATF, lors de sa session plénière tenue en juin dernier, à l’effet que Maurice a complété le plan d’action qui lui avait été assigné afin de corriger cinq déficiences majeures sur une liste de 40 recommandations avait, on se souvient, provoqué une jubilation prématurée dans certains quartiers. En vérité, nous n’avions été reçus qu’à la partie théorique de cet examen de passage.

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Le pays aborde donc cette fois la phase cruciale de ces examens, qui sera consacrée cette fois à la partie orale et pratique. Les visiteurs auront pour mission « to verify that the implementation of Mauritius’s AML/CFT reforms have begun and is being sustained and that the necessary political commitment remains in place to sustain implementation in the future ». Les résultats de ces examens seront connus en octobre prochain lors de la prochaine session plénière de la FATF. Ce qui est certain, c’est que le combat n’est pas gagné d’avance. On sait en effet que lors de la dernière session, le Pakistan, qui estimait sortir de la liste grise des pays « under increased monitoring », avait été recalé, à sa grande déception.

Il faut dire que depuis que Maurice a été placée sur la liste grise de la FATF dans le sillage du « mutual evaluation report », tout un pan de l’économie mauricienne vit dans l’expectative et l’inquiétude. Ce secteur emploie il faut dire quelque 15 000 personnes, dont un grand nombre de jeunes professionnels et de diplômés. En 2019, sa contribution dans l’économie mauricienne était estimée à plus de USD 1,5 milliard et représentait 12% du PIB. En décembre de l’année dernière, autour de 20 500 entités étaient enregistrées à Maurice. Ce pilier de l’économie a, comme le secteur touristique, un effet multiplicateur sur l’économie en général.

La conséquence directe de la présence de Maurice sur la liste grise est que le pays s’est de facto retrouvé sur la liste noire de l’UE et de la Grande-Bretagne. De ce fait, les agences financières européennes et britanniques n’ont pas le droit de passer par Maurice pour financer des projets en Afrique ou ailleurs. L’enjeu économique pour Maurice est donc considérable. Conscients de la situation, les partis de l’opposition ont pris l’engagement de ne rien faire pour embarrasser le pays lors de cette « on-site visit ».

La délégation devrait rencontrer tous les régulateurs concernés par la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, à commencer par la Banque de Maurice. Des sessions de travail sont aussi prévues avec les organismes d’application (enforcement agencies), dont la police, ainsi que les parties prenantes comme les banques, les représentants d’entités opérant dans l’île ainsi que ceux du secteur privé. Des critères bien définis ont été établis pour ces rencontres.

Parmi les signes positifs qui se sont manifestés jusqu’ici, on relève le fait que plusieurs pays, dont ceux de l’Union européenne, la Grande-Bretagne et l’Inde, sont disposés à aider Maurice à sortir de cette liste grise. Il est heureux de constater que l’ESSAMLAG, qui avait été le premier à attirer l’attention sur les déficiences du centre financier local, n’a épargné aucun effort pour aider Maurice dans la préparation de ses dossiers. Le comité interministériel chargé du suivi de ce dossier multiplie ses efforts. Une série de mesures ont ainsi été introduites afin de s’assurer que le centre financier soit conforme aux normes internationales.

Une campagne internationale a aussi été engagée dans le but de contrer les critiques à l’effet que Maurice « bleeds Africa » à travers son centre financier et de démontrer qu’au contraire, il s’agit d’un centre « feeds Africa ». Le rapport préparé par Capital Mauritius pour le compte de l’EDB en fait la démonstration. Toutefois, Maurice doit maintenant aller plus loin afin de démontrer qu’elle ne s’intéresse pas seulement au marché africain, et que non seulement le pays fait partie intégrante de l’Afrique, mais qu’il s’intéresse aussi à ce continent dans toute sa dimension humaine, politique, économique et culturelle, tout en restant modeste.

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