La glorieuse incertitude du turf

Créée il y a 181 ans, la Maiden Cup demeure, malgré les conditions sanitaires actuelles et la morosité de l’économie, toutes deux dues aux effets de la Covid-19, l’un des événements les plus attendus de l’année à Maurice. Longtemps programmée au mois d’août, repoussée au début du mois de septembre depuis quelques années, elle se déroulera cette année le premier dimanche d’octobre à cause du début tardif de la saison hippique. Et signe du destin ou pas, l’édition 2020 se disputera le même jour que le championnat du monde des meilleurs pur-sang à Paris sur l’hippodrome de Longchamp, où le crack Enable tentera d’être le premier cheval à réaliser le triplé gagnant dans cette épreuve après avoir échoué l’année dernière.

- Publicité -

À Maurice, c’est le champion White River, invaincu dans les épreuves classiques, qui tentera le doublé consécutif dans notre Ruban Bleu mauricien. Il faut d’emblée dire que le Maiden 2020 n’est pas d’un grand cru en termes du nombre de partants puisqu’ils ne seront que quatre à se disputer cette coupe généralement si convoitée. C’est sans doute le fait que le Maiden est la seule course de 2400 mètres de la saison qui fait qu’il y un manque de stayers dans le pays, donc de candidats dans cette épreuve. Mais il faut aussi dire que l’épouvantail White River, qui avait survolé cette course l’année dernière, surtout à poids d›âge, fait fuir tous les concurrents éventuels. Excepté les éternels rivaux Alshibaa et Perplexing, qui vont encore une fois tenter de faire chuter le favori, alors que Made To Conquer sera le dark horse de la course.

L’objectif de Rameshwar Gujadhur et de son équipe est simple : rééditer l’exploit de Have of Mercy (2003/2005) quand il était membre de l’ancienne écurie Fok. Et même mieux, égaler les doublés consécutifs de Tahara Maid (1906), Lines Of Power (1989) et Enaad (2018). Un exploit, une formalité largement à la portée de White River, qui devra cependant faire preuve de beaucoup de vigilance. Il ne faut jamais faire fi de la glorieuse incertitude du turf, surtout quand les épreuves de moins de cinq partants dans le Maiden ont souvent été néfastes aux grandissimes favoris.

Les statistiques valent ce qu’elles valent, mais elles ont le mérite d’encourager les parieurs qui jouent les outsiders. Les trois fois où la Maiden Cup a été courue avec moins de cinq partants au cours de ces vingt-cinq dernières années, les favoris ont tous été battus. En 1984, Nippy Regen, de l’écurie Gujadhur, avait surpris le favori Baiser de Paix dans une course à trois partants. L’année suivante, ce fut au tour de Rome de surprendre le grandissime favori Mr Fabulous et, enfin, en 1989, Lines Of Power avait joué un mauvais tour à son compagnon d’écurie et favori Wild Amber, tous deux dans un match à quatre.

Il n’y a aucun facteur objectif qui puisse prévoir que White River, en forme olympique, avec un David au sommet de son art et en confiance absolue, soit battu dans cette course, tant sa supériorité est manifeste, d’autant que le seul qui ait toujours refait du terrain sur lui en fin de parcours, le cheval de l’écurie Maingard, Alshibaa, a laissé passer la seule chance, à la faveur de la différence de poids, de le battre lors du Golden Trophy, où son jockey, Yashin Emamdee, n’a pas été exempt de tout reproche, comme le confirme la sanction exemplaire des commissaires de courses après l’épreuve. À poids d’âge, la revanche semble inimaginable pour Alshibaa, même si l’apport de Ségeon, en réussite ces derniers temps, n’est pas à être négligée. Sa supériorité affirmée sur Perplexing lors de leurs dernières confrontations fait de ce dernier qu’un outsider. Enfin, il reste Made To Conquer, qui a déçu jusqu’ici, mais qui peut se retrouver au plus haut niveau avec la monte experte de Bernard Fayd’herbe, qui a bien de la chance de pouvoir monter dans cette épreuve phare après sa bourde de dimanche dernier.

En effet, le jockey sud-africain, venu à Maurice à grands frais par et pour l’entraînement Allet, a fait preuve d’un manque de professionnalisme insultant aux turfistes mauriciens et aux propriétaires des chevaux qui devaient lui être confiés en échouant à un simple alcootest sur l’hippodrome, dimanche, après avoir ébloui de toute sa classe le Champ de Mars la veille. Il a été démis de ses montes de la journée et heureusement pour lui, les commissaires ont ajourné l’enquête de mardi dernier à jeudi matin qui n’a toutefois pas eu lieu pour des raisons inconnues qui font jaser le landerneau hippique mauricien. Ce renvoi ouvre la porte aux critiques acerbes de ce qui demeure un réflexe conditionné au Mauritius Turf Club, c’est-à-dire la politique de deux poids, deux mesures. Même si sur le plan sportif, avoir un Fayd’herbe en selle le jour d’un Maiden donne plus de contenu et de crédibilité à une journée hippique au Champ de Mars, il n’empêche qu’avoir bu quelques verres de champagne avant une journée dominicale et monter à cheval après équivaut à un conducteur qui fait la même chose. Il ne doit pas avoir de demi-mesure dans ces cas-là, lorsqu’on est positif et même si les enquêtes sont renvoyées pour des raisons objectives, priver de monte le jockey est la solution la plus juste. Un jockey sous influence de l’alcool peut causer un accident et des conséquences graves. Enfin, l’exemplarité doit être la règle pour ce genre d’infraction à la loi : Fayd’herbe aurait dû être privé de Maiden. Un point c’est tout, d’autant qu’il y a d’autres talents disponibles.

Enfin, le dernier élément qui peut influencer le résultat du Maiden, c’est l’état de la piste à certains endroits qui a mis ces derniers temps les organismes et les ligaments de certains chevaux à rude épreuve. Certes, les responsables de la piste font de leur mieux pour la garder dans un bon état d’opération, mais le communiqué du Mauritius Turf Club à cet effet émis cette semaine pour annoncer la reprogrammation de la journée du samedi 24 octobre au dimanche 18 octobre en dit long sur l’inquiétude qu’elle suscite actuellement. La piste sera ainsi au repos et en retapage entre le 19 et le 30 octobre. « The maintenance work has become necessary due to the lack of rainfall and the very condensed season that has been put in place to compensate for the lost race meeting earlier in the season because of the Coronavirus. »  

Comme nous abordons avec l’été une période plus sèche encore, il apparaît clairement que le prolongement de la saison en décembre 2020 et janvier 2021 posera encore plus de problèmes à l’état de la piste et de la santé des chevaux. Cette approche de court terme va porter un grave préjudice à la prochaine saison et ainsi de suite. Il faut revoir cette politique tous azimuts de rattraper les déficiences économiques exceptionnelles le plus rapidement possible. Elle se fait au détriment de la qualité des programmes proposés qui, semaine après semaine, présente un nombre de chevaux limités par course, peu propice à la compétition saine et réelle, et surtout elle ralentit la croissance nécessaire des paris, donc des revenus. Ainsi, dimanche dernier en Australie, par exemple, des enjeux de 1200 AUD ont été enregistrés pour le Win dans la Princess Margaret Cup ! Une misère par rapport aux 5,5 millions AUD pour l’épreuve principale à Hong Kong. Une preuve, s’il en fallait, de la pauvreté du programme mauricien. À trop vouloir pomper l’argent du puits des parieurs, le MTC va finir par se retrouver avec des sources de revenus taries, un effectif de chevaux laminé et une piste en piteux état.

Il est plus que temps d’organiser une nouvelle formule des états généraux de courses avec tous les stakesholders pour repenser l’hippisme mauricien. Il y a des avenues intéressantes pour l’avenir, à un moment où les courses locales sont menacées par les politiques erratiques de la GRA et d’un MTC portant des œillères. L’heure est sans doute venue de faire preuve d’intelligence et de modestie en se soumettant à un partenariat avec le Hong-Kong Jockey Club, à un moment où l’autorité de la Chine sur l’ex-territoire britannique menace l’avenir des courses à court et moyen termes. Ils ont la vision et le savoir-faire, et ont su maîtriser la glorieuse incertitude du turf… Il ne faut surtout pas rater ce rendez-vous avec l’histoire !

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour