Avinash Goburdhun : « L’urgence d’une base industrielle solide pour le marché local et l’exportation »

Avinash Goburdhun, directeur général de Wensum Textile, souligne, dans l’interview qu’il a accordée au Mauricien, la nécessité de créer une base industrielle solide à Maurice. Il estime toutefois que les produits Made in Moris ne devraient pas être en concurrence avec les produits étrangers Dumped à Maurice. Il plaide également pour une fiscalité légère et considère que les charges sociales, qui représentent entre 12% et 16% de la masse salariale d’une entreprise, sont trop élevées. Regrettant que les procédures administratives pour l’importation de main-d’œuvre étrangère soient trop lourdes, il estime que celles-ci mériteraient une révision.

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Wensum a connu ces derniers mois des moments difficiles, ayant connu l’administration volontaire. Comment êtes-vous sorti de cette période ?
En mars 2020, alors que nous étions entrés dans une période de confinement en raison du Covid-19, nos partenaires et actionnaires hongkongais ont décidé d’arrêter les opérations à Maurice et ont décidé de mettre l’entreprise en administration volontaire, juste après Air Mauritius.
La firme PricewaterhouseCoopers avait été choisie comme administrateur. Après discussions avec eux et avec les créanciers, et avec l’accord des clients et des travailleurs qui ont choisi de continuer, j’ai décidé de reprendre l’entreprise. Nous sommes sortis sous administration assez rapidement, soit après quatre semaines.

Comment avez-vous procédé ?
J’ai décidé de prendre à ma charge tous les créanciers ainsi que la pension des travailleurs concernés. J’ai accordé aux Hongkongais ce qu’ils demandaient. À travers le SME Equity Fund, nous avons obtenu des crédits de l’ordre de Rs 34 millions. Je remercie d’ailleurs le gouvernement pour cela. Cet apport financier nous a permis de respecter nos engagements vis-à-vis de nos créanciers ainsi que de nos clients, car les commandes continuaient d’arriver malgré la période difficile et la pandémie.

Comment avez-vous réussi à surmonter les problèmes provoqués par la pandémie ?
Notre entreprise fonctionne dans un marché niche : le marché de luxe, que ce soit aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Nous faisons des produits sur mesure en petites quantités, mais de haute valeur. Même si nos employés travaillent un ou deux jours par semaine, nous les avons payés pour cinq jours. Nous avons eu recours à l’assistance salariale mise en place par la DBM afin de garder notre main-d’œuvre qualifiée, en attendant que le marché commence à se développer, à partir de novembre 2021.

Quels types de produits d’habillement produisez-vous ?
Nous sommes une des rares usines de l’hémisphère Sud à fabriquer des complets sur mesure, des vestes, des manteaux et des pantalons habillés. Nous importons nos tissus d’Italie et de Grande-Bretagne. Nos principaux compétiteurs viennent du Portugal et d’Italie, ainsi que l’Europe de l’Est. Nous produisons quelque 15 000 costumes par an. Nous avons investi dans la technologie de pointe et dans l’informatique hi-tech. Nous exécutons des commandes reçues d’Angleterre avec leurs patronages. Nous importons les tissus et nous livrons les commandes dans les dix jours. C’est cela notre force.

Depuis quand êtes-vous engagés dans ce domaine ?
Il faut savoir que la compagnie a démarré ses activités en 1973 sous le nom de Corona Clothing. Les Hongkongais sont arrivés par la suite. La compagnie confectionnait au début des costumes pour Hugo Boss. Par la suite, l’usine a commencé à produire pour les plus grandes marques européennes de costumes. Depuis l’annonce du Brexit, nous avons trouvé des débouchés sur les marchés émergents, en Afrique, en Asie, ainsi qu’aux États-Unis. Personnellement, je suis associé à l’usine depuis 32 ans.

Qu’est-ce qui constitue la force de votre entreprise ?
Le savoir-faire, la qualité et le marché niche. Ensuite, nous sommes en mesure de produire en petites quantités. Nos commandes sont comparables à l’échantillonnage d’une grande usine. Ensuite, il y a la qualité de nos intrants, dont les tissus, qui viennent principalement d’Europe, notamment d’Italie et de Grande-Bretagne.
Notre atout principal, c’est le Made in Mauritius. Je ne pourrais remplacer ce que je fais à Maurice par un Made in Madagascar ou un Made in Bangladesh. Cela ne passera pas. En dehors de l’Italie, nous avons construit une réputation, une image de marque basée sur le Made in Mauritius, qui englobe toutes les valeurs locales, que ce soit la démocratie, la bonne gouvernance, la stabilité politique, etc. Nos clients associent le Made in Mauritius à un produit qualitatif.
Il est bon de savoir que nous habillons plusieurs équipes de football britanniques, comme Chelsea, Manchester City, l’équipe d’Europe d’Angleterre… Mais aussi l’équipe de rugby de la Nouvelle-Zélande. Je dis toujours que nous avons habillé José Mourinho et d’autres managers d’équipes britanniques de football.

Il ne manque que Liverpool…
La chaine Untuckit, qui est un des sponsors de Liverpool, est un de nos clients !

Quel regard jetez-vous sur le secteur textile à Maurice ?
Je pense que la situation deviendra de plus en plus difficile. Il y a un manque chronique de main-d’œuvre locale. En vérité, les Mauriciens sont de moins en moins intéressés par le textile. Les jeunes Mauriciens ne veulent pas faire l’effort de travailler dans les usines et préfèrent les TIC.
Je suppose qu’il y a une inadéquation entre l’aspiration des jeunes et ce qu’offre le marché. Cela s’explique par le fait que dans beaucoup de familles existe un membre ou un proche ayant travaillé dans les usines pendant au moins 20 ans et qui, du jour au lendemain, ont perdu leur emploi après la fermeture des usines, et qui n’ont pas été payés. C’est resté dans le subconscient de beaucoup de personnes, qui sont devenues réfractaires à ce type d’emploi et refusent de travailler dans les usines.
Le gouvernement a eu raison d’introduire le Portable Retirement Gratuity Fund ( PRGF), même si cela a un coût. Ceux qui travaillent aujourd’hui auront droit à leur Gratuity à leur retraite. Toutefois, aujourd’hui, les coûts de production augmentent. Nous sommes obligés de monter en gamme pour obtenir de meilleurs prix. Ce qui nécessite des investissements dans les technologies et la main-d’œuvre Nous devons pouvoir produire la même qualité que l’Italie en investissant dans le renouvellement des équipements les plus pointus et en évoluant vers une réduction de la main-d’œuvre pour devenir plus Capital Intensive.

Il vous faut donc innover en permanence ?
L’innovation constitue notre principal défi en permanence. Il s’agit d’établir un équilibre entre les technologies de pointe et le savoir-faire à la main de tailleurs ayant 20 ans ou plus d’expériences. Il faut donc conjuguer la mécanisation et le sur-mesure. L’entreprise est engagée dans un travail de veille technologique de façon à pouvoir continuer à fournir du sur-mesure aux quatre coins du monde et honorer les séries commandées par les marques. Nous avons récemment fait l’acquisition de machines allemandes de pointe. Cela permet de traiter un rythme de 10 000 costumes sur-mesure pour l’exportation chaque année dans le monde entier.

Quel est votre marché principal ?
Nous avons plusieurs marchés à commencer par les États-Unis et la Grande-Bretagne. La majorité de notre production est écoulée sur le marché de Savile Row, à Londres, et 5% en France. 45% de la production partent en Chine, au Japon, à Taïwan, à Singapour, en Afrique du Sud et en Australie. Nous exportons de plus en plus aussi sur le continent africain.
Les avantages conférés par les accords douaniers avec différents pays et régions permettent aux costumes d’être vendus hors taxe, et donc à des prix très compétitifs pour des produits du segment haut de gamme. Nous bénéficions de la zone de libre-échange de l’Afrique, des accords avec le COMESA, le CECPA avec l’Inde, l’accord de libre-échange avec la Chine et l’AGOA avec les États-Unis.

Nous avons noté que vous souhaitiez recruter davantage de travailleurs étrangers…
Nous faisons des démarches pour le recrutement d’une trentaine de travailleurs étrangers. Si les Mauriciens ne veulent pas travailler dans les usines, moi, je dois continuer à opérer. Il faut savoir que nous avons un effectif vieillissant, dont 30% prendront leur retraite d’ici 2025. Nous sommes toujours une entreprise dont 60% des employés sont des Mauriciens sur un effectif de 400 employés. Ils viennent de plusieurs régions de l’île et je dois reconnaître qu’ils sont très motivés.
Concernant la main-d’oeuvre, j’estime qu’elle doit être plus fluide. Nous ne pouvons pas avoir trop d’obstacles administratifs pour faire venir la main-d’œuvre dont nous avons besoin. Il est arrivé que nous ayons trouvé les travailleurs dont nous avions besoin pour nos opérations, mais avec le temps pris pour allouer le permis de travail, ils avaient déjà trouvé un emploi ailleurs. Dans ce genre de cas, nous devons alors recommencer à zéro. De plus, il est important que les permis soient pour un groupe de travailleurs que nous avons recruté, et pas un Piece Meal. Les procédures doivent être plus rapides et doivent comporter moins d’obstacles. Libre aux autorités de donner une garantie bancaire ou un autre engagement. Je ne vois pas les usines faire venir des expatriés qui ne sont pas sérieux. En gros, la majorité ne doit pas payer les erreurs d’une minorité.

Quels types de travailleurs cherchez-vous ?
Nous cherchons des travailleurs qualifiés ayant déjà travaillé sur les machines dont nous disposons dans l’île. Nos recrutements se font en Inde, au Sri Lanka et à Madagascar. Certains Malgaches qui ont fait 10 ans dans l’île ont dû repartir avant de revenir reprendre leur poste.

Malgré l’importation de main-d’œuvre, qui comporte des frais, notamment celui du logement, vos produits continuent-ils de rester compétitifs ?
L’importation de main-d’œuvre tient compte de la productivité et du coût. En matière de coûts, il faut prendre en compte ceux des utilités publiques et de l’énergie, qui sont en hausse. Il est évident qu’on recrutera les personnes qui sont en mesure de donner plus de pièces en une heure. Par exemple, si un coupeur mauricien vous donne quatre pièces par jour sur-mesure, pour le même travail, un travailleur indien, lui, en donnera dix.

Vous êtes un homme d’affaires expérimenté. Est-ce facile d’investir à Maurice ?
Voyons les bons côtés. Maurice a jusqu’ici fait la démonstration qu’il est facile de faire des affaires à Maurice. Le pays est bien placé sur l’indice du Ease of Doing Business. Nous avons aussi des accords de libre-échange avec plusieurs pays et régions. La taxation à l’exportation est légère. Nous avons des infrastructures publiques de bon niveau, comme le port, l’aéroport… Certes, nous avons des difficultés économiques, mais nous ne sommes pas les seuls à subir la situation internationale. Et puis il y a d’autres secteurs qui émergent.

N’avez-vous jamais songé à vous délocaliser vers des pays comme Madagascar, etc. ?
Nos produits sont différents de ceux qui sont délocalisés vers Madagascar ou le Bangladesh. Ceux qui sont partis à Madagascar et au Bangladesh font du volume, et vont dans des pays où le fil, la principale matière première, est disponible plus facilement.

Et votre regard sur l’économie ?
Le gouvernement s’est pas mal tiré d’affaire. C’est vrai que nous connaissons actuellement une hausse du coût de la vie, alors que la roupie se déprécie. Mais il ne faut pas oublier que le gouvernement a soutenu l’économie de ce pays dans sa totalité pendant plus de six mois. Il a payé tous les salaires des employés de toutes les industries et opérateurs économiques Même les marchands de dholl puri ont été soutenus. Si cela n’avait pas été le cas, l’économie se serait effondrée.
C’est vrai, et c’est d’ailleurs dommage, qu’il y a eu des abus concernant la gouvernance et la gestion des marchés publics, notamment en ce qui concerne les achats de médicaments et d’équipements médicaux. Cela a choqué les gens.
Il ne faut pas oublier que l’économie du pays repose largement sur les exportations et l’industrie touristique, entre autres. Si la roupie était trop forte, nos produits auraient coûté trop cher et n’auraient pas été compétitifs. Les grands défis que nous avons eu à surmonter étaient toujours un problème, sans compter l’explosion du coût du fret, qui a augmenté de 400%. De plus, nous n’avons pas un trafic maritime régulier et ne recevons pas nos produits à temps. Cela nous dérange que nos importations coûtent beaucoup plus cher.
Je constate toutefois que notre économie a été résiliente. Le grand problème, aujourd’hui, est le manque de devises. Par conséquent, on garde nos devises afin de pouvoir faire nos achats plus rapidement. Si voulez acheter des devises aujourd’hui, il faut faire la queue. Il faut attendre. Or, les fournisseurs ne vous livreront pas vos produits si vous ne les avez pas payés. Il faut reconnaître qu’au-delà des scandales qui ont secoué l’actualité locale, le gouvernement s’est défendu plutôt bien.

Qu’est-ce que les autorités auraient dû faire pour encourager davantage la production locale et l’exportation ?
Maurice a besoin de créer une base industrielle solide avec des produits de haute qualité, aussi bien pour le marché local que pour l’exportation. Je constate que les opérateurs n’exploitent pas suffisamment les marchés régionaux, comme le COMESA. Il est vrai que le gouvernement a introduit des mesures pour faciliter le financement des exportations. La MEXA a, pour sa part, créé un entrepôt en Tanzanie. D’autres vont venir. Lorsque l’on va en Afrique, on voit bien qu’il y a un marché sous-exploité.
Le plus important est que les usines qui produisent à Maurice puissent mettre leurs produits sur le marché local sans être en compétition avec des produits importés en Asie, et qui sont Dumped  à Maurice. Pourquoi les producteurs de t-shirts ne peuvent-ils pas écouler leurs produits sur le marché local sans être en compétition avec des produits étrangers ? Les entreprises locales doivent être encouragées à écouler leurs produits sur le marché local. C’est le cas pour le sucre produit localement. Le Covid a remis en cause les règles de l’Organisation mondiale du Commerce. Aujourd’hui, chaque pays a ses réalités et ses priorités. Notre réalité à nous a changé depuis l’arrivée du Covid dans l’île.
Maurice dispose des infrastructures nécessaires pour permettre aux opérateurs qui le souhaitent de produire localement. C’est le cas pour la zone industrielle de Coromandel, qui est devenue un dortoir pour les expatriés et d’entrepôts pour les industries. Pourquoi les hôtels ne s’approvisionnent-ils pas en taies d’oreiller ou en tapis de lit sur le marché local, au lieu de les importer ? Cela aurait donné du travail à de nombreuses SME familiales et aurait réduit l’importation.

Qu’aurez-vous proposé au ministre des Finances pour le budget 2021-2022 ?
Qu’il y ait moins de taxes, qui constituent actuellement une lourdeur pour les entreprises. Il faut qu’elles soient plus légères. Après deux ans de difficultés, les marchés ne font que redémarrer. Ils n’achètent plus de la même façon. Il faut permettre aux opérateurs de reprendre leur souffle.
Les charges sociales sont également trop élevées, et représentent entre 12 et 16% de la masse salariale. Nous avons à contribuer pour le NPF, le PRGF, la HRDC et la CSG. Pouvez-vous me dire pourquoi on devrait payer le PRGF pour les expatriés ? Ils ne vont pas en bénéficier. Si on me demandait de prendre une assurance santé, j’aurais compris. Même chose pour l’Attendance Bonus. Les expatriés sont des contractuels qui doivent respecter leur contrat.

La guerre, qui ralentit les marchés européens, entre autres, ne va-t-elle pas affecter les opérateurs mauriciens ?
Ce n’est pas encore le cas. Il ne faut pas oublier que l’Ukraine a une base manufacturière importante. Actuellement, nous constatons que des acheteurs de la région des Baltiques, de la Pologne, etc., commencent à se tourner vers nous. Ce sont des occasions qui se présentent, bien qu’on ne sache pas combien de temps cela durera.

Croyez-vous en l’avenir du secteur manufacturier mauricien ?
Tout à fait. Sans l’industrie manufacturière, quels sont les secteurs qui pourront créer des emplois directs et indirects ?

Alors qu’une vague de pessimisme traverse le pays, quel message souhaiteriez-vous transmettre ?
Let’s fight together. Il faut qu’on cesse de se bagarrer. Allons corriger ensemble la perception de la corruption à Maurice, le gaspillage. Il existe des personnes de grande valeur dans ce pays. S’ils pouvaient se mettre d’accord sur un programme commun, le pays aurait pu accomplir de belles choses. Nous venons d’ailleurs de perdre une de ces personnes de grande valeur en la personne de Yousuf Mohamed. C’est une personne très bien que j’ai connue.

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