Des mentalités et des Arlésiennes

«  »Hécatombe » ». Ce n’est pas la première fois — et probablement pas la dernière — que Week-End utilise cette expression très forte, pour décrire les atrocités qui se déroulent trop régulièrement sur nos routes. Dans l’ancienne Grèce, l’expression «  »hécatombe » » décrivait un sacrifice de bovins, destinés à des rites religieux, avant que son sens n’évolue avec le temps. En prenant connaissance de chaque cas d’accident fatal, que constatons-nous ? Immanquablement, la vitesse excessive est mise à l’index. Mais derrière cela se cache un mal encore plus insidieux que qu’un ancien haut gradé de la police avait décrit comme «  »un manque de civisme, de courtoisie, voire d’éducation flagrants » ». Il n’avait pas tort.
Chaque jour, sur nos routes, nous ne faisons que constater les mêmes viols du code de la route : les dépassements non-autorisées sur les lignes blanches, les feux-rouges allègrement brûlés, les voies à sens unique non respectées, les autobus qui se moquent éperdument de débarquer et récupérer leurs passagers au milieu de la route au lieu de se mettre dans le Lay-By qui leur est consacré… La liste des incartades commises sur la route par les chauffards mauriciens est pléthorique.

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Certes, la police peut se targuer de battre record après record en ce qu’il s’agit des contraventions pour excès de vitesse. Et c’est vraiment le cas. Les records, dit-on, sont faits pour être battus. Il y a certains, tristes, qu’on ne souhaiterait pas battre. Cette année ne semblera pas déroger à la règle, puisque le commissaire de Police, Dhun Iswur Rampersad lui-même, a annoncé officiellement il y a deux semaines que le nombre de contraventions a augmenté d’environ 30% depuis le début de l’année. «  »Plus » » de contraventions ne signifie malheureusement pas «  »moins » » de morts.

Il n’y à qu’à voir ce qui se passe sur l’autoroute entre Montebello et Pailles pour se rendre compte qu’il y a vraiment quelque chose qui cloche dans la tête de nombre d’automobilistes mauriciens. Alors que ce tronçon est sous la surveillance stricte de caméras, alors que leur présence est sue de tous, alors que la limite de vitesse y est strictement précisée, pas moins de 150 automobilistes s’y font pincer chaque jour pour excès de vitesse. Incroyable, mais pourtant vrai ! Et on trouve bizarre qu’autant d’accidents de la route surviennent à Maurice ? Ce triste constat ne relève-t-il pas d’un «  »je-m’en-foutisme » » aigu qu’autre chose ?

L’automobiliste mauricien est devenu, depuis longtemps, un être stressé, pressé et impatient qui conduit en utilisant son portable, disait encore un ancien responsable de la Traffic Branch. C’est vrai que les embouteillages devenues désormais un fait coutumier de notre île y est pour quelque chose. La chaleur estivale n’est pas, non plus, étrangère à l’impatience des automobilistes grillant au soleil dans les files de voitures immobiles. Réseau routier inadéquat, parc automobile trop grand ; autant de raisons, aussi, pour expliquer l’encombrement de nos routes.

Il n’y a pas qu’avec les automobilistes et le réseau routier inadéquat pour un parc automobile en constante expansion que le bât blesse. Les piétons eux aussi sont aussi coupables de négligence, voire de faire abstraction totale du code de la route. Il y a quelques semaines à peine, Week-End reprenait les mots mêmes de Nicki Grihault,  du Travel Expert du Daily Telegraph, qui a parfaitement résumé la situation chez nous. «  »That said, driving in Mauritius isn’t for the faint-hearted. Roads often have no pavements, so people and dogs step in your way » ». Et de conclure : «  »Mauritian driving is erratic » ».
Durant les dix dernières années, environ 1500 personnes sont décédées dans des accidents. On dénombre un accident fatal toutes les 48 à 72 heures en moyenne, tandis que les accidents mineurs, il en survient un chaque demi heure à Maurice. Depuis autant d’années — les discours budgétaires faisant foi —, on nous rebat les oreilles avec l’introduction «  »prochaine » » du permis à points. Tout comme l’introduction du métro-léger, la décentralisation des tests de conduite hors de Port-Louis et de la National Transport Authority (NTA) afin de décongestionner nos routes. Les Arlésiennes, diriez-vous. Comme l’Anne de la fable, on ne voit toujours rien venir. Alors que les Arlésiennes et les morts se ramassent à la pelle, les mentalités empirent. Tandis que la prévention ne semble, pour le moment, qu’être vouée à l’échec.

Dans cet épais brouillard, l’association Prévention Routière Avant Tout (PRAT), d’Alain Jeannot, sort de l’ornière à travers des actions régulières, soutenues et énergiques. Comme en témoigne l’émission d’autocollants arborant les couleurs du quadricolore en marge du 12 mars portant ce slogan : «  »Ene sel pays, ene sel la vie » », ou encore la commémoration de la Journée mondiale du souvenir des victimes d’accidents de la route. Mais cela ne suffit pas.

«  »Toute révolution amène forcément avec elle une hécatombe » », écrivait certes Malcolm de Chazal. Mais combien de morts faudra-t-il encore sur nos routes pour que changent les mentalités et que les Arlésiennes se transforment en actions concrètes ?

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