Gilberte Chung, Directrice du Sedec : « La reprise des écoles est faisable »

Gilberte Chung, directrice du Service Diocésain de l’éducation Catholique (SeDEC), fait un bilan condensé des conséquences de la fermeture des écoles sur les élèves et les enseignants et l’apprentissage à distance. Ce qui en ressort est une réalité alarmante. Outre le décrochage des élèves avec une présence en ligne allant de 0 à 20 % dans certains cas et le stress des enseignants, elle explique clairement pourquoi il faudrait peut-être considérer une année supplémentaire au primaire comme au secondaire.

- Publicité -

D’abord, jusqu’à quand, selon vous, les écoles devront rester fermées ?

Selon le ministère de l’Éducation, seuls les élèves qui concourent pour un examen national ou international au secondaire, c’est-à-dire ceux de Grades 9, 9 + , 11 et 13, reprendraient à partir du 2 février. On ne sait pas encore quand les autres classes pourront reprendre. Évidemment, comme facteur de décision du High Level Committee des autorités, ce sera le nombre de cas positifs au Covid et le degré de risque sur la santé des enfants et des adultes dans la communauté scolaire. Cependant, si selon l’UNICEF les écoles ne sont pas les lieux principaux de transmission, et si les rapports de l’UNESCO et de l’OMS démontrent de plus en plus les effets néfastes du confinement et de fermeture des écoles, il faut travailler au plus vite sur une reprise pour le primaire et le secondaire avec tout le protocole sanitaire nécessaire.

Il y a des enfants de Grade 1 qui ont à peine eu 10 jours de classe depuis la rentrée 2021-22, et nous sommes au 3e trimestre ! Il y a de plus en plus de parents, d’enseignants et d’élèves qui veulent que les classes reprennent, car il y a trop de cas de dépression, de décrochage, d’inactivité ou d’oisiveté, et même de vagabondage ou pire. Il suffit de parler aux enfants et aux jeunes : ils veulent revoir leurs amis, ils ont besoin d’interaction humaine et sociale… On comprend que la sécurité et la santé doivent être prioritaires. Mais je pense qu’après deux ans de “cohabitation” avec le virus et ses variants, les familles comprennent mieux ce qu’il faut faire pour se protéger, les écoles ont maîtrisé le protocole sanitaire, les enfants et les jeunes ont adopté comme mode de vie les gestes barrières — il faudra quelques rappels et un peu plus de discipline —, mais je pense que la reprise des écoles est faisable, avec des conditions spécifiques.

Soit il faudra opérer en jours décalés, comme au 2e trimestre. Soit il faut se réinventer. Laisser les élèves qui n’ont pas les facilités d’apprendre en ligne revenir à l’école — il y a des écoles où cela peut se faire car il y a peu d’élèves —, toute l’école pourrait reprendre. Et pour les grandes écoles à forte population d’élèves, trouver d’autres solutions, conjuguer présentiel et en ligne selon le contexte et les moyens à la disposition des élèves.

Avec l’allègement du programme du PSAC, le nivellement par le bas semble inévitable. Votre avis ?

C’est un constat. Certains enfants sont prêts. Ils ont eu le soutien de leurs enseignants, de leurs parents et certains ont même eu des leçons particulières en ligne. Mais la majorité n’a pas vraiment bénéficié à cent pour cent des émissions à la télé. Il n’y a pas eu un suivi systématique pour savoir si l’enfant a suivi la leçon et si la leçon a été comprise. Il n’y a pas eu assez de contact time direct, en présentiel, avec les élèves pour couvrir le programme — dans certaines écoles, il y a eu des classes fermées à cause des cas positifs, dans certaines régions, les élèves ont complètement décroché. Quand l’enseignant/e est avec ses élèves, il/elle arrive à détecter sur les visages des enfants s’il y a eu compréhension de la leçon expliquée. Dans la situation actuelle, c’est le blank total. Donc, par allègement de programme, cela veut dire plus d’accent sur le programme de Grade 5, moins sur le Grade 6, ou le strict minimum des chapitres à couvrir sur les programmes des Grades 5 et 6. L’enfant n’aura pas la base nécessaire pour le Grade 7 et, évidemment, le problème sera juste transféré au secondaire. Il y a déjà des enfants du Extended Programme qui savent à peine lire et écrire. Nous allons avoir des enfants en Grade 7 du mainstream et qui auront “réussi” à leurs examens de PSAC sans pour autant avoir les compétences de base.

Ce sont les enseignants du secondaire qui devront recommencer la base. Dans ce cas, il faudra soit revenir sur une classe de Repeaters Grade 6+ au primaire, ou dans le secondaire, avoir une classe de Grade 7 Préparatoire — donner une année supplémentaire avant de commencer le programme de Grade 7. Autrement, ils ne seront pas prêts pour le NCE et, par conséquent, pas prêts pour le SC avec l’exigence des 5 credits… Pour cette génération d’enfants étant passés par le Covid-19, il faudrait peut-être se dire que le cycle primaire devrait être étendu sur sept ans et le cycle secondaire sur huit ans, avec un décalage d’âge, certes, mais qu’est-ce une année ou deux années de plus si c’est pour être mieux préparé pour sa vie d’adulte… Il s’agit, là, d’une pandémie qui affecte le monde entier et toutes les écoles du monde ont été affectées.

Contrairement aux candidats du NCE et des examens de SC-HSC de Cambridge qui iront au collège le 2 février, ceux du PSAC accuseront un retard considérable dans leur préparation en présentiel. Comment est-ce que les écoles catholiques vont s’y prendre pour rattraper ce retard ?

Nous avons fait un appel, dès le début de l’annonce de la fermeture des écoles, pour que nos enseignants restent en contact le plus possible avec leurs élèves. Certains ont préparé des fiches de travail que les parents sont venus récupérer et les enseignants ont fait le suivi… S’il y a un problème pour le suivi par les moyens de communication à distance (WhatsApp surtout et Zoom…), les parents ou autres membres de la famille font le va-et-vient pour récupérer les devoirs. Nous avons aussi une shared learning platform sur le site du SeDEC et les élèves peuvent y avoir accès librement. Connaissant nos enseignants, ils feront de leur mieux, mais ils ne pourront pas rattraper tout le retard. Cela est impossible.

Mais par-dessus tout, l’évaluation des élèves dans le contexte actuel reste problématique. Votre opinion ?

Certainement. L’évaluation reste problématique. D’ailleurs, on se pose la question : quoi évaluer s’il y a très peu du programme qui a été couvert ? Ce serait des évaluations partielles. C’est pourquoi les modular assessments qui devaient se faire en janvier ont été repoussés à fin avril. Comme les examens ne devraient pas être la finalité, je me demande si on ne va pas vers une promotion automatique. Autrement, ce serait une extension de quelques mois et carrément repousser le calendrier scolaire.

Avez-vous une idée de l’état psychologique des élèves, aussi bien que celui du personnel enseignant dans votre secteur ?

Je le disais plus haut. Nous entendons de plus en plus des cas de jeunes en dépression ou qui sont plus agressifs. Imaginez un enfant livré à lui-même à la maison. Qui s’assure de ce qu’il fait toute la journée ? Selon nos informations, dépendant des collèges, il y a seulement 20% des élèves qui répondent présents aux cours en ligne. Dans d’autres collèges, c’est 90% ou 100%.

Ou encore, zero response. Il y a un système d’éducation à plusieurs vitesses en ce moment et énormément de frustrations. Dans certains quartiers, c’est du vagabondage. Dans d’autres situations, vous allez voir ces jeunes se promener dans les grandes surfaces ou aller prendre des leçons particulières. Quant au personnel enseignant, surtout ceux qui doivent donner des cours en ligne, en majorité, ils disent qu’ils auraient préféré revenir travailler en présentiel. Il y a énormément de stress sur ceux qui sont engagés dans l’enseignement à distance, dans le cadre de leur maison, avec probablement les enfants ou d’autres membres de la famille autour. En fait, il faut se dire qu’il y a aussi une perte d’identité, car un enseignant sans élèves et qui ne fait rien n’est plus un enseignant. Quand on visite les écoles en ce moment, c’est vraiment bien triste, car c’est presque une coquille vide avec un noyau du personnel qui tient vaillamment le fort.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour