Le bon et les méchants

Commençons par l’Assemblée nationale. À la séance de vendredi, deux annonces pas si surprenantes que ça. L’une du Speaker et l’autre du Premier ministre. Celle de Sooroojdev Phokeer d’abord. Il a classé l’affaire dite du « bous… t… l… ta… pi… » en direction de la députée de l’opposition Joanna Bérenger parce que la très pointue Cybercrime Unit n’a pu établir qui a précisément proféré ces jurons. Quelle efficacité ! Alors même que ceux qui étaient présents dans l’hémicycle lors de ces incidents savent parfaitement qui est la personne qui a prononcé ces paroles honteuses et indignes autant que ceux qui suivaient les débats en direct.

- Publicité -

Une issue qui a fait dire à quelques persifleurs inspirés que ce serait bien plus fructueux pour la police d’aller à la pêche à la baleine que d’identifier une voix pourtant reconnaissable entre mille. Et l’ironie a voulu que l’auteur de la déclaration infâme s’en sorte avec la complicité ou l’incompétence de la police et que, juste quelques minutes plus tard, un député, faut-il encore ajouter « de l’opposition », Farhad Aumeer, a été expulsé pour avoir réagi à la déformation de ses propos par le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal.

Si l’autre annonce parlementaire de vendredi n’est pas surprenante, elle n’en est pas moins éloquente sur le climat qui règne au sein du Conseil des ministres. Pour les mauvaises nouvelles, c’est Renganaden Padayachy ou Soodesh Callychurn, par contre, pour celles qui peuvent donner l’illusion aux Mauriciens qu’ils sont choyés et protégés, c’est Pravind Jugnauth qui monte au front. Le bon et les méchants, nouvelle version.

Après avoir pris deux roupies sur chaque litre d’essence que nous payons à la pompe pour réunir Rs 1 milliard en vue d’acheter des vaccins anti-Covid, le gouvernement a décidé de puiser Rs 500 millions de l’argent des contribuables pour subventionner les importateurs et les distributeurs pour qu’ils ne passent pas la totalité de la hausse des prix des denrées de base aux consommateurs. Cette somme, les Rs 500 millions, c’est sans doute une toute petite partie de la manne de la TVA supplémentaire qu’a recueillie la MRA avec la hausse des prix. Un petit jeu de réallocation de ressources classique. Et c’est tant mieux parce que cela va soulager dans une certaine mesure les ménages déjà en difficulté depuis l’année dernière.

S’il est vrai que les facteurs extérieurs comme la hausse des prix à la source et les coûts du fret expliquent la spirale infernale, il ne faut pas non plus minorer l’incidence de la dépréciation de la roupie orchestrée par la Banque centrale depuis l’année dernière pour doper la relance des exportations et le tourisme.La hausse des prix que nous enregistrons est le fait de la dépréciation à une cadence accélérée de la roupie, depuis : 17% en avril dernier et 3,5% après le budget, et cela n’a pas encore impacté les importations de ces dernières semaines. C’est dire qu’il faut s’attendre à d’autres répercussions tout aussi indigestes dans les mois qui viennent.

À part les prix et quelques tournois sportifs internationaux de premier plan, l’opinion se passionne aussi en ce moment pour le procès en annulation de l’élection de Pravind Jugnauth et de ses colistiers Leela Devi Dookun-Luchoomun et Yogida Sawmynaden entré par le candidat battu du PTr Suren Dayal. Même si ce que raconte l’ancien ministre rouge devant la Cour suprême ne procède pas de la révélation ou de la découverte pour les Mauriciens, ce procès a le mérite de remettre au cœur de l’actualité la toxicité endémique de nos mœurs électorales. Celles que l’on croyait révolues et définitivement enterrées depuis l’invalidation de l’élection d’un autre Jugnauth, Ashok, au N°8 même, en avril 2007, par les juges Paul Lam Shang Leen et Bushan Domah et confirmée ensuite par le comité juridique du conseil privé.

Non, ce procès, qui vient lui aussi presque deux ans après les faits, ce qui est regrettable alors que l’on est censé avoir évolué en 15 ans, nous permet de refaire le film de la campagne de 2019, une des pires de l’histoire électorale du pays en termes d’utilisation de méthodes peu orthodoxes à la veille du scrutin pour obtenir des voix. Et si en 2007, lors du procès de Raj Ringadoo contre Ashock Jugnauth, une des pièces essentielles de la stratégie de propagande permanente et encore plus scandaleuse en temps de campagne électorale, la MBC, est, cette fois, bien présente au cœur des dérives mises en avant par le pétitionnaire pour établir la corruption électorale et l’influence indue exercée sur les votants.

La comparaison avec le cas Ashock Jugnauth est intéressante à plusieurs niveaux parce que ce qui lui a valu une disqualification comme député, la promesse d’un cimetière à une communauté dans sa circonscription du N°8 et des emplois distribués, le dossier déposé par Suren Dayal sur les entorses à une élection libre et équitable telle qu’elle s’est déroulée en 2019 paraît bien plus épais. Et le plus dramatique en attendant que la cour se prononce enfin sur ce cas et sur les autres pétitions électorales logées contre les élections de certains députés arrivés avec seulement 25, 49, 92, 149 ou 158 votes devant un candidat de l’opposition, c’est qu’après le double jugement de la Cour suprême mauricienne et du conseil privé, il ne s’est rien passé.

Ces instances judiciaires avaient pourtant préconisé des mesures pour assainir nos mœurs électorales plus proches des démocraties de façade et des républiques bananières que de celles qui font d’un scrutin un grand rendez-vous citoyen où tous les candidats sont logés à la même enseigne et obtiennent le même traitement que ceux qui ont la protection d’un gouvernent sortant. Et il est dommage qu’à Maurice, au lieu du consensus sur les grandes questions, déroulement des élections, réforme électorale et financement des partis politiques, il faut toujours repasser.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour