Oh, le feel good…

Sans craindre de paraître totalement hors sol et, à la limite, ridicule, le Premier ministre a, dans son allocution du début d’année 2023, décidé qu’il y avait un « feel-good factor » dans le pays. Son fameux radar doit être probablement bien déréglé pour qu’il en vienne à un tel constat. Sur quelle planète vit Pravind Jugnauth pour nous sortir une pareille énormité ? C’est inquiétant un chef de gouvernement et de parti qui ne sait pas jauger de l’humeur de ses concitoyens et mesurer à quel point ils sont exaspérés.
À force de rester dans sa tour d’ivoire, bien entouré de ses courtisans qui lui chantent, matin et soir, que «tout va très bien madame la marquise» et de creuser la distance avec les masses, il a fini par être coupé des réalités du pays. Son style de gouvernement est aussi un facteur qui le conforte dans son ignorance et sa méprise de l’humeur de la nation. En orchestrant une vampirisation de tous les organismes publics, devenus pour la plupart des nids d’agents du Sun Trust, il est, sans doute, sous l’impression que tout roule, que tout baigne et qu’on est dans le meilleur des mondes.
Il n’est pourtant pas difficile de savoir que de nombreuses décisions prises par lui-même, ses ministres et ses nominés politiques sont très mal accueillies par une grande partie de la population. Il n’y a qu’à prendre les quinze premiers jours de l’année et les événements qui se sont produits pour constater que le courroux « out there » est considérable.
À peine la nouvelle année commencée que l’on enregistrait une première controverse : la commutation de peine du fils du commissaire de police alors qu’il était en pleine procédure d’appel directement au Conseil privé après que la cheffe juge lui en a refusé l’autorisation. Un scandale qui a mis en lumière la légèreté de la composition de la Commission de pourvoi en grâce, pourtant capable de renverser, avec une incroyable facilité, un arrêt de la plus haute instance judiciaire du pays. À ce rythme, c’est à se demander s’il ne faudrait pas songer à abolir les tribunaux et laisser un quarteron d’agents du pouvoir décider de l’administration de la justice et à qui infliger des amendes, des peines d’emprisonnement, accorder le pardon et nettoyer le certificat de caractère.
Le feel good était déjà inexistant que la réunion tant attendue du Petroleum Pricing Committee est venue plus que doucher mais refroidir totalement les automobilistes qui s’attendaient à une réduction des prix du carburant suivant la chute constante des cours du pétrole sur le marché mondial. Ceux qui avaient pensé que les manifestations de l’ACIM ou la grève de la faim de Nishal Joyram avaient donné à réfléchir aux décideurs et que cela les ferait infléchir leur position en ont été malheureusement pour leurs frais. Et on ose parler de « feel good » !
Le plus grotesque dans tout ce dossier des prix du carburant, c’est que lorsqu’on augmente le prix et que l’on maintient la flopée des taxes qui gonflent le litre à la pompe, les autorités invoquent les cours mondiaux qui prennent l’ascenseur. Lorsqu’ils dégringolent, c’est cette fois le Price Stabilization Account qui est mis en avant et son déficit brandi pour justifier le statu quo. Il vaut mieux de pas parler de la blague qui consiste à dire que le Petroleum Pricing Committee a travaillé en toute « indépendance » et qu’il a décidé d’une majoration du prix du diesel, mais que c’est le bon et gentil ministre du Commerce, très soucieux de la préservation du porte-monnaie des automobilistes, qui a, dans sa grande mansuétude, décidé d’opposer son veto pour exiger une baisse, mais pour maintenir le statu quo. Et c’est cela qui est supposé procurer un grand sentiment de bien-être chez le peuple.
Et c’est le même feel bad and sad qui anime en ce moment les Curepipiens qui voient leur jardin botanique historique se parer de béton pour une « religious platform ». Cet empiétement constant et sans fin des espaces publics de rencontre, de repos, de tranquillité et de détente doit cesser. Certains ont investi les rivières, d’autres des îlots, des bouts de plages et c’est maintenant les jardins publics, ces derniers havres de paix des zones urbaines très denses. Alors qu’il y a déjà d’innombrables lieux de culte à travers le pays.
Il faut impérativement (re)poser la question de l’utilité sociale et environnementale des espaces publics. Le jardin de Pamplemousses n’est plus ce rendez-vous incontournable des Mauriciens et des touristes amoureux des plantes, des nénuphars et d’air pur et qui se faisaient un plaisir d’aller contempler le château Mon Plaisir. C’est devenu un lieu de sépulture. S’il faut trouver un endroit pour honorer la mémoire des Premiers ministres, pourquoi ne pas aménager un mémorial dédié à ceux qui sont considérés comme des tribuns à Côte d’Or ? Ce serait l’idéal puisque tous les chemins et tous les rails y conduisent désormais, même si cela coûte cher aux contribuables.
Le paradoxe de ce pays, c’est que pendant que les garants des lieux publics organisent leur massacre au nom d’anciennes pratiques et d’un vulgaire et répugnant clientélisme, des corps religieux empruntent l’itinéraire exactement opposé. À l’instar du Diocèse de Port-Louis, qui a annoncé l’aménagement d’une mini-forêt à la Place Cathédrale, question d’introduire un poumon vert au cœur de la capitale historique. C’est bien que ce concept de tiny forest fasse son chemin depuis qu’un groupe de citoyens a décidé d’en créer une au cœur même de ce Grand Baie défiguré.
Alors, le feel-good factor ? On a beau chercher, on n’a pas trouvé. Qui sait, le 1er janvier 2024, année électorale par excellence et, pour ne pas se répéter, le Premier ministre va peut-être, s’il est encore là, venir dire à la population que le « feel good » s’est littéralement transformé en extase. Voire en nirvana ! Dangereux farceur va !
Josie Lebrasse

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