Toucher l’abîme 

Si le jugement dans l’affaire Jenny Adebiro ne constitue pas une surprise en soi dans la mesure où la partie mise en cause, le Commissaire électoral, a concouru dans le sens de la pétitionnaire et a annoncé ne pas s’opposer à un recomptage des voix, les commentaires des juges Aruna Narain et Denis Mootoo sont, eux, particulièrement éloquents. 

- Publicité -

“Glaring discrepancies and lack of reconciliation of figures”. Ce sont les expressions phare du jugement prononcé le vendredi 21 janvier. Et les coups de griffe du judiciaire ne se sont pas arrêtés là :commission électorale, commissaire, Returning Officer et même représentants légaux de la partie défenderesse, candidats et agents de partis censés veiller au bon déroulement du dépouillement en ont aussi pris pour leur grade. 

Un appel au devoir de vigilance est aussi lancé aux organisateurs des élections pour que de telles dérives ne se reproduisent pas. Il fut un temps où les agents électoraux se battaient pour dormir pratiquement sur les boîtes contenant les bulletins de vote pour empêcher que quiconque tente de bourrer les urnes ou d’ajouter celles qui seraient favorables à la partie adverse. 

Lorsqu’on sait comment un scrutin peut être perverti, comme cela vient de se passer avec les dernières villageoises, et que des gagnants sont subitement devenus des perdants au niveau du Conseil de district, il y a définitivement lieu de repenser non seulement la démocratie mauricienne mais la manière dont elle se décline. À tous les niveaux. 

Et il n’y a pas que l’organisateur institutionnel du scrutin à se réinventer au plus vite, il y a le rôle de la MBC, de ce qu’elle peut ou ne peut pas faire durant une campagne électorale, celui des organismes d’État, bourrés d’agents politiques qui roulent à plein régime pour faire élire leurs bienfaiteurs. Il y a tout ça à revoir. Les élections à Maurice doivent désormais sortir du folklore et devenir un vrai exercice démocratique et citoyen et, enfin, un rendez-vous de la maturité. 

Mais ce qui se passe au no 19 est déjà fort instructif. Celui dont l’élection est visée, Ivan Collendavelloo a, dans sa première réaction, clairement blâmé la commission électorale pour les irrégularités relevées. Après avoir pris acte qu’elle a “fané”, l’ancien Premier ministre adjoint s’est surtout réjoui que ce soit la Master and Registrar qui supervisera le nouveau décompte des voix. 

Il semble, ici, que la procédure soit respectée. C’est devant celle qui était alors Master and Registrar, Gaytree Manna, que le recomptage des voix dans le 4e arrondissement de la mairie de Port-Louis avait eu lieu le 20 juillet 2013. Autrement plus expéditive à cette époque, la justice avait décidé, sept mois après, d’un nouveau décompte des voix suivant la pétition logée par le candidat MMM Jenito Seedoo.

Un premier recomptage organisé le jour même du scrutin municipal du 9 décembre 2012 avait ramené la différence de votes entre Jenito Seedoo et l’élue déclarée de l’alliance PTr/PMSD de 4 voix à 1 voix. Le candidat du MMM ne s’avoua pas vaincu et eut recours à la Cour suprême avec le concours de ses représentants légaux, Veda Baloomoody et Preetam Lallah. 

Les juges Ashraf Caunhye et David Chan Kan Cheong avaient statué en faveur d’un recomptage sur la base de la faible marge séparant la candidate proclamée élue et le candidat battu. Lors du nouvel exercice de dépouillement effectué en présence de la Master and Registrar, Jenito Seedoo a finalement été déclaré élue, cette fois, par trois voix aux dépens de Martine Bistoquet, alors une sportive et activiste proche de Rashid Beebeejaun. 

La date du recomptage des voix au No 19 est, il va sans dire, attendue avec impatience. Même si les plus cyniques et ceux qui ont des raisons de douter de tout vont jusqu’à penser que les bulletins pro-Jenny Adebiro ont, après 26 longs mois, pu disparaître et se retrouver dans la nature.

Mais il n’y a pas que le no 19. L’affaire du No 1 sera aussi intéressante à suivre d’autant que le commissaire électoral entend, cette fois, jouer aux abonnés absents et résister à la demande de l’avocat de la pétitionnaire Arianne Navarre-Marie de se présenter en Cour et répondre aux questions de Me Gavin Glover. 

Les failles sont actées au no 19. L’organisateur des élections a lui-même reconnu qu’il y avait eu des irrégularités lors du scrutin de 2019. Pourquoi ce qui s’est passé à Stanley/Rose-Hill ne se serait pas produit à Port-Louis Ouest/Grande-Rivière-Nord-Ouest mais aussi à La Caverne/Phoenix et Montagne-Blanche/Grande-Rivière-Sud-Est? 

C’est là que les explications des Returning Officers des circonscriptions concernées autant que celles du Commissaire électoral sont plus que nécessaires. Elles sont obligées. Toute dérobade ne pourra être interprétée que comme une fuite en avant si ce n’est un aveu de culpabilité. 

Dans un monde idéal, celui de l’intégrité des institutions, de la transparence et de la démocratie, le seul moyen d’assainir la situation, de confirmer ou d’infirmer le résultat du vote du 7 novembre 2019, dissiper le doute et restaurer la confiance dans le processus électoral, aurait été d’organiser un nouveau scrutin sur des bases bien plus saines que celles, inédites, enregistrées aux dernières élections générales.

Mais non. Maurice n’est même pas le Malawi, pays où la Cour a, le 3 février 2020, annulé les élections tenues le 21 mai 2019 et a organisé un nouveau scrutin présidentiel le 23 juin 2020, et, encore moins, le Kenya qui a été encore plus vite en besogne. Dans ce pays, les élections présidentielles, tenues le 8 août 2017, avaient été annulées le 1er septembre 2017 et réorganisées le 26 octobre de la même année. 

Lorsque nous ne pouvons plus tenir la comparaison avec de tels pays, auprès de qui nous avons longtemps été cités comme une référence absolue en Afrique, c’est que nous ne sommes pas loin de toucher l’abîme. Voilà ce qui devrait pousser à la reflexion comme à la décision ceux qui ont la charge de faire fonctionner les institutions.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour