INSELDAME
Noël sous les tropiques, ça rime avec soleil, plages, litchis, flamboyants, grosses averses et ruées dans les magasins. Cette année, Zanzak et ses deux sœurs ont décidé d’avoir un Noël écolo-responsable car c’est bien de ne pas trop consommer et de ne pas trop polluer, disent les maîtresses. Les sœurs de Zanzak ont aidé à peindre des pommes de pin et des objets et emballages ramassés alors que papa a assemblé des branches et autres matériaux pour en faire un sapin. Il y a eu de nombreuses consultations de YouTube et de Pinterest sur la confection des décorations… La famille en est fière, elle peut dire qu’elle a abandonné le plastique et qu’elle participe à sauver la planète. À l’école, ils ont beaucoup travaillé sur le changement, ou plutôt la crise climatique et les initiatives vertes. Mais ce qui intéresse vraiment Zanzak ce sont les cadeaux, les vacances et pas de devoirs.
Noël, c’est aussi la période où maman commence à rappeler aux enfants qu’il ne faut pas oublier la véritable raison de Noël, elle descend la vieille crèche pour la mettre sous le sapin en repassant bien, comme pour une leçon d’école, sur l’identité des personnages, des circonstances et la raison de la naissance de ce bébé. Maman en a rajouté une dose avec les enfants qui vivent dans les pays en guerre et ceux dont les parents n’ont plus de travail et que les choses vont en s’empirant dans le monde. « Oui Maman, on le sait » à l’unisson et en hochant la tête avec un petit regard subtil vers le ciel.
Les enfants sont heureux en cette veillée de Noël, bien qu’ils soient en âge de comprendre que ce sont les parents qui leur achètent les cadeaux selon une liste consultée et validée d’avance, ils aiment les réunions de famille, les chants, les sorties, les adultes qui rient fort, les surprises, l’ambiance euphorique avant l’ouverture des cadeaux et même les pétards dans le quartier. Zanzak aime raconter à sa petite sœur que le Père Noël a déjà commencé sa tournée dans le monde, et qu’il visitera leur maison à une heure très précise où personne ne le verra, en passant par la fenêtre de la cuisine puisque la maison n’a pas de cheminée. À la maternelle, la petite a travaillé tout un mois sur des bricolages de Noël. Zanzak est un grand frère attentionné et ce qui lui plaît, c’est de partager l’imaginaire de sa petite sœur qui croit encore aux histoires de traîneaux, de rennes, de petits elfes qui fabriquent les jouets au pôle Nord.
Comme chaque année, Zanzak et les filles, après s’être gavés de gajacks, de bons plats, de viandes et de desserts, n’ont pas pu attendre minuit pour les cadeaux et se sont couchés fatigués, repus et satisfaits. Le lendemain matin sera le matin de Noël, ce sera la joie de déballer les cadeaux, de tester les
jouets avec papa et de voir papi et mami au déjeuner, qui eux aussi ont prévu de gâter les enfants.
Au réveil, le soleil n’a pas encore envahi la chambre mais les oiseaux chantent déjà. Zanzak est réveillé en sursaut par un bruit assourdissant comme un énorme klaxon de camion dans la rue ou une sorte d’alarme ou de trompette dans l’air. Il ne peut distinguer d’où vient ce bruit, ou alors est-ce un air de musique? C’est partout à la fois mais on dirait que cela vient de nulle part.
Alors Zanzak regarde dehors et remarque que le ciel est teinté d’orange et de mauve, comme lors de ces magnifiques couchers de soleil avant un cyclone. Sa première réaction est d’aller voir sa grande sœur qui sait toujours tout ce qui se passe, et de vérifier que celle-ci a bien entendu ce bruit. Il ouvre sa chambre mais voilà qu’elle n’y est pas. Il se dit qu’elle a dû aller dans la chambre des parents, alors il y court. Et voilà que personne, y compris la petite, n’est dans la chambre. Le lit est bien défait et les pyjamas jetés à même le sol mais il n’y a personne à la maison, personne ne parle, pas de bruit dans la maison. La voisine hurle mais elle crie tout le temps sur ses enfants et son mari.
Zanzak se dit qu’ils sont peut-être tous au salon à déjà déballer les cadeaux et que ce bruit qui l’a réveillé n’est peut-être pas quelque chose qui a alerté tout le monde. Les cadeaux sont bien là sous le sapin, intacts, personne dans la cuisine ni dans le jardin. D’ailleurs, la cuisine ne sent pas le café trop fort de maman comme tous les matins, c’est que la famille est absente depuis avant son réveil.
Pour la première fois du haut de ses 11 ans, Zanzak éprouve de l’inquiétude, la vraie, celle qui empêche de réfléchir, qui fait respirer de plus en plus fort et battre son cœur trop vite; et il
sent monter les larmes. Il est bien seul, il ne sait pas s’il doit avoir peur pour sa famille ou pour lui-même. Il pleure de toutes ses larmes, il hurle dans le salon. Il se calme de temps en temps en regardant les cadeaux et se dit qu’il n’arrivera pas à les ouvrir. Alors il se met à balancer des coups de pieds dans les paquets de cadeaux et crie « je hais Noël, c’est un horrible Noël ». « Je hais les cadeaux, je déteste ce qui m’arrive ». Il a le cœur brisé, il a peur et bien qu’il n’ait pas faim, il se demande s’il va pouvoir se débrouiller pour se faire un petit déjeuner.
Désemparé, Zanzak s’assoit par terre contre le mur du salon, la tête baissée entre les jambes en souhaitant très fort que cette situation se passe. C’est alors que sa maman lui vient à l’esprit, elle qui dit que si nous n’avons pas de réponse et pas de solution, de prier. Maman lui manque très fort. Il y pense encore lorsque quelqu’un entre dans le salon, ou plutôt apparaît soudainement en éclairant la maison mais silencieusement.
Zanzak lève doucement la tête, il va crier mais se tait. Cette présence inattendue n’a rien d’effrayant, c’est un homme très grand aux larges épaules, d’une chevelure mi-longue et habillé en blanc, ou alors peut-être que les vêtements miroitent. Tel un soldat avec un pantalon tactique à poches et des bottes de combat, il ressemble à ces guerriers vikings des séries de papa mais sans le côté sanguinaire ou méchant, juste une personne ou un sur-homme fort. Il y avait surtout quelque chose d’étrange dans son apparence, Zanzak n’arrivait pas à distinguer ses traits du visage mais seulement l’éclat de ses yeux. Un super héros peut-être. De sa peau, de ses vêtements et tout autour de lui émane une sorte de lumière, on dirait que
la source de cette lumière est à l’intérieur de cet homme et qu’elle est encore plus puissante que ce qui apparaît à l’extérieur. On dirait presque que cet homme a quelque chose de rassurant et de glorieux. Pendant un court instant, Zanzak oublie presque son désarroi et se met à admirer ce qu’il voit.
– « Qui es-tu toi? » demande Zanzak en essuyant ses larmes.
– « Tu n’as pas besoin de connaître mon nom, je sers le Roi. Je fais partie de la dernière section de l’armée et le signal a été donné. Les Noces sont annoncées et nous avons dû donner l’alerte. Tu as peur, tu penses que ta famille a disparu mais ne t’inquiètes pas pour elle. Ils ont rejoint le Pays des Festins », répond cette créature à l’allure humaine et à la voix semblable à un chœur de plusieurs.
– « Mais qu’est-ce que tu racontes? Je ne comprends rien, je veux juste retrouver mon papa, ma maman et mes sœurs. Et puis, c’est où ça le pays de je ne sais quelle chose? » Zanzak était encore plus perdu avec ces explications.
– « Là où le Roi habite de toute Sa présence. Celui qui existe avant que toute chose soit, qui n’a ni de début ni de fin. Petit garçon, pour ce qui est du jour ou de l’heure, personne ne le sait, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul. Mais l’heure est venue, nous y sommes! »
– « L’heure de quoi? L’heure de je ne sais quoi est arrivée mais pourquoi moi je suis à la maison seul et ma famille est ailleurs, et avec qui et pourquoi? Zanzak avait de la peine, il respirait fort, fronce les sourcils et se pince les lèvres pour se retenir de pleurer encore. »
– « Je te le dis, en cette nuit-là, de deux personnes qui seront dans un même lit, l’une sera prise et l’autre laissée; alors, de deux hommes qui seront dans un champ, l’un sera pris et l’autre laissé. Je vais t’aider un peu : te rappelles-tu un secret
que ta maman t’a déjà confié, de quelque chose qu’elle a dit qui arriverait mais que personne n’y croirait et que personne ne veut en entendre parler? »
– « Euh, euh elle a dit que… » Zanzak faisait marcher sa tête aussi vite qu’il pouvait, comme si de sa réponse va dépendre un miracle ou le dénouement de cette très mauvaise matinée. « Elle a déjà dit un truc du genre qu’il se peut que ceux qui savent la vérité et qui veillent et qui restent vigilants partent avant les autres, sans mourir, mais partent juste comme ça, car l’ère du cheval noir est déjà là et qu’avant l’arrivée du cheval pâle, ceux qui savent seront emportés ». Il s’arrête puis pleure : « Maman expliquait souvent cette histoire et moi je n’écoutais pas vraiment. C’était trop compliqué et trop sérieux ».
– « Alors tu le sais petit garçon, tu sais que certains rateront ce moment même s’ils pensent être gentils et obéissants ou s’ils pensent faire ce qu’il faut comme il le faut. Ce qui compte, c’est ce que ton cœur sait et ce que ton âme soit. Nul n’est sauvé par ses propres œuvres. Seuls ceux qui veillent… »
– « et qui passent par le chemin et la porte du Pays des Festins, oui je le sais » répond Zanzak, triste. Il reste bouche bée et son regard se perd car il savait de quoi ce super héros anonyme parlait, maman disait souvent que l’état de notre âme c’est ce qui restera.
Les oiseaux chantent en ce matin de Noël, le soleil brille dans la chambre et Zanzak se réveille tranquillement. Il court dans la chambre des parents, ils sont là! Il fait le tour de la maison, les filles sont là et les cadeaux sous le sapin. Alors, soulagé il rejoint les parents, il se glisse à côté de papa pour lui faire un gros câlin et dit aux parents : « Papa, maman c’est pour bientôt, il faut veiller. »