Sébastien Sauvage (Eco-Sud) : « Nous pensons que les autorités veulent garder un contrôle sur les opérations »

Très active sur le terrain depuis l’échouement du MV Wakashio, l’Ong Eco-Sud vient pourtant de quitter le National Oil Spill Crisis Committee. Elle déplore le fait que les autorités n’aient pas répondu à ses requêtes pour une plus grande implication de la société civile dans les opérations. Sébastien Sauvage, le porte-parole, regrette même que cette démarche soit perçue comme une attaque par certains. Il souhaite que l’énergie des volontaires, qui ne peuvent plus aider au nettoyage, soit utilisée pour un exercice de “think tank” ou pour planter des mangroves à travers l’île. De même, il appelle à la vigilance face à ceux qui « jouent avec la fibre communale ».

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Un mois après l’échouement du MV Wakashio et le déversement d’huile dans le lagon, on se retrouve avec des dauphins morts dans le sud-est. Comment réagissez-vous à cela ?

On est attristé, mais pas étonné. Nous sommes très conscients que la pollution causée par le MV Wakashio aura des impacts sur le cours, moyen et long termes. Il y a six types de zones écologiquement sensibles dans la région, qui ont été directement impactées, soit les récifs coralliens, les îlots, les “wetlands”, les mangroves, les herbiers et les rivières. Il y a de la vie dans tous ces endroits. Ce sont de riches écosystèmes.

La pollution a fortement impacté tout cela. On appelle ça un écocide. Il faut qu’on puisse mettre en place des moyens pour “monitoring” de ces impacts. Il ne faut se fier à quelques experts étrangers qui vont plonger deux ou trois jours dans notre lagon pour venir minimiser l’impact de la pollution.

Il y a un travail à faire sur la durée. Cela doit pouvoir impliquer les autorités et les associations qui sont présentes sur le terrain. Eco-Sud, par exemple, est sur le terrain depuis 20 ans. Et il n’y a pas que nous. On doit pouvoir avoir une relation. Nous devons également avoir les autorisations nécessaires pour pouvoir faire notre boulot. Par exemple, nous ne sommes pas autorisés à faire des prélèvements dans le lagon. Pourtant, les experts des Nations Unies ont bien fait comprendre qu’il faut laisser les Ong faire ce travail-là. Il y a comme des réticences…

Nous avons l’impression que les autorités veulent garder un certain contrôle sur toutes ces opérations, et nous ne comprenons pas trop cette démarche. J’ai l’impression qu’ils vivent notre souhait d’être impliqué comme une attaque ou quelque chose qui remettra en cause leur mode de fonctionnement. Nous, on est là pour essayer de voir comment on pourra réhabiliter, restaurer. Et pour revenir aux dauphins qu’on a retrouvés morts, je souhaite qu’il y ait de la transparence. Il est important que les gens de la société civile soient impliqués. À notre niveau, nous avons pris la décision de quitter le National Crisis Committee.

Le but n’était-il pas justement de représenter la société civile ?

Nous ne pouvons siéger sur un comité et ne recevoir aucunes “minutes” des réunions. Nous avions demandé que cela soit mis dans le domaine public, car il y a des informations importantes qui s’échangent. Eco-Sud, Business Mauritius et la Reef Conservation ne peuvent représenter la société civile à eux seuls. Il faut faire de la place pour plus de représentativité. Il faut aussi considérer les différents avis. Moi, je ne vois pas de débats contradictoires entre les experts. Un expert dit un point et on décide de l’implémenter. Ensuite, le Premier ministre vient dire qu’il a écouté les recommandations des experts. Mais quand il n’y a eu qu’un seul expert, on n’a qu’un avis. Où est le débat contradictoire ? C’est d’autant plus important que les experts sont payés par l’assureur.

Nous avons fait une demande pour la mise sur pied d’un National Wakashio Consultation Committee, un peu comme la National Energy Commission, qui avait été mise en place dans le sillage de la mobilisation citoyenne autour de CT Power. Tous ceux qui se sentent concernés pourraient venir déposer devant un panel politiquement indépendant et les auditions se feraient en public. Cela aurait permis d’avoir une analyse du problème qu’il y a eu, la façon de gérer nos côtes, la sécurité, la réactivité de ceux supposés protéger nos mers, ainsi que le Contingency Plan. L’idée étant de venir avec un plan stratégique à la fin. Mais nous n’avons eu aucun retour.

Comment interprétez-vous l’élan de solidarité qui s’est manifesté après le déversement d’huile ?

La solidarité a permis beaucoup de choses. Cela a permis qu’on intègre ces commissions. À notre niveau, dès le premier jour, quand le bateau est venu s’échouer, Eco-Sud a envoyé une lettre au ministère de l’Environnement pour dire que nous sommes des gens de l’endroit et que nous étions disposés à contribuer, mais il n’y a eu aucune réponse. Après quand le bateau ait coulé, il y a eu une politisation incroyable de l’événement. Dans tout cela, la population s’est mise debout comme un seul homme pour faire face à la marée noire. Les gens de la localité, les gens de mer, se sont mobilisés pour faire du “fire fighting”. Ils ont aidé à la création de “booms” artisanaux, ont mis des bateaux à disposition et ont été vite rejoints par des citoyens des quatre coins du pays.

Je crois que c’est cet élan qui a fait les autorités réaliser qu’il fallait ouvrir un peu les portes. Il y a eu la mise en place d’un Technical Committee. Après, on a pu intégrer le National Crisis Committee, et là, on a commencé à comprendre ce qui se passait. Comment les choses étaient gérées. Je dirai qu’il y a une bonne volonté des gens sur le comité. Le commissaire de police, qui préside, se donne à fond, mais il y a encore beaucoup de choses qu’on ne comprend pas. C’est difficile d’être là, au sein de ce comité, et d’être comme un élément rassurant pour la population, de poser des questions et ne pas avoir d’élément de réponse. Alors qu’on n’arrive pas à comprendre. La communication entre les différents ministères n’est pas quelque chose qui fonctionne. Il y aurait pu avoir beaucoup de progrès, mais on se retrouve avec des monoblocs, comme le ministère de la Pêche, le ministère de l’Environnement… Les choses ne sont pas fluides. Je pense qu’on a beaucoup de progrès à faire à ce niveau-là.

Notre participation ne s’arrête pas là. Nous sommes toujours sur le terrain, on est en train de pousser pour que les différentes études d’impact, que ce soit au niveau environnemental ou social, puissent être menées à bien. Nous sommes en train de mettre en place des formations pour les gens affectés afin de leur permettre d’avoir des revenus alternatifs. On travaille également avec des bénévoles pour une cellule d’écoute, et aussi des cellules pour qu’un médecin puisse être présent. Car les gens se sentent abandonnés. Ils ont vécu un grand traumatisme. Ils ont besoin de parler, d’être écouté, de voir un médecin…

Nous sommes en train de voir avec Médecin sans Frontières et d’autres organisations si on peut avoir une présence au Mahébourg Waterfront et à Vieux-Grand-Port. Nous offrons également des “food packs”, car il y a des familles qui ont besoin de support alimentaire.

Le fait qu’on ait interdit des volontaires sur les plages est-il venu casser la solidarité, selon vous ?

Dès le “spilling”, on nous a demandé de procéder à l’enregistrement de ceux qui veulent aider. Après, on est venu mettre des zones sinistrées. J’ai compris qu’on ne voulait pas accroître l’effet négatif sur l’environnement. Par exemple, plus on marche sur l’herbe, sur la plage, les mangroves déjà souillées, et plus l’huile pénètre profondément. Mais c’est vrai que cela a démobilisé les gens. Nous on a dit qu’on aurait pu convertir cette énergie qui, au départ, était dans la confection de “booms”, en un “think tank” pour réfléchir sur un alternative “livelihood” pour ceux qui sont touchés. Tous les pêcheurs ne vont pas devenir planteurs du jour au lendemain. Il faut voir quelles sont les autres mesures alternatives pour aider les gens de l’endroit impactés. Voir ce qu’ils peuvent faire demain…

En ce qui concerne les volontaires, on a proposé aux autorités de pouvoir encadrer les gens de bonne volonté pour aider au processus de nettoyage, de réhabilitation. Aujourd’hui, on comprend qu’il y a un peu de réticence. Ce n’est pas si simple que cela. Déjà, Le Floch Depollute et Polyeco travaillent avec les pêcheurs. Ceux-ci sont rémunérés, et c’est bien. Mais les autres ? Pour nous, la priorité, c’est les gens de l’endroit. S’ils arrivent à être partie prenante du processus de nettoyage et à être rémunéré, c’est bien. Peut-être qu’ils peuvent aussi devenir des “team leaders” pour les volontaires. Le nettoyage va durer six mois ou un an. Mais peut-être que ces acteurs qui gèrent la dépollution ne veulent pas avoir affaire à des volontaires, qu’ils veulent travailler dans un cadre…

Il y a plusieurs Ong actives à Mahébourg et dans les régions avoisinantes actuellement. N’est-il pas mieux de travailler en partenariat pour créer une synergie ?

Les Ong avec un focus sur l’environnement sont déjà en interaction. Nous travaillons notamment avec la Mauritian Wildlife Foundation, la Mauritius Marine Conservation Society, la Mauritius Scuba Diving Association et la Reef Conservation. À ce niveau, nous essayons de voir comment nous pouvons, ensemble, contribuer au “monitoring” sur le long terme. À un autre niveau, il y a aussi des Ong comme Caritas pour venir en aide aux familles en difficultés.

Vous avez organisé une opération de “crowdfunding”, qui a évolué rapidement. Comment allez-vous gérer tous ces fonds ?

Les levées de fonds sur crowdfund.mu et Gofundme.com ont permis à ce jour de récolter plus de Rs 25 M. On a eu clairement une bonne vision et, surtout, de la transparence, pour gérer ces fonds. Nous avons mis en place un comité consultatif et avons invité des gens comme “trustees” afin qu’ils aient un droit de regard sur la gestion de ces fonds et faire des recommandations. Tout cela est assez nouveau pour nous. Nous ne sommes pas habitués à gérer de tels montants et nous ne voulons pas procéder de manière précipitée. En même temps, nous savons qu’il y a de grandes attentes et nous voulons faire les choses bien. Les fonds seront utilisés pour des programmes de réhabilitation et de restauration du lagon, entre autres. Ils serviront aussi à aider ceux qui ont été affectés à réorganiser leur subsistance.

Vous agissez au niveau des mangroves ?

D’habitude, on plante des mangroves sur le site Ramsar. Actuellement, avec le fait qu’il y a beaucoup de mangroves qui ont été polluées, il y a la nécessité de mettre en place une pépinière. Pourquoi ne pas utiliser cette énergie des volontaires pour planter des mangroves autour de l’île ? Les mangroves, c’est un écosystème important avec le changement climatique, par rapport au processus de filtration de l’eau, par rapport aux espèces juvéniles…

Vous semblez découragé !

Non, pas découragé. Mais je prends plutôt conscience que ce qu’on a à faire face est énorme. Il y a une volonté certaine à relever le défi dans la paix, dans le respect d’autrui, le respect de l’initiative citoyenne, locale et sectorielle. Il faut qu’on travaille tous, selon ce qu’on peut faire. Il y a une réelle prise de conscience que la population mauricienne est capable de faire de belles choses ensemble, qu’elle est capable de fédérer, d’être créative et de se prendre en main. Le narratif qui voudrait diminuer l’importance de la mobilisation citoyenne est dangereux. Il faut au contraire favoriser la mobilisation citoyenne. Il faut reconnaître que c’est parce qu’il y a eu une mobilisation citoyenne qu’aujourd’hui, on peut faire des demandes importantes aux autorités pour plus de transparence et pour les trois points que j’ai cités plus haut.

Comment réagissez-vous à la tournure des événements autour du Wakashio ces dernières semaines ?

Je pense que les gens qui jouent avec les sensibilités communales sont en train de jouer avec le feu. Nous, Mauriciens, citoyens responsables, devons rester vigilants. Nous avons appelé les gens à participer à la manifestation, dans le respect des différences et des sensibilités de tout le monde. Je fais confiance au peuple mauricien pour mener à bien ce combat dans le long terme.

« Il ne faut pas se fier à quelques experts étrangers qui vont plonger deux ou trois jours dans notre lagon pour venir minimiser l’impact de la pollution. Il y a un travail à faire sur la durée. »

« La communication entre les différents ministères n’est pas quelque chose qui fonctionne. Il y aurait pu avoir beaucoup de progrès, mais on se retrouve avec des monoblocs. »

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