Narendranath Gopee : « encore une tentative pour reléguer au second plan le rôle du DPP avec la FCC »

Le président de la National Trade Union Confederation (NTUC), Narendranath Gopee, accueille favorablement la mise sur pied d’une Financial Crime Commission pour regrouper sous un toit les différentes institutions chargées de combattre la fraude, la corruption et le blanchiment. Cependant, il exprime ses inquiétudes au sujet des pouvoirs conférés à cet organisme pour loger des charges formelles au oénal. Pour Narendranath Gopee, cette façon de faire est encore une tentative de reléguer au second plan les pouvoir sdu Directeur des Poursuites Publiques (DPP).

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Dans l’interview qui suit, il trouve aussi que la décision de demander aux abonnés d’enregistrer de nouveau leurs cartes SIM constitue « une dérive vers l’autocratie ». Il est d’avis que le pays est Over Legislated. C’est pourquoi, selon lui, des dérives s’opèrent un peu partout dans la société. Mais il accueille favorablement le nouveau quantum de la compensation salariale pour l’année 2024 et revient sur la nécessité de remplacer le Pay Research Bureau.

Que pensez-vous de la mise en place de la Financial Crime Commission ?

Tout d’abord, il faut savoir dans quel contexte un projet de loi est normalement présenté au Parlement. Ce projet de loi est présenté pour la mise sur pied d’une telle institution. L’intention du gouvernement est bonne, car les institutions qui sont chargées de réglementer la fraude, la corruption et le blanchiment sont quelque peu éparpillées et il y a donc parfois un manque de coordination entre les différentes institutions, ou tout simplement la coordination prend du temps lorsqu’il s’agit d’échanger des documents et des informations.

Je suis satisfait qu’il y ait finalement un Apex Body qui va tout contrôler. L’intention du gouvernement est excellente en ce qui concerne l’objectif de la Financial Crimes Commission (FCC) pour combattre la fraude et la corruption qui fait des ravages dans le pays. Ce n’est pas un secret pour personne que la fraude et la corruption font beaucoup de fracas dans le pays.

Malheureusement, les mailles du filet ne sont pas assez solides pour attraper les corrupteurs. Lorsque je regarde ce projet de loi, je constate que c’est tout simplement une Continuation of Business du gouvernement qui a démarré sous l’ère de feu sir Anerood Jugnauth. Nous nois souvenins sans doute de cette époque où le gouvernement avait signifié son intention de mettre le bureau du Directeur des Poursuites Publiques sous la tutelle de l’Attorney General’s Office. Nous nous souvenons aussi de cette tentative d’arrêter le DPP à l’époque. Ce genre de tentative fait honte au pays, car pour des raisons personnelles, nous n’hésitons pas à bafouer les institutions.

Pour moi, le DPP est une instance suprême et noble du pays. Et il faut garder l’indépendance du DPP car c’est lui le premier palier de la justice. Lorsque nous appliquonsla loi, il ne faut pas que nius soyons subjectifs. Ces deux tentatives ont failli. Aster zot lev enn lot kabal. Met la ger ant DPP ek komiser de polis. Maintenant, il y a une confrontation frontale entre ces deux institutions émanant sous la Constitution.

Tout cela est une tentative pour écarter le DPP. C’est pourquoi le commissaire de police a recours à des hommes de loi du secteur privé. Cette tentative est également un coup fourré car le DPP est une institution indépendante sous la Constitution du pays. Ce n’est qu’en amendant la Constitution du pays qu’on pourra changer le profil du bureau du DPP. On veut que le DPP soit redevable envers la FCC. Cette commission aura le pouvoir de demander au DPP de revoir ses décisions.

Il faut dire chapeau à Xavier-Luc Duval qui a eu l’audace de demander à son équipe de démissionner du gouvernement pour empêcher cette dérive politique. Cela aurait été catastrophique pour le bureau du DPP si le gouvernement avait réussi à mettre sur pied la Prosecution Commission.

Je dois dire que XLD a sauvé le bureau du DPP contre cette invasion politique. Il faut le féliciter pour son geste, car au cas contraire, nous nous serions retrouvés réellement au dein d’une république bananière. Le DPP se serait retrouvé sous le contrôle de la Prosecution Commission. Et le visage du pays aurait été totalement différent par la suite. Cela aurait été une honte pour l’île Maurice.

Il y a eu donc plusieurs tentatives pour affaiblir les pouvoirs du DPP ?

Toutes les tentatives pour affaiblir les pouvoirs du DPP se sont avérées vaines jusqu’ici. Maintenant ils viennent de l’avant avec la FCC. L’intention est bonne mais lorsque nous étudions certains articles du projet de loi menant à la création de la FCC, nous constatons qu’il y a une nouvelle tentative pour remplacer le bureau du DPP.

Ils veulent couper certains pouvoirs conférés au DPP sous l’article 72 de la Constitution et les accorder à la commission. La FCC aura donc le pouvoir de poursuivre et de déposer des charges formelles. L’intervention du DPP ne serait plus nécessaire pour loger une charge à l’encontre d’une personne qui a été arrêtée. La commission aura le pouvoir pour les charges formelles.

Il se pourrait donc que la personne sur laquelle pèse une charge continue à pourrir en prison car seule la commission pourra décider si une enquête est terminée ou pas. La FCC aura donc le pouvoir de mener des enquêtes, de déposer des charges sans même faire appel aux compétences du DPP. Et donc c’est elle qui va instruire des poursuites alors que dans le cours normal des choses, cette prérgative relève du DPP.

Le gouvernement aurait dû venir dire dans ce projet de loi qu’il a aussi l’intention de mettre sur pied sa propre Cour de justice et créer un nouvel univers carcéral pour ceux qui sont condamnés. Nous serions alors devenus une république bananière. Nous ne pouvons pas retirer les pouvoirs d’un bureau constitutionnel pour les conférer à un directeur général nommé par le Premier ministre en consultation avec le leader de l’opposition. Ce directeur général sera redevable envers le Premier ministre. Je ne vois pas le président de la république capable de révoquer un directeur nommé par le Premier ministre.

Cette loi a deux façades. D’une part, elle montre l’intention du gouvernement de combattre la corruption, et d’autre part, elle veut affaiblir les pouvoirs du DPP. C’est du jamais-vu. Ce qu’on appelle Evil Intention.

Ce projet de loi dit aussi que le DPP sera habilité à contester les décisions de la commission devant une Cour de justice mais pour cela il faut que le bureau du DPP ait accès au dossier. C’est donc un trompe-l’œil, l’intention étant de transformer le DPP en un joker. Aussi, l’article 2 de ce projet de loi viendra retirer tous les garde-fous constitutionnels pour toutes les personnes sur lesquelles pèsent des charges. La présomption d’innocence est donc enlevée car la commission va mettre des charges formelles. Qui c’est qui va contre-examiner ces charges ?

Dans le cours normal des choses, c’est la police qui envoie le dossier au DPP et c’est le DPP qui examine les charges. Ici, c’est la commission qui mettra des charges formelles. Et c’est pourquoi je dis que le principe de présomption d’innocence est enlevé et c’est très dangereux ! Donc, aux yeux de la FCC, toutes les personnes arrêtées seront automatiquement coupables. C’est donc un jeu très dangereux dans lequel est engagé le gouvernement en ce moment, Pour moi, le gouvernement doit revoir les articles qui remettent en question les pouvoirs du DPP. Il ne faut pas oublier que le monde nous regarde.

On demande aux gens d’enregistrer à nouveau leurs cartes SIM en ce moment. Que pensez-vous de cela ?

C’est une décision totalement arbitraire. Ce n’est pas parce que la commission sur la drogue a dit cela qu’il faut le faire, le contexte est différent. Nous ne savons pas quelle est l’intention du gouvernement derrière cette décision. Peut-être que le gouvernement veut avoir des informations additionnelles telles que photos, empreintes digitales. Est-ce que le gouvernement veut retracer la position des gens à travers leurs cartes SIM ? C’est en tout cas une dérive. Le gouvernement n’a pas dit clairement son intention à travers ce changement.

Il y a beaucoup de polémiques à propos de la nouvelle carte d’identité et jusqu’à aujourd’hui, beaucoup de gens n’ont pas encore retiré la nouvelle carte d’identité. C’est une dérive vers l’autocratie et nous allons devenir un peu comme la Chine où la police peut retracer les mouvements de chaque individu. Nous ne savons pas quel genre d’information ils vont inclure sur notre carte SIM. Si nius commençons à contrôler les cartes SIM, cela voudrait dire que la police sera en mesure de traquer chaque individu.

Pour moi, ce genre de décision ne tient pas la route dans un pays démocratique comme le nôtre. Dans un pays démocratique, c’est l’État de droit qui prime. Le gouvernement doit apprendre à lever le pied sur l’accélérateur pendant un certain moment car au cas contraire la machine va déraper quelque part et s’écraser contre un mur et le résultat lui sera fatal.

Il serait donc plus approprié pour le gouvernement de garder la tête sur les épaules et ce n’est pas parce qu’il a une majorité au Parlement qu’il croit que tout est permis. Il est sûr que le FCC Bill passera comme une lettre à la poste car il détient la majorité au Parlement.

Lors d’une récente conférence internationale en Afrique, un professeur émérite disait que “Africa is over legislated”. On dit toujours que Maurice est classée à la première place parmi les pays africains en termes de bonne gouvernance mais le pays est aussi Over Legislated. Il est temps de revoir cette situation, nous ne pouvons pas tout légaliser dans le pays.

Quels peuvent en être les conséquences, selon vous ?

Si aujourd’hui, nous constatons qu’il n’y a plus autant de mariages de nos jours, c’est parce que nous avons légalisé une relation sociale qui est devenue une relation légale. Nous voyons que des mariages ne marchent que pour quelque mois et par la suite, il y a un Breakdown parce que la relation sociale prend une tournure légale. Et beaucoup de gens se tournent vers la Cour pour demander le divorce alors qu’auparavant lorsqu’il y avait des malentendus, le problème était réglé entre les deux conjoints.

Aujourd’hui, vous entendez les gens dire qu’ils ont tel ou tel droit. C’est pourquoi je dis que le pays est devenu Over Legislated. Nous ne sommes pas une population barbare, il faut laisser aussi le côté social de la société agir au lieu de venir avec toutes sortes de loi.

Posez-vous la question. Pourquoi il y a tant d’agressivité chez nos jeunes de nos jours ? Si vous tentez de corriger un enfant avec une claque comme c’était à l’époque, il vous dira maintenant que vous n’avez pas le droit de faire cela. Pourquoi ? Tout simplement que la loi ne prévoit pas la responsabilité qui accompagne ce droit. ? C’est pour cela que nous nous retrouvons de nos jours dans une société qui est totalement à la dérive.

Le nombre de victimes augmente sur les routes. La plupart de ces accidents sont causés par des jeunes, pas par des personnes âgées. La plupart veulent obtenir leurs permis de conduire. Un jeune de 20 ans vient d’obtenir son permis de conduire et il doit emprunter une route principale pour rentrer chez lui. Est-ce qu’il va conduire à 40 km/h ? Je ne crois pas. C’est pourquoi avant d’accorder un permis de conduire, la police aurait dû tester le réflexe d’un jeune conducteur. Je dis cela parce que la plupart des accidents fatals interviennent lorsque le conducteur roule à vive allure.

Il y a aussi plusieurs types de conducteurs sur les routes. Il y a ceux qu’on appelle les Angry Drivers. Ils vont continuer à klaxonner derrière votre véhicule pour vous déboussoler. Et lorsqu’ils vont vous dépasser, ils vont lancer des jurons. Il y a aussi des conducteurs qui changent constamment de voie et cela peut provoquer des accidents. Et pourtant, la police dit toujours qu’il faut garder une Safe distance/ Donc l’éducation des conducteurs est très importante, Je pense que les Casernes centrales doivent lancer une campagne de sensibilisation à ce sujet.

Il y a un autre type de conduite qui a complètement disparu de la circulation, la Reflex Driving et la Defensive Driving. Pour la Reflex Driving, nus invitons le conducteur à penser à ce qui pourrait occasionner un accident. La plupart des accidents se produisent parce que le conducteur manque de réflexe et de jugement. La Defensive Driving est autre chose. Il faut être tout le temps sur la défensive. Il ne faut pas oublier aussi que nos infrastructures routières sont aussi responsables des accidents et favorisent des dérapages en cas d’excès de vitesse. Je comprends que la police ne puisse pas tout surveiller sur nos routes. Et c’est pourquoi l’éducation de nos conducteurs est très importante pour diminuer les infractions et les accidents.

Le gouvernement va de l’avant avec le Local Government (Amendment No 2) Bill. Que pensez-vous de ces dispositions ?

Le projet de loi est clair, on retire le pouvoir du Chief Executive pour le confier au ministre de tutelle. Un conseiller de district ou un conseiller municipal informe normalement son Chief Executive. Et il faut informer le ministre des Administrations régionales à la place. Cette démission devient officielle et le ministre doit publier le poste vacant dans la gazette du gouvernement. En d’autres termes, le ministre aura le temps pour négocier avec les démissionnaires et tenter de les convaincre de rester en poste.

Cette décision a été prise tout simplement pour continuer à accaparer les municipalités et les conseillers de district. Je ne crois pas qu’à travers cette pratique, nos collectivités locales deviendront plus efficaces pour servir la population. C’est plutôt un amendement politique pour garder le contrôle sur les municipalités et conseils de district.

Et quid de la compensation salariale de Rs 1 200 à Rs 2 000 ?

J’en suis satisfait et il faut féliciter le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, pour son geste. J’ai toujours dit que la compensation salariale est nécessaire. Je pense que le Grand Argentier ne devrait plus appeler cela compensation salariale. Il aurait dû l’appeler plutôt compensation salariale sociale parce que la vie sociale de nos citoyens, celle de nos aînés et de la classe moyenne a disparu de nos jours. La classe moyenne est tombée dans la classe des pauvres.

Il était donc nécessaire de venir avec une compensation salariale adéquate pour dynamiser la vie sociale de la population. Nous sommes arrivés à la conclusion que le CPI basket a varié dans la fourchette entre Rs 34 708 et Rs 37 280 de janvier à décembre. Le taux d’inflation sur les dépenses totales d’une famille était de 9,4% et nous avons aussi enregistré une dépréciation du salaire de l’ordre de 2,4%. Et lorsqu’on prend en considération les dépenses sur le prix des produits, on arrive à une compensation salariale de Rs 1 975, ce qui est proche de la compensation salariale de Rs 2 000 que vient d’accorder le ministre des Finances.

Un nouveau ministre de la Fonction publique vient de prendre la relève. Comment se portent les relations industrielles avec lui ?

La première chose qu’un nouveau ministre fait normalement lorsqu’il s’installe à son poste, c’est d’avoir une rencontre avec les trois principales fédérations syndicales de la Fonction publique. Le nouveau ministre n’a pas eu de rencontre avec les dirigeants de ces trois fédérations ; il a eu tout simplement des rencontres avec des petits syndicats,

Il dit quelque chose au Parlement que je ne considère pas exacte. Il a affirmé qu’il est train de discuter de l’application d’un medical scheme avec les syndicats, En tout cas, mes membres me disent que la question n’a pas été discutée lors de diverses rencontres.

Un ministre doit être d’accord que pas le monde ne puisse s’aligner sur son point de vue. Nous sollicitons une rencontre avec lui pour évoquer nos appréhensions à propos du Pay Research Bureau (PRB). Nous avons toujours dit que le PRB a fait son temps et qu’il faut le remplacer par un commissaire salarial de la tempe de Chesworth. Le PRB est en train de voir la fonction publique comme une entité académique alors que nous nous regardons le PRB comme une entité pratique car les services offerts par les fonctionnaires au public sont en mutation constante.

À ce jour, le PRB a déjà appelé les petits syndicats pour des consultations alors que les terms and reference du nouveau rapport auraient dû être discutés avec les fédérations de la fonction publique bien à l’avance. Comment le PRB peut donc démarrer des consultations sans rencontrer les dirigeants des fédérations syndicales de la fonction publique ? Le PRB propose un Performance Management qui ne marche malheureusement pas en ce moment.

Propos recueillis par Jean-Denis PERMAL

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