Sécheresse hydrologique de grande envergure : Et c’est reparti pour un tour !

— … à moins que les prévisions météorologiques pour les prochaines semaines, sans espoir de grosses précipitations, ne se concrétisent pas — Mare-aux-Vacoas sous la barre des 70%, La Nicolière à 38,1%

Et c’est reparti pour un tour ! L’été se rapproche et l’hypothèse d’un remake de 2022 marquée par l’une des pires sécheresses qu’a connues le pays dans son histoire contemporaine se renforce compte tenu du contexte actuel, où le niveau des réservoirs (72,8%) se réduit comme peau de chagrin, inférieur à 4% comparativement au taux de remplissage enregistré à la même période en 2022. ll ne s’agit pas d’en tirer des conclusions hâtives, sauf que les prévisions météorologiques pour les prochaines semaines, sans espoir de grosses précipitations, n’augurent rien de bon. Les petites réunions ont repris de plus belle du côté du Water Resources Monitoring Committee (WRMC) pour décider de la marche à suivre.

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Tout le monde a en mémoire les images saisissantes des réservoirs asséchés publiées en primeur dans les colonnes de Week-End le 25 décembre 2022. Le taux général des réservoirs oscillant alors entre 32% et 34% a laissé poindre la perspective que le record de la grande sécheresse de 1999 (27%) allait être battu. Les choses se sont améliorées à compter du 20 janvier 2023 compte tenu des grosses averses qui ont arrosé le pays jusqu’à la mi-février, se traduisant par une hausse de 30% du taux de remplissage global, passant de 35,2% à 65,2% avant d’atteindre 86% et 91% respectivement en juin et à la mi-août. Mais c’était sans compter l’avarice dont fait preuve Dame nature en termes de pluviométries depuis environ sept semaines. « L’île n’a recueilli que 30% de la pluie attendue durant cette période. Il n’est tombé que 35 mm de pluie au cours du mois de septembre. Il y aura certes une légère amélioration à partir de la troisième semaine d’octobre, entre 40 et 50 mm, principalement sur le plateau central, mais globalement les mois d’octobre et novembre resteront déficitaires d’au moins 50% », confie une source à la météo.

Un bilan et des prévisions pas à la hauteur des espérances, et comme il fallait s’y attendre, le taux de remplissage en moyenne des sept réservoirs de l’île a connu une chute vertigineuse de 19% en l’espace de sept semaines, affichant une moyenne de 72,8% à hier. Au cas où elle ne s’améliore pas avant le 31 octobre, le Water Resources Monitoring Committee, qui regroupe le ministère de l’Énergie, la Central Water Authority (CWA), la Water Resources Unit (WRU), l’Irrigation Authority et la station météo de Vacoas, devraient opter pour des mesures beaucoup plus radicales en vue d’économiser les faibles ressources en eau disponibles. Le niveau de Mare-aux-Vacoas est scruté avec attention après être passé sous la barre des 70% au cours de la semaine. Les abonnés approvisionnés par La Ferme (54,8%) et La Nicolière (38,1%) ont également du souci à se faire.

Non seulement les choses semblent mal engagées mais, à en croire certaines informations émanant du WRMC, « il ne reste que quelques semaines pour recharger les nappes phréatiques. À partir du moment où les bourgeons des végétaux s’ouvrent, l’essentiel de l’eau qui tombe sur le sol va être utilisé par les racines des végétaux. Et donc très peu d’eau va s’infiltrer jusqu’aux nappes phréatiques. »

Pénurie du précieux liquide à Triolet et Rose-Hill

Un mélange de colères et d’incompréhensions

Au-delà de la gestion de crise qui se profile, c’est toute une série de réflexions qu’il faudra mener à plus long terme pour améliorer la fourniture d’eau qui vire au cauchemar pour des dizaines de milliers d’abonnés issus des régions du Nord, à Triolet plus particulièrement, et des villes sœurs, où les signes qu’un mélange de colères, encore contenues, commence à se cristalliser.

La crise du précieux liquide, ça fait plus d’un an qu’elle dure dans certaines régions du nord de l’île et à Beau-Bassin/Rose-Hill. Il suffit, pour s’en convaincre, d’un jeter un coup d’œil sur les articles publiés dans nos colonnes et les publications relayées, depuis novembre 2022, sur les pages dédiées aux habitants desdites régions pour se rendre compte de la frustration qui n’en finit plus de grandir, comme à Triolet. Tant est si bien que le vice-président du conseil de district de Pamplemousses et conseiller de Triolet, Iqbal Aubeeluck, a lui-même concédé, sur Facebook, que cette situation était inacceptable et que les choses doivent changer : « Mo bizin fer bann abitan Triolet kone ki nou pa insansib a sa problem a ki nou osi nou fer fas dan nou lakaz. Li inakseptab ki sak semenn ena koupir delo sirtou dan period laprier ek fet. Nou finn fer plizir renion avek CWA, me pa ankor trouv solision pou linstan. Nou espere CWA pou fini par sanz sa bann tiyo ki dat depi lontan. »

Iqbal Aubeeluck souligne avoir eu des réunions avec la CWA, sauf que nombreux abonnés de Triolet martèlent que lorsqu’ils appellent le service 170, hotline de la CWA, « soit les agents nous parlent sur un ton condescendent en réfutant le fait qu’il y a des problèmes d’eau dans le village, soit le numéro est injoignable. » La tension monte d’un cran également à Trou-aux-Biches, en atteste ce message sans équivoque publié par un internaute : « Kamion sitern ankor eksiste ? Trwa semenn mo pe telefonn 170 pou fer demann enn kamion. Pena delo ni zot pe avoy kamion. Lotorite ek nou bann organizasion ki pe fer ? »

Promesses  fallacieuses

En dépit de quelques rares passages nuageux qui apportent un peu de pluie, juste assez pour détremper le sol et soulager les plantes qui commencent à jaunir, plus les semaines s’égrènent, plus l’angoisse monte du côté des agriculteurs des districts de Pamplemousses et Rivière-du-Rempart qui appréhendent le spectre d’une nouvelle récolte infructueuse. Nul besoin d’épiloguer sur la forte pénurie d’eau qui affecte les quatre coins des villes sœurs, quand bien même le Rose-Hill Water Supply Project, lancé à coups de centaines de millions de roupies en mars 2018, avec en toile de fond le remplacement de 32 km de tuyaux vétustes de 40 ans, devrait permettre une nette amélioration de la fourniture en eau.

On prend les mêmes et on recommence. Est-il encore nécessaire qu’un rapport d’experts à l’instar du Mauritius Research Council (MRC) spécifie que le problème de l’eau à Maurice ne découlait ni de la sécheresse ni de la pluviométrie, mais d’un manque et de l’incapacité des autorités à prendre en charge de façon adéquate cette ressource, comme la prise en charge des eaux qui partent à la mer et les fuites dans le réseau de distribution, qui font perdre entre 50 et 65% de l’eau potable annuellement ? Deux des principaux facteurs irréfutables rendant caduques les promesses fallacieuses du gouvernement d’une fourniture 24h/7 en eau potable à toute la population.

New Water Ressources Bill — Dessalement de l’eau

Joanna Bérenger et Prem Saddul : « L’énergie verte à tout prix »

Faut-il, oui ou non, privilégier le lancement à Maurice du projet de dessalement d’eau de mer ? La question est sur toutes les lèvres depuis l’épisode de la grande sécheresse de 2022 et méritait un débat profond qui devrait avoir lieu avec la New Water Resources Bill à la rentrée parlementaire et auquel la présidente de la Commission Développement Durable du MMM, Joanna Bérenger, devrait normalement prendre part. Elle abonde dans le même sens que Prem Saddul, géomorphologue et ancien directeur de la CWA, en soutenant que « pour ne pas perturber les écosystèmes marins, la technologie de dessalement par énergie renouvelable devra absolument faire partie du cadre réglementaire visant à autoriser son implémentation. »

Outre les besoins et la gestion en eau du pays, le développement du secteur dans un cadre juridique bien défini ainsi que le développement et la conservation des ressources du précieux liquide à Maurice, l’un des points saillants du New Water Ressources Bill en cours d’élaboration, réside principalement dans la mise en place d’un nouveau cadre réglementaire visant à autoriser le dessalement de l’eau couplé de dispositions pour favoriser la participation du secteur privé. La mise en place d’une unité mobile de dessalement pour répondre au déficit en eau pendant la saison sèche dans des régions spécifiques où les possibilités de mobilisation d’eau souterraine ou de surface supplémentaires sont relativement limitées, avait été annoncée cette année par le ministre des Services publics, Joe Lesjongard, qui a ajouté avoir fait état de « discussions avec des pays amis sur la coopération dans le secteur de l’eau liée à la réutilisation de l’eau traitée et à l’application de la technologie dans les modes opératoires. »

Après le dessalement, les sels dissous sont généralement concentrés dans un liquide appelé « saumure ». Il existe plusieurs options pour gérer la saumure, qui dépendent de la qualité de la saumure, de la quantité produite et des réglementations environnementales locales. Certaines des options courantes pour gérer la saumure incluant le rejet dans la mer. L’ex-directeur de la CWA Prem Saddul, qui affiché sa totale désapprobation face à l’implémentation du projet de dessalement d’eau de mer, au motif que « l’eau dessalée, au coût exorbitant, se perdra dans la nature à cause des tuyaux percés et que le dessalement à grande échelle sera néfaste à l’environnement face au volume de saumures rejetées dans le lagon par les usines après le traitement », confie que « le gouvernement doit privilégier un cadre légal encourageant un projet de dessalement partiel basé sur la technologie verte, pour des besoins non potables à travers des usines de dessalement alimentées par l’énergie renouvelable. Ça fonctionne très bien à Hong Kong. Ce projet devrait donner la part belle au dessalement partiel dans les hôtels et d’autres branches privées dans ce secteur, car ce procédé coûte extrêmement cher, environ Rs 5 par mètre cube, alors que le dessalement peut coûter entre Rs 24 et Rs 27. »

Recyclage des eaux usées

La députée Joanna Bérenger, qui s’est longuement penchée sur le sujet en compagnie des membres de la Commission Développement Durable du MMM et en se basant sur l’avis d’experts dans le domaine, souligne que « quand bien même le dessalement est une alternative pour faire face au réchauffement climatique et au stress hydrique, la méthode utilisée se doit d’être durable et que l’investissement financier soit abordable. Le dessalement est une solution énergivore et génère des rejets polluants. Donc, il s’agit d’une alternative d’adaptation au changement climatique qui ne devrait être adoptée que lorsque toutes les autres possibilités durables ont déjà été exploitées. En particulier la réduction de la perte des eaux, l’utilisation rationnelle de l’eau et le recyclage des eaux usées. Les stations doivent fonctionner avec des énergies renouvelables et tous les rejets polluants doivent être traités comme il faut. Il serait irresponsable de la part des autorités de ne serait-ce évoquer le rejet des saumures à la mer. »

Joanna Bérenger souligne que « dans tous les cas, des études scientifiques doivent être menées sur site avant son implantation, pour limiter les impacts et éviter de détruire les écosystèmes marins locaux. Le gouvernement devrait aussi penser à investir dans la réparation des 1500 km de tuyaux défectueux qui causent la perte de plus de 60% des eaux de nos réservoirs. Aussi, à capacité identique, le recyclage des eaux usées est nettement moins cher que le dessalement d’eau de mer, avec une consommation d’énergie deux fois moins importante. »

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