DAOUD CONTRE GOLIATH

Les Comoriens sont remontés. Toucher à la souveraineté d’un État, sournoisement, en public, à l’occasion d’une célébration des valeurs de fraternité et de solidarité, c’était un coup bas. Prémédité ? Le Premier ministre français, Manuel Valls, de passage à Mayotte en juin dernier disait : « Les athlètes mahorais qui remporteront des épreuves chanteront l’hymne national, en tenue de l’équipe de France et sous le drapeau français »…
La décision politique – et émotive, épidermique même – de l’Union des Comores est certainement compréhensible, à plusieurs égards.
D’abord, le litige qui oppose les Comores et la France au sujet de Mayotte a valu à Paris des condamnations des Nations unies. Quand bien même les Mahorais ont préféré rester dans le giron français, le droit international coutumier interdit le démembrement d’un territoire, en l’occurrence l’archipel comorien, au moment de la décolonisation. C’est tout le drame chagossien et c’est aussi ce qui explique que nos frères Rodriguais soient restés Mauriciens.
Ensuite, il y a la charte des Jeux des Îles. Elle est claire : Mayotte a été admise en 2005 selon les modalités suivantes : « Mayotte participe aux réunions de toutes les instances du Conseil permanent international des Jeux des Îles (CIJ) sans droit de vote avec voix consultative » et « en toute occasion et cérémonie nécessitant l’utilisation d’un drapeau, elle utilisera celui des Jeux et n’utilisera aucun symbole de l’État français (hymne et drapeau) ». Aux Jeux des Iles de 2007 à Madagascar et de 2011 aux Seychelles, les Mahorais – et la France – s’étaient accommodés, bon gré mal gré, du drapeau des Jeux…
La charte a été bafouée, de manière unilatérale et sans consultations préalables. Et elle l’est encore avec la décision du CIJ de remplacer les hymnes nationaux par celui des Jeux. C’est une reculade qui ne dit pas son nom. C’est un camouflet, au passage, aux autres pays membres du CIJ pour sauver maladroitement l’honneur de l’hôte des Jeux – la France / Réunion – et de la délégation à l’origine de l’incident diplomatique – la France / Mayotte. Et le propos du ministre métropolitain Patrick Kanner, soulignant en creux la primauté des intérêts français au détriment de la charte des Jeux, n’est que le retour, du revers de la main, de la douloureuse gifle déjà infligée.
La diplomatie française – de Paris ? de l’océan Indien ? – a fait preuve d’amateurisme en ne prévoyant pas la réaction prévisible des Comoriens. Pourtant, on sait combien le « visa Balladur », qui impose depuis 1995 des conditions draconiennes de contrôle migratoire entre Moroni et Mamoudzou, contraint des centaines de Comoriens, chaque année, à s’embarquer sur des kwassa-kwassa au péril de leur vie. Bon nombre y ont laissé la leur. Pourtant, on sait aussi combien les Comoriens sont attachés au retour de Mayotte dans l’Union (voir photo) d’autant plus que c’est la géopolitique qui a séparé des familles.
Reste que Paris ne risque pas de lâcher Mamoudzou, chef-lieu du 101e département français depuis 2011. C’est le message que véhiculent les récentes visites du Président et des membres du gouvernement ces derniers mois. Car à bien y regarder, Mayotte offre près de 75000 km² de zone économique exclusive à l’entrée du Canal du Mozambique. C’est une position géostratégique qui tend à gagner en intérêt compte tenu des traces de gisements de gaz et d’hydrocarbures offshore dans la région.
De fait, Paris – car c’est bien là-bas que se décide l’avenir de la « France de l’océan Indien » – impose au forceps Mayotte dans le cercle régional. Or, aucun des États de la région ne reconnaît explicitement Mayotte comme territoire français. D’autant que la France a d’autres litiges territoriaux non-réglés dans la zone, avec Maurice au sujet de Tromelin, avec Madagascar au sujet des Glorieuses… C’est toute la question du jeu de la France dans l’océan Indien qui se pose…
Il est regrettable que la politique se soit invitée aux Jeux remisant aux derniers rangs l’esprit de solidarité et la fraternité. C’est d’ailleurs pour cela que la Commission de l’océan Indien – qui n’a rien à voir avec les Jeux organisés par le CIJ dont sont membres les États de la COI en plus de Mayotte et des Maldives – relègue les litiges territoriaux à leur juste place : au niveau bilatéral. Sans quoi, c’est toute la coopération régionale et ce sont toutes les festivités et activités communes qui s’en trouvent empoisonnées.
Les 9e Jeux des Îles auront au moins permis de montrer qu’un petit pays, même dépendant de la solidarité internationale, ne transige pas sur sa dignité. Ça mériterait presqu’une médaille d’or…

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