Electoral Countdown : manifeste pour un Développement durable

DR KHALIL ELAHEE

En vue des élections, arrêtons-nous sur un des défis  de notre société, le développement durable. En français, ce concept est contradictoire si nous entendons par “développement” une évolution alors que “durabilité” renvoie à une situation qui ne doit pas changer. Il y a un siècle, brûler des ordures, abattre un arbre, faire la lessive à la rivière ou construire sur la zone côtière serait une chose banale. L’impact sur la société, la santé et l’équilibre de la nature aurait été insignifiant. Aujourd’hui, l’air, la terre, les rivières, la faune et la flore, les lagons et la mer ont atteint une limite en ce qu’ils peuvent soutenir. Des effets irréversibles se font sentir sur l’Homme comme sur son environnement. Les petites îles sont parmi les plus vulnérables. Il est impératif et urgent d’innover avec un modèle de développement qui soit systématiquement durable. En anglais, l’expression “sustain – ability”, en deux mots, résume mieux le nouveau paradigme qu’il nous faut incarner. Ceux qui aspirent à nous gouverner ont-ils le courage de s’engager sur les mesures suivantes ?

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A. 3 000/1 000. C’est la limite des émissions en milliard de grammes de Co2 équivalent à ne pas dépasser annuellement dans notre pays pour le secteur de l’énergie et du transport respectivement. Un objectif à atteindre d’ici 2025. Si pour l’électricité ce but est à la portée du Roadmap actuel, l’enjeu sera de poursuivre cette tendance au-delà de 2025. C’est pourquoi le scénario pour atteindre 60%, au lieu de 40%, de renouvelables en 2030 dans la production d’électricité doit être adopté par les décideurs politiques. Ainsi, l’autre objectif relatif au transport sera réalisable, aidé par l’introduction du bioéthanol, de véhicules hybrides et électriques et du Metro Express. Un système mettant à la casse les vieux véhicules à carburant fossile, limitant graduellement le nombre de voitures sur nos routes, mérite d’être exploré. L’objectif 3 000/1 000 devra aussi miser sérieusement sur l’efficacité énergétique et la maîtrise de la demande. Cet engagement marquera un tournant décisif, nous permettant à l’horizon 2050 de ne plus dépendre de l’importation des énergies fossiles.

B.Tri sélectif. Nos enfants sont sensibilisés à l’école au tri des déchets, mais ils ne peuvent le mettre en pratique à défaut d’un système de gestion intégrée axé sur les principes des 3 “R” : Réduire-Réutiliser-Recycler. Deux maillons font gravement défaut afin de promouvoir le tri sélectif : l’engagement des collectivités locales et celui des supermarchés/centres commerciaux. Il faut passer des paroles aux actes en instaurant le tri sélectif à domicile et dans les grandes surfaces. Un modèle financier fiable peut émerger, créant des emplois, luttant contre le gaspillage, encourageant des micro-entreprises localement grâce au tri sélectif. Par exemple, en Afrique comme en Asie, l’absence ou l’interdiction du plastique à usage unique, comme dans le passé à Maurice, offre de multiples opportunités d’innovation aux entrepreneurs locaux. Que ceux qui veulent devenir nos gouvernants s’engagent à introduire le tri sélectif à Maurice, Rodrigues et Agaléga également durant la première année de leur mandat.

C. Fumée noire interdite. Notre beau pays est souillé à chaque fois qu’un véhicule émet une fumée noire. Ce problème persiste depuis des décennies, salissant non seulement notre image comme destination touristique, mais aussi affectant notre santé, sans oublier le gaspillage d’énergie qu’il provoque. Avec l’arrivée de bus électriques et hybrides, l’utilisation de biocarburants et l’application de règlements, qui d’ailleurs existent déjà, les véhicules fumigènes devraient disparaître de nos routes. Les centrales thermiques doivent aussi être contrôlées strictement et céder la place graduellement à des installations d’énergies propres. On estime qu’au moins 7 millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution atmosphérique, le cancer étant une des maladies les plus répertoriées.

D. 60 km de plages publiques. Selon la Beach Authority, Maurice compte 149 plages publiques d’une longueur totale de 47,8 km. En s’engageant à augmenter celle-ci à 60 km jusqu’aux prochaines élections, c’est aussi une promesse de nos politiques à ne pas se laisser tenter par le modèle économique idolâtre, pour reprendre une expression employée chez nous par le pape François. Cela implique la provision de toutes les aménités nécessaires dans un cadre durable. Le respect des règlements comme la sensibilisation des utilisateurs doivent aller de pair. Ce projet doit inclure la restauration des lagons et la protection des coraux. Encore une fois, des petits commerces innovants peuvent se développer près des plages publiques en faisant attention à l’environnement et au cachet local.

E. 1 million d’arbres. Si la visite du pape peut enclencher la plantation de 100 000 arbres, pourquoi le prochain gouvernement ne peut-il pas s’engager à mettre en terre 1 million d’arbres ou de plantes durant son mandat, ce chiffre excluant la biomasse pour les besoins énergétiques et l’agriculture durable ? La priorité devrait être les zones humides ou “wetlands”, les réserves des rivières et le remplacement d’espèces invasives. Ces arbres abriteront d’innombrables écosystèmes, des oiseaux et des abeilles qui aujourd’hui ne savent pas trop où aller. Également, ce sera un moyen efficace de lutter contre les “flash-floods” et l’érosion des plages. Le pays a droit à de beaux jardins, parcs et promenades de santé comme tel est le cas dans les grandes villes du monde où, d’ailleurs, les espèces rares ou endémiques auront aussi leurs places. Il faut préserver la biodiversité en créant des pépinières, également pour les plantes médicinales. Et que c’est étrange que nos innombrables lieux de culte soient souvent dépourvus d’arbres. En islam, pourtant, nous apprenons que si l’Heure Dernière arrive et nous avons une pousse entre les mains, il nous est demandé de la mettre en terre même s’il ne reste que quelques secondes. Imaginons encore les touristes à qui nous pourrons offrir le bonheur de planter un arbre à voir grandir à chaque séjour ou chaque classe à l’école et au collège appelée à cultiver une plante !

F. 10 fermes agriculture/pêche durable. L’autosuffisance alimentaire est-elle une bataille perdue d’avance ? Il nous faut des politiciens qui croient en une agriculture et un secteur de la pêche durable pour Maurice, mais aussi Rodrigues, voire la région avec des perspectives de co-développement à Madagascar ou au Mozambique. De la fourniture de la biomasse à la production laitière en passant par l’élaboration de différents produits à base d’algues, les opportunités à augmenter la production tout en respectant l’environnement existent et ne demandent qu’à être soutenues par les autorités. L’usage abusif de pesticides est aujourd’hui un problème de santé publique et les techniques, souvent conçues localement ou dans des pays du sud, abondent afin de produire bio tout en assurant le rendement et la qualité. Ces projets peuvent aussi occasionner le recours aux énergies propres et la gestion saine des ressources en eau, créant des emplois. Ils pourront compter sur une synergie innovante entre les différentes facultés universitaires et les “stakeholders” du privé comme du public. Que les futurs élus s’emploient à initier 10 tels projets d’envergure qui serviront ensuite de prototype à répliquer ailleurs. Une campagne est requise pour encourager la population à manger sain et à réduire la consommation de viande industrielle au profit de produits locaux de substitution venant de la terre et de la mer.

G. Climate Day. Partout au monde, les jours fériés célèbrent des événements religieux, des dates historiques ou des festivités mondaines. Que notre République innove en introduisant un congé public pour le Climate Day, dont la date reste à être finalisée. Il faut que nous nous arrêtions, au moins le temps du Climate Day, afin de nous conscientiser et prendre acte, ensemble, du défi climatique. Tout le monde, des petits du préscolaire aux seniors à la retraite, est interpellé par l’urgence face au changement climatique. Sans sa prise en compte, il n’y a ni protection de la biodiversité ni celle du patrimoine, ni économie océanique ni finance verte, ni gestion durable de l’eau ni consommation responsable, ni aménagement holistique du territoire ni écotourisme, ni marchés publics écologiques ni coopératives agrisolaires, ni Smart Mauritius ni gestion des risques et des calamités. Cette date mettra aussi notre petit État insulaire (PEI) sur la carte mondiale dans le combat contre le changement climatique. Notre République a trop souvent laissé aux Maldives, à Samoa ou aux Fiji le leadership de la cause des PEI et nous peinons à défendre les intérêts africains dans les forums internationaux sur le climat. Si nous sommes assez actifs au sein de la Commission de l’océan Indien, cela n’est pas le cas pour l’Indian Ocean Rim Association (IORA). Le changement climatique à travers le Climate Day doit être une cause que nous portons sur la scène internationale dans le même souffle que le retour des Chagos. D’ailleurs, que restera-t-il des Chagos face à la menace imminente du climat, si ce n’est encore les dommages qui résultent de l’opération d’une base militaire nucléaire majeure ?

Le changement climatique n’est que la conséquence du refus des décideurs, politiques et financiers, de s’attaquer au problème global des émissions liées au transport et à l’électricité principalement. Le modèle économique consumériste dominant exploite les ressources de la planète, et les hommes, renversant tout équilibre. Puisque nous avons pris trop de retard, l’adaptation est aujourd’hui autant d’actualité que l’atténuation. Mais l’objectif 3 000/1 000 susmentionné demeure un jalon critique pour nous. La politique énergétique de notre République n’est pas l’apanage d’un seul ministère. L’Énergie, par l’innovation et la technologie, a une dimension Engineering qui, à son tour, est liée à l’Économie et à l’Environnement. À cela s’ajoute l’obligation d’une Éthique sans laquelle la gouvernance serait un vain mot. Un développement durable fondé sur ces cinq “E” peut façonner un avenir qui affranchira le transport et l’électricité des énergies fossiles. Les 5 “E” sont systématiquement impliqués dans les mesures proposées pour une gestion intégrée des déchets, de la pollution, des plages, des espaces verts, des ressources de la terre et de l’océan, du tourisme, du patrimoine, des bâtiments, des infrastructures et des entreprises en quête d’une croissance durable tant financièrement que socialement et écologiquement.  Que ceux qui veulent nous gouverner nous convainquent que leurs propositions aussi ont une “sustain – ability !

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