Ma semaine sainte. . .

PAUL REVEIL

Dans la nuit du mercredi soir au jeudi matin

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Adoptant plusieurs postures – en position fœtale, sur le ventre ou le dos –, je peinais à dormir. J’avais la gorge sèche. Je hasardai ma main sur le côté droit de mon lit pour regarder l’heure sur mon téléphone : 1h52. Cette nuit-là, une chose me tiraillait de l’intérieur, me révélant un être humain fragile, menant un combat hors de sa portée dans l’obscurité de la nuit.

J’ouvris les yeux, me levai d’un bond, allumai la lampe de mon bureau avant de prier devant mon oratoire. J’étais debout, mais ne pouvais plus rester debout, alors je m’assis. Il y avait une chose, dans la nuit, qui me lacérait tellement intérieurement que je ne pouvais rester assis, alors je me mis à genoux. De même, comme un lion qui s’apprêtait à abattre sa proie, cette chose persistait et je ne pouvais plus tenir à genoux, alors je me suis retrouvé être affalé, devant cette image du Christ souffrant que j’ai sur mon coin de prière. Je sentais que j’habitais un corps complètement périssable, que ce combat dans la nuit me dépassait, reflétant le combat de l’être humain dans la nuit du péché, qui le dépasse, qui le consume jusqu’à le tuer. Alors que je regardais cette image du Christ souffrant en croix, il me vint cette phrase qui résonnait en mon cœur et qui resplendissait toute sa gloire en cet endroit : « Ceci est mon corps, livré pour vous ! » Me projetant 2000 ans en arrière, les images de la semaine sainte me revinrent comme dans un film : je voyais ce Christ, lors de la Cène mystique, qui se donnait – corps et sang – pour nourrir l’Église, ce même Christ, le jour suivant, qui se donnait, lors de sa passion jusqu’à la croix – corps et sang –, pour nourrir l’humanité, et ce même Christ qui ressuscita après trois jours, révélant le triomphe de la Vie sur la Mort, le Bien sur le Mal, la Lumière sur les ténèbres. Ainsi, il m’a été donné de comprendre toute la dimension de cette phrase de St Paul : « Il faut en effet que cet être périssable que nous sommes revête ce qui est impérissable ; il faut que cet être mortel revête l’immortalité. Et quand cet être périssable aura revêtu ce qui est impérissable, quand cet être mortel aura revêtu l’immortalité, alors se réalisera la parole de l’Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Co 15: 53-54). Ceci résume toute l’histoire de l’amour fou d’un Dieu qui a donné sa vie aux hommes afin qu’ils se revêtent d’entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience (Cf. Colossiens 3:12). Ainsi, l’être qui tombe, consciemment ou inconsciemment, ne tombe plus, il se relève, il est debout, il marche, il court !

J’étais loin d’imaginer que cet événement était non seulement un prologue de ce qui se vivrait ces prochains jours, mais aussi, un outil imprescindible dans la compréhension de ces grands mystères. Avec une paix et une joie profonde, je repartis dormir. Ainsi commença la montée vers la ville sainte : Jérusalem.

Jeudi saint

Faisant des études en France, j’habite chez mon oncle et ma tante. Durant ce temps de confinement, il y a aussi mon cousin qui nous a rejoints. Nous avons choisi de prendre des repas tout simple en ce temps de carême, tout particulièrement durant cette semaine sainte – très peu de viande et majoritairement des fruits et légumes. D’autant plus, étant confinés, nous mangions régulièrement ensemble (midi et soir) et c’était une joie pour nous tous de vivre ce carême réunis à la maison, comme si l’être humain était inextricablement lié à l’autre, et dépendant de lui, pour aller vers une Joie profonde. Cependant, aujourd’hui c’est jeudi saint : nous fêtons la Cène mystique; le moment où Jésus a institué l’Eucharistie, c’est-à-dire le moment où il a offert son corps et son sang à l’Église comme sacrement afin que celle-ci se sanctifie par Lui. En ce repas, il a aussi été donné de commémorer le moment où le peuple Israël a été sauvé par Dieu de l’esclavage subi en Egypte. Après le repas, Jésus se leva de table, déposa son vêtement, et prit un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il versa de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture, (Jean 13: 4-5).

Pour fêter cela dignement, nous avons voulu faire un repas pascal avec du Matzot – ma tante et moi avons fait du farata –, pour représenter le pain sans levain car à l’époque, les Israélites n’avaient guère le temps de faire du pain levé lors de la fuite d’Egypte; des herbes amères, représentant l’amertume de l’esclavage; du Harosset, un mélange fait à base de dattes, noix, pommes, amandes, cannelle liées avec du vin, symbole du mortier utilisé par les esclaves hébreux pour la fabrication des briques; l’agneau pascal, pour signifier le sacrifice d’un animal pur à l’époque; un œuf dur pour se rappeler la destruction du temple de Jérusalem. Au cours du repas, nous avons lu les chapitres du livre de l’Exode racontant la Gloire de Dieu qui fit plusieurs miracles pour sauver ce peuple souffrant. Il était beau de voir chacun d’entre nous être au service des uns des autres, veillant à ce qu’il ne manque de rien. Nous étions, en outre, détendus – peut-être que le vin rouge accentuait la décontraction –, contemplant ces merveilles dans la louange et dans l’émerveillement, fortifiant notre espérance que le Dieu sauveur nous libérera de tout esclavage, y compris ceux causés par la pandémie que nous subissons avec peine…

Vendredi saint

Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. Aujourd’hui, Jésus, celui qu’on appelle Christ, va être flagellé, lacéré, jusqu’à être défiguré, il va porter une croix tout au long d’un chemin de calvaire jusqu’à y être cloué, jusqu’à mourir pour cette humanité qu’il a tant aimée. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime, Jean 13:1.

Il était beau de voir toute la famille unie dans la belle pensée de vouloir manger plus simplement que d’habitude; seulement un peu de pain avec du beurre et une petite soupe dans la soirée. D’autre part, j’avais dans le cœur de faire un chemin de croix à 14h. À cette heure précise, je m’arrêta net dans mon activité et me consacra entièrement à méditer les 14 stations du chemin qu’a suivi Jésus 2000 ans de cela. J’avais aussi dans le cœur de m’arrêter à 15h pour embrasser la croix et de demeurer en silence, car c’est à cette heure-ci que le Christ est mort. Dans une obéissance donnée, c’était ce que je fis. Je ne me préoccupais pas de l’heure lors du chemin de croix et avec une étonnante joie, je vis que 15h correspondait à la 12e station dont je pouvais lire : « Jésus meurt sur la croix. Nous t’adorons et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta sainte croix. » À cet instant, un silence. À genoux, les yeux légèrement larmoyants, je levai ensuite la tête, tout ému, et fit un baiser sur la plaie du côté de cet homme mort par amour.

J’ai aussi eu l’immense joie de revivre ce chemin de croix, dans le salon, avec la famille à la nuit tombée. À la fin des stations, ma tante mit de la myrrhe et embaumait la croix de ce voluptueux parfum qui se diffusa dans toute la pièce; comme la grâce qui jaillit, qui surabonde de la croix et qui parfume, qui se diffuse dans tout l’univers…

Chacun d’entre nous, un par un, nous nous sommes trouvés à vénérer, à adorer cette croix. Une humanité si pauvre, mais qui devint si riche en contemplant en Dieu qui est si riche, mais qui s’est fait pauvre, pour nous rejoindre, pour nous toucher, pour nous sauver afin que nous lui ressemblions.

Samedi saint

Pâques est proche. Nous étions dans l’attente. Nous avions hâte d’être dans cette joie pascale; nous allions bien manger – je parle du corps, mais aussi de notre âme qui sera complètement rassasiée car tout nous a été donné par amour. Après le dîner, lorsque les derniers rayons de soleil commençaient peu à peu à être camouflés par les arbres, annonçant la tombée de la nuit, nous étions tous les quatre dans le salon, improvisant des petits flambeaux avec du papier, une paire de ciseaux et du scotch pour raccommoder les petites imperfections. Loin d’être esthétiques, nos flambeaux avaient pour seul but d’empêcher la cire d’entrer en contact avec le tapis et le parquet. J’avais ramené une grosse bougie – celle dont des carmélites, amies de ma maman, m’avaient offerte avant ma venue en France – qui servait comme cierge pascal. Vers 21h30, nous avons chacun allumé notre bougie au “cierge pascal” en entamant un chant à la lumière. La veillée se poursuivait du chant de l’Exultet avec le refrain « Nous te louons, splendeur du Père, Jésus, Fils de Dieu! », dont tout le monde le répétait de vive voix, en brandissant son flambeau. Je rêvais souvent de chanter les couplets de ce chant et me suis souvent demander : « Dois-je être prêtre pour pouvoir le chanter à la Veillée Pascale ? », et bien, en ce jour, j’avais ma réponse : « Non. Juste être confiné à la maison… »

Nous avons pris quelques lectures avant de méditer l’évangile de la Résurrection, célébrant en nos cœurs ce Dieu qui sauve perpétuellement l’humanité de la mort, du péché. Concernant la suite de la célébration, nous avons essayé d’imiter ce que disent les prêtres, principalement pour la profession de foi et pour le partage de la paix et avons terminé par une belle photo, tous ensemble confinés autour de Jésus ressuscité ! Alléluia !

Il était beau de voir que durant cette “veillée improvisée”, tout le monde restait en tenue de service : que ce soit pour allumer les bougies, pour chanter, pour lire, pour prendre la photo… Chacun avait sa place. Nous voyons ainsi une unité parfaite des hommes. Une unité venant de Dieu. Et cette unité ne peut être enlevée. Elle est éternelle…

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