POLITIQUE DE LA PEUR : Post-Mortem du Joker entre autres épouvantails électoraux

DR CATHERINE BOUDET
Doctorat en analyse politique

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Au placard les épouvantails politiques. Avec un total de 44 sièges pour le gouvernement incluant les best losers et Rodrigues, le système électoral de 3-first-past-the-post a une fois de plus démontré sa capacité à dégager des majorités électorales claires. Il n’y aura donc pas eu de remake de 1976, ni de joker, ni de coalition post-électorale que nombre d’observateurs politiques avaient pourtant cru voir embusqués dans ces législatives 2019. Au placard également les spectres du hung parliament, du koupe-transe, de l’abstention… Autant d’épouvantails politiques agités sous le nez de l’électeur pour l’infantiliser politiquement et tenter de le déposséder de son pouvoir de décision.
Dès le début de la campagne, la propagande a fait rage autour d’un prétendu « joker », qui viendrait en embuscade pour conclure une alliance post-électorale. Cette possibilité d’un joker faiseur de roi partait d’une hypothèse scientifique tout à fait lucide du fait de la triangulaire. Mais elle est devenue en cours de route un discours de propagande qui visait à vendre à la population le scénario préemballé d’un accord post-électoral, un remake de 1976 qui serait venu renverser le choix des urnes, un discours parfaitement anti-démocratique. D’ailleurs, le MMM lui-même s’est très vite dissocié comme il le pouvait de cette embarrassante formule du joker en niant systématiquement toute négociation post-électorale et en demandant à ses candidats de viser le 60/0.
Le spectre d’un joker caché au détour des résultats pour fomenter dans l’ombre une coalition post-électorale s’est ainsi retrouvé habilement articulé avec le spectre d’un hung parliament ou absence de majorité parlementaire qui rendrait caduc le choix des urnes. On voit qu’il y a donc eu à l’œuvre, durant ces élections, une véritable politique de la peur, qui a détourné de façon abusive des notions relevant de la Science politique. Certains sont même allés jusqu’à découvrir un « second tour » imaginaire entre les lignes de la Constitution. Et encore le jour du scrutin, des observateurs politiques dénonçaient un taux d’abstention « fort », voire « inquiétant »… alors que le passage aux urnes a révélé un taux de participation très honorable de 76,84 %, qui était même en progression de 2,2 % par rapport à 2014…!
On peut donc se poser la question du pourquoi de ce mauvais Halloween électoral. Pourquoi avoir entretenu tous ces fantasmes électoraux jusqu’au dernier moment ? Cultiver la peur en politique, c’est une stratégie qui vise à paralyser le discernement, pour tenter de neutraliser les dynamiques du choix. En clair, les épouvantails politiques du joker, du hung parliament, du koupe-transe, de l’abstention, de l’annulation des élections, etc. avaient pour vocation d’obscurcir le débat public en paralysant la capacité de réflexion des citoyens. L’objectif final étant de faire accepter par anticipation à l’électorat une formule élitiste, celle d’un accord post-électoral, qui serait venu en aval du scrutin mettre fin au chaos et rétablir l’ordre politique décidé par certaines élites, au mépris du choix des urnes. Une formule très perverse et pernicieuse, dans la mesure où ce chaos électoral était en réalité auto-créé et entretenu de façon artificielle par un discours pseudo-intellectuel et viral.
Alors que l’électorat mauricien s’intéresse de plus en plus au débat d’idées, à la réflexion rationnelle sur les enjeux et les programmes, utiliser la propagande de la peur c’était clairement une tentative de retour en arrière, à l’ère pré-démocratique. Le plus grave est que cela s’est effectué en se servant de discours pseudo-scientifiques.
L’usage électoral de la peur a été une constante de la politique mauricienne à l’ère coloniale : à la peur du « péril noir » des débuts de politique coloniale, a succédé la peur « du péril indien » fin du XIXe siècle, puis celle du « péril hindou » dans les années de la décolonisation. L’innovation cette année 2019 aura été le péril du « joker faiseur de rois ». Cinquante ans après l’indépendance, l’électorat mauricien mérite mieux. Et il l’a prouvé.

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