« Unissez-vous! » Chez Samsung, c’est la révolution syndicale

Un syndicat chez Samsung? L’idée semblait inimaginable, tant le fabricant sud-coréen de smartphones a longtemps réprimé toute tentative. Mais Ko Jee-hun, sous l’oeil attentif d’un gardien de l’usine, distribue des tracts pour recruter les premiers membres.

- Publicité -

« La bataille ne fait que commencer », sourit cet employé au service hygiène et sécurité du géant mondial des semi-conducteurs, entreprise poids-lourd de la 11e économie mondiale.

Depuis 50 ans, Samsung Electronics, principale branche du plus gros conglomérat familial (« chaebol ») du pays, a soigneusement évité la syndicalisation de ses employés — parfois au prix d’une stratégie radicale.

Mais la semaine dernière, les autorités ont acté la création de la première organisation syndicale potentiellement viable de l’histoire du groupe, car affiliée à la puissante Fédération des syndicats de Corée (FKTU).

« L’enjeu, ce n’est pas seulement les salaires », explique Ko Jee-hun, le secrétaire général adjoint de ce Syndicat national de Samsung Electronics nouvellement créé.

« Ce qu’on exige, c’est de communiquer avec la direction, que nos voix soient entendues. Parce que nous ne sommes pas juste des composants », souligne l’homme de 37 ans.

Sur ses tracts, des personnages de dessin animé se plaignent de problèmes relatifs aux vacances, aux pauses-déjeuner, aux pré-retraites imposées ou aux réductions des primes salariales.

« Le vrai syndicat est arrivé », proclame le document, sur lequel est imprimé un code QR pour que les employés puissent s’affilier.

Mais les gardiens de sécurité ne laissent pas M. Ko tracter devant les portes de l’usine, située à Hwaseong (nord-est), à environ 50 kilomètres au sud de Séoul.

Ko Jee-hun doit se placer au carrefour suivant. Ce qui ne l’empêche pas de connaître un grand succès: la quasi-totalité des employés croisés saisissent un tract.

– ‘Employés à problème’ –

Le syndicat s’est fixé comme objectif de recruter 10.000 membres à l’échelle nationale, soit près de 10% des effectifs de Samsung Electronics.

Lee Byung-chul, le fondateur de Samsung décédé en 1987, était connu pour son opposition farouche aux syndicats. « Moi vivant, jamais ils ne seront autorisés », tonnait-il.

Des documents internes datant de 2012 et obtenus par un parlementaire révèlent que les responsables étaient chargés par la direction de surveiller les « employés à problèmes ». Ceux tentant de créer des syndicats.

« Pour éviter d’être accusés de conditions de travail abusives, licenciez les principaux leaders avant le lancement d’un syndicat », conseillait le texte.

Longtemps pieds et poings liés, les aspirants syndicalistes ont profité ces dernières années d’une série d’événements favorables.

A commencer par l’élection à la présidence sud-coréenne de Moon Jae-in, un ex-avocat ayant défendu des syndicats. Mais aussi le procès pour corruption du vice-président de Samsung, Lee Jae-yong — le petit-fils du fondateur.

« On est beaucoup moins réprimé qu’avant », se félicite Ko Jee-hun.

Samsung Electronics a refusé de répondre aux questions de l’AFP.

– ‘Ring de boxe’ –

Un employé souhaitant garder l’anonymat salue la création du syndicat. Il espère notamment de meilleures primes.

Mais il s’inquiète également du ralentissement du marché mondial des semi-conducteurs, notant que même de courts retards dans la production « peuvent entraîner une perte significative de parts de marché ».

« Mener une grève collective pourrait être fatal à l’entreprise », note-t-il.

Il était « anachronique » pour Samsung d’être sans syndicat, mais l’entreprise pourrait « subir le même sort que le (constructeur automobile) Hyundai, secoué chaque année par des grèves », a souligné le quotidien Korea Times dans un éditorial.

Et une hausse du coût du travail pourrait ébranler son modèle économique, note Kim Dae-jong, professeur d’économie à l’université de Sejong, à Séoul.

« Avec un syndicat, ce sera peut-être plus difficile pour l’entreprise de réaliser de gros investissements, si l’argent est utilisé pour payer des revalorisations salariales », estime le professeur.

Samsung doit vivre avec son temps, tout comme les organisations syndicales doivent mettre de l’eau dans leur vin, souligne Chun Soon-ok, une militante du droit du travail et ex-parlementaire.

Dans le passé, syndicats et direction « se considéraient comme des concurrents s’affrontant sur un ring de boxe », dit-elle.

« Mais aujourd’hui, c’est le XXIe siècle. Ils doivent se voir comme des partenaires et danser ensemble. »

kjk/ehl/lth

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -