Vidya Charan (directrice de la MFPWA): « Si le papa protège sa famille, bien des problèmes disparaîtront »

Le 15 mai, a été célébrée la Journée mondiale de la Famille. Dans ce contexte, Vidya Charan, directrice de la Mauritius Family Planning and Welfare Association (MFPWA) fait le point sur la place de la famille dans notre société, son rôle, son évolution et les défis qui la guettent.

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Observant que bien des familles sont aujourd’hui rongées par des fléaux sociaux, ce qui les empêche de mener à bien leur rôle de stabilité sociale et de véhicule de valeurs, elle se dit convaincue que « si le papa protège sa famille, bien des problèmes disparaîtront ». Elle met en garde contre des dérives « si on ne remet pas les pendules à l’heure ». Elle revient sur le problème de baisse de fertilité dans notre société et ses conséquences sur le long terme, rappelant que « sur tous les 100 couples, on doit avoir 210 enfants à Maurice ».

Les familles mauriciennes ont évolué. Est-ce que la famille représente toujours ce socle de la société, ce lieu de transmission des valeurs?

On doit considérer la famille comme une institution solide, basée sur les valeurs pour avoir des membres qui répondent aux besoins de notre société et de notre pays. On a constaté des problèmes au sein de la famille directement liés aux fléaux sociaux et qui ravagent plusieurs foyers à Maurice. Bien que la famille soit présente, il y a de sérieux problèmes qui viennent attaquer la racine, laquelle est censée nourrir cette institution et les valeurs dans la société de manière saine et solide. Malheureusement, certaines familles sont affectées par le problème de drogue, d’autres par la pauvreté. Certaines autres entraînent leurs enfants dans la prostitution, le vol et d’autres actes non acceptables par la loi.

Qu’est-ce qui est responsable de ces dérives?

Il y a le phénomène d’abus des technologies. On passe trop de temps sur Internet, les jeux et les écrans. Ce sont des sources de divertissement, certes, mais il faut les utiliser de manière modérée. En effet, s’il y a un déséquilibre, c’est la famille qui s’écroule. On dit que la famille, c’est l’institution qui protège les enfants. La famille est perçue comme un lieu sûr, de sécurité. Si elle s’écroule, elle ne pourra plus véhiculer ces valeurs. On a observé un engouement pour tout ce qui est matériel, ce qui provoque bien des dégâts au sein de la famille. Certains sont prêts à utiliser n’importe quels moyens pour parvenir à leurs fins: utiliser les enfants pour faire le commerce de la drogue. Si on ne remet pas les pendules à l’heure, il y aura beaucoup de dérives. Une autre tendance qu’on peut relever: certains pensent tellement à eux-mêmes qu’ils sont réticents à fonder une famille. Le problème de baisse de fertilité dans notre société aura une conséquence directe dans les années à venir sur la société et l’économie. Aujourd’hui, la tendance courante, c’est soit on ne veut pas avoir d’enfants, soit on remet à plus tard ce projet. Avec une société vieillissante, on a besoin de plus de personnes pour être au service des personnes âgées. Le moins de personnes qu’il y a, le plus de fardeau cela constituera-t-il pour les personnes âgées d’autant que l’espérance de vie a augmenté.

Le thème de la Journée de la Famille, cette année, est « Families and Climate Action: Focus on SDG 13″…

Oui, il faut qu’on éduque les membres de nos familles à se comporter de manière responsable en vue de garder un environnement sain pour pouvoir s’épanouir dans un milieu sain. On dit que les Mauriciens sont bien éduqués mais qu’est-ce qui engendre autant de dégradations au niveau des mœurs, de l’environnement et de la famille? La santé de la famille doit rester primordiale. On est appelé à soutenir les familles pour qu’elles soient solides. Quand les familles sont solides et unies, on a une société agréable où vivre.

Quels sont les défis du pays par rapport à la famille et quels sont ceux de la MFPWA dans ce contexte?

Nous devons redresser le taux de fertilité qui est complètement en baisse. Pour beaucoup, aujourd’hui, avoir des enfants coûtent. Dans les années 60, on contrôlait les naissances. Aujourd’hui, on doit travailler au réajustement du taux de fertilité. Il y a donc une éducation à faire au niveau de la population. Certaines personnes ont du mal à comprendre cette nécessité. Elles avancent beaucoup de raisons. Les Mauriciens ont reçu des facilités comme le ‘Welfare State’. Dans leur zone de confort, ils ne ressentent pas la nécessité de se poser des questions sur l’avenir. Ils veulent vivre une vie facile. C’est difficile de leur faire comprendre qu’il importe de se faire remplacer dans les années à venir. Par ailleurs, si on n’arrive pas à régler les problèmes d’ordre social à l’exemple de la drogue qui a pénétré le milieu des jeunes, cela impactera directement sur la santé sexuelle et reproductive de ces derniers. D’ailleurs, nous avons vu beaucoup de problèmes d’infertilité ces derniers temps. Il faut faire comprendre que toucher à la drogue n’est pas sans affecter sa santé et sa famille. Autre défi à relever: certaines personnes sont toujours dans la pauvreté et ont une fertilité très élevée. Il y a des familles recomposées, des familles éclatées, des cas de grossesses précoces sur lesquels la MFPWA travaille. Beaucoup de familles qui auraient dû avoir un contrôle de naissance ne le font pas.

Qu’en est-il de l’adoption?

Il faut assouplir la loi mais si dans certaines familles, avoir plusieurs enfants impliquent plus de problèmes, deux enfants suffisent. De l’autre côté, les personnes aisées, qui ont eu une bonne éducation et qui travaillent, ne veulent pas avoir d’enfant. Beaucoup de nos jeunes veulent gagner de l’argent dès le début de leur carrière et ne veulent pas fonder une famille qui implique des dépenses. S’il n’y a pas de continuité au sein de la famille, il y aura une rupture en termes de transmission de la culture et des traditions. D’autre part, il y aura un problème de main-d’œuvre. Le poids de la taxation tombera sur la poignée de personnes qui restent à Maurice. Autrefois, la structure de notre population avait une base large, soit des personnes actives pour soutenir les vieilles personnes. Maintenant, c’est comme une pyramide inversée, avec une base restreinte. La charge deviendra très grande dans les années à venir sur ceux en âge de travailler. Il y aura donc un impact direct sur l’économie. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, nous investissons essentiellement dans des projets à l’intention d’une population essentiellement active. Mais, si on n’a pas suffisamment de population active, qui soutiendra tous ces projets? Il y aura moins d’enfants qui se rendront à l’école. Nous aurons des infrastructures scolaires vides. Il faut mettre des politiques de famille qui puissent consolider la structure familiale et maintenir l’équilibre de la procréation.

Y a-t-il une tranche de la société que la MFPWA cible particulièrement pour avoir davantage d’enfants?

Nous travaillons avec des familles qui ont des difficultés à procréer. Certains dépensent gros ailleurs pour des problèmes d’infertilité. On travaille actuellement avec le Prashanth Fertility Centre de Chennai pour y référer des personnes. Un médecin suit les patients à Maurice et quand il n’y a pas toutes les facilités nécessaires, les patientes se rendent à Chennai à un coût moindre. La MFPWA sensibilise par ailleurs les personnes en âge de procréer sur leur lieu de travail. On leur fait prendre conscience de l’importance d’avoir des enfants pour contribuer à la stabilité au sein de la famille et de la population. On continue de l’autre côté notre programme de contrôle des naissances parmi les mères de famille qui ont de nombreux enfants.

Parmi les obstacles qui freinent la procréation, il y a l’éclatement des couples, des mères célibataires mais aussi des pères célibataires. Que fait la MFPWA face à cela?

Il y a plusieurs problèmes qui mènent à l’éclatement des couples comme le stress, l’incompréhension, le manque de respect mutuel ou interférence de tierces personnes. Nous avons travaillé sur un module intitulé ‘Couple consolidation’ qu’on utilise dans nos ateliers de travail à travers l’île. Par rapport à l’éclatement des couples, on a retenu le thème: ‘Mon enfant, mon bonheur, ma famille, ma sécurité ». On veut faire ressortir le rôle joué par le père de famille. Beaucoup sont très consciencieux et se montrent concernés. Mais, souvent quand il y a des cas de violence et d’abus, on a tendance à oublier les bonnes actions des hommes. Cette année, on a mis l’accent sur la ‘National Fatherhood Initiative’. On revalorise les bonnes pratiques des hommes et on les partage aux autres afin de combattre les fléaux comme la violence domestique et autres abus. Si le papa reste un élément clé et protège sa famille, bien des problèmes disparaîtront. Mais, quand on voit que c’est la mère qui est en charge de tout, on essaiera de trouver les fissures pour y pénétrer et créer des problèmes dans la famille. Il y aura des tentatives d’influence vers la drogue, d’abus envers les enfants etc. Or, si un papa est là, joue son rôle correctement, et agit comme un chien de garde, il préviendra tout cela. Les parents doivent être la première arme de protection au sein de la famille.

Justement, il ne suffit pas de procréer. Encore faut-il que les parents soient en mesure de former des jeunes responsables. La communication et le dialogue sont souvent absents entre les jeunes et leurs parents. Les cas de délinquance juvénile sont courants. Est-ce que la MFPWA se penche aussi sur ce problème de société? 

Quand on parle de ‘parenthood’, de ‘fatherhood’, tout cela fait partie de notre programme d’éducation parentale.

Sont-ce des formations à la demande?

Parfois, nous le faisons de notre propre initiative, parfois, il y a des demandes.

D’un côté, les parents semblent aujourd’hui ne pas disposer d’assez de temps pour s’occuper d’eux-mêmes et de leurs enfants à cause de leur vie professionnelle bien remplie et de l’autre côté, on les encourage à avoir plus d’enfants. Comment conjuguer cet objectif d’une meilleure natalité avec un taux élevé d’activité professionnelle parmi les femmes?

Il faut avoir un équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle. On sait que dans certains secteurs, il y a des heures supplémentaires. Mais, ce qu’on demande, c’est tout un accompagnement pour aider ces parents qui doivent travailler jusqu’à fort tard ou à des heures indues. On sait que ce n’est pas facile mais il ne faut pas que cela devienne une excuse. On dit ne pas avoir de temps pour avoir des enfants mais on trouve du temps pour se divertir. Je comprends très bien qu’avec une économie en épanouissement où les deux partenaires sont appelés à travailler dur, c’est difficile de s’occuper de ses enfants. C’est pourquoi on dit qu’il faut avoir un nombre raisonnable d’enfants.

Quel est le nombre moyen d’enfants que vous recommandez par famille?

Un couple doit se faire remplacer. Si vous êtes deux, qu’est-ce qui se passe si vous avez un seul enfant? D’après les statistiques, sur tous les 100 couples, on doit avoir 210 enfants à Maurice. Si sur tous les 100 couples on n’a que 130 ou 140 enfants comme maintenant, cela couplé au taux de vieillissement et de mortalité qui continue, ce sera difficile de se faire remplacer.

Depuis quand la MFPWA s’est-elle embarquée dans cette mission de booster la natalité dans le pays et quels sont les résultats de ce travail jusqu’ici?

Ce qu’on fait aujourd’hui ne se concrétisera pas du jour au lendemain. Cela prendra le temps qu’il faut. Depuis 2006, on dit qu’il y a une baisse dans le taux de fertilité, que cela causera un déséquilibre. Mais, dans un premier temps, les gens ont pris conscience du problème. On a constaté qu’en 2017, le taux de fertilité était environ 1.3 et en 2018 1.4. Ce qui porte à croire que notre travail de sensibilisation y a contribué mais on n’a pas encore les résultats finaux. La population a commencé à prendre conscience. Mais, bien qu’elle soit d’accord, elle se laisse emporter par le monde matérialiste et se dit: ‘Ok, ben on verra… ». Cela prendra un peu de temps donc. Regardez ce qui se passe ailleurs, comme en Chine. Avant, c’était la politique d’un seul enfant mais aujourd’hui cela a changé. Singapour est passé par ce que connaît Maurice actuellement. Le premier ministre a constamment rappelé à l’ordre la population pour ramener le taux de fertilité à deux. En France, c’était la même chose. Aujourd’hui, on a ajusté la politique de la population. Ce qu’il faut préciser, c’est que quand on dit qu’il faut avoir plus d’enfants, cela ne veut nullement dire qu’il faut faire des enfants aveuglément sans penser aux responsabilités que cela implique. Ce qu’on fait, c’est responsabiliser les couples pour qu’ils agissent en conformité au développement durable. Il faut avoir des programmes d’accompagnement. Dans les années 60, quand il y avait le problème d’explosion démographique, quand on voulait contrôler les naissances, on avait commencé à introduire des facilités pour réduire le nombre de naissances. Il y avait un programme d’accompagnement pour baisser le taux de natalité. Maintenant, pour réajuster le taux de fertilité, on doit là encore avoir des programmes d’accompagnement.

Quels types de programmes d’accompagnement?

Par exemple, les services de crèche, de prise en charge des personnes âgées. Comment la femme pourra-t-elle prendre soin de ses vieilles personnes et en même temps s’occuper de ses enfants? On doit revoir la taxation sur les revenus, proposer des programmes de logement. Il faut aussi faire des recherches parmi les groupes ciblés, ceux qui ont beaucoup d’enfants et ceux qui n’ont pas d’enfants pour avoir une base de données. On doit avoir une ‘Population Policy’. Il y a toute une série de mesures à introduire.

Cela rejoint ce que vous avez soumis comme propositions budgétaires?

Oui, il faut revoir les congés de maternité et de paternité; la loi du travail pour permettre à la femme de travailler et de s’occuper de sa famille. On a aussi demandé une réduction des prix des produits pour enfants. On a également demandé des facilités de prêt. On pourrait voir quelles sont les bonnes pratiques dans les pays du Commonwealth qu’on peut appliquer dans notre société. On a d’autre part demandé de revoir les programmes de formation de nos jeunes en fonction de l’évolution de l’économie. Si on est en train de vendre un rêve aux Mauriciens: économie bleue, intelligence artificielle, il faut créer des emplois dans ces secteurs pour qu’ils restent au pays pour travailler. On a en outre demandé de revoir les prix des traitements de fertilité dans les cliniques privées.

Un mot à ajouter?

Maurice est une société qui a un passé très riche. La famille était là, la femme était là. Lorsqu’on a eu le suffrage universel, les femmes sont sorties de chez elles pour aller voter. Quand il y a eu la révolution industrielle, la Femme est sortie de la maison pour aller travailler. A chaque développement de la société, on a reçu la contribution remarquable de la Femme. Tout au long de notre histoire, on a vu cette participation graduelle de la Femme dans le monde familial et dans le monde du travail. On demande aussi aux hommes d’être partie prenante dans la gestion familiale. Ce n’est pas seulement en donnant de l’argent que la famille va fonctionner correctement. Il y a un aspect particulier qu’il faut qu’on demande à nos hommes. Si on ne prend pas garde, les fléaux sociaux rongeront nos familles et notre société. On doit donc prendre les devants pour faire barrière à tous ces fléaux. On a été cité comme exemple en Afrique et dans le monde. On a connu le contrôle de naissances, on a eu des programmes familiaux etc. On a toujours vanté nos familles et il y a eu une grande contribution de la Femme dans la famille. Quand on évolue en ce sens, quelque part, l’Homme aussi doit rebondir et être à l’avant-plan dans tout ce qui a trait à l’avancement familial.

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