Budget 2023-2024 : oser un air de guitare

Doux vendredi. Ciel bleu, nuages en légers coups de pinceau, vent qui peine à ébouriffer, cils qui plissent dans la lumière du jour. Et les oiseaux chantent la grâce. Une aile me frôle, fait remonter une musique lointaine.

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Des cordes pincées pour un air de guitare ; Manhã de carnaval, un air obsédant sorti d’un vieux film, Orfeu Negro. Une histoire d’amour, forcément tragique. Et une scène finale où des enfants s’échinent sur une vieille guitare, car ils croient que chaque matin il faut ramener le soleil en lui jouant un air. Délicat moment de poésie, si nécessaire pour recouvrir les drames de la vie.

L’après-midi se rose au loin, la musique demeure et dansent les souvenirs dans le discours des notes. Un autre air m’attend, celui du budget du présent Gouvernement. À l’ordinaire, je fais comme beaucoup, je laisse passer ce flot monotone de chiffres et je cherche un résumé par après, ciblant les mesures qui feront fluctuer ma bourse ou ma vie.

Cette année, l’air appelle un changement de soi. Peut-être est-ce la tension souterraine qui traverse les drains imaginaires du pays. Peut-être est-ce la brutalité rhétorique d’une majorité qui peine à faire croire à la grande sérénité. Cette fois, j’ai écouté le budget entièrement.

Posons en préambule que je ne suis expert en rien. Je m’autorise pourtant un avis ; celui du citoyen embarqué sur la Stella Clavisque Maris Indici qui se sent emporté vers la déroute par les décisions d’une horde de capitaines à la compétence douteuse.

Je ne me réclame d’aucun parti, d’aucune communauté, d’aucune coterie. J’aime mon pays, son peuple fou et attachant, les vagues contre les falaises, les montagnes hautes, les grottes incertaines et l’eau secrète qui coule entre les arbres. L’île est belle ; je voudrais la montrer aux enfants à venir.

Le discours du budget pose une question : celle de l’argent. Comment le dépenser, mais aussi, comment le trouver ? Je laisse cette question aux experts, tout en me demandant en toute bonne foi si le Gouvernement aura les fonds pour les ambitions de son discours.

Cela dit, un projet ne dépend pas uniquement des fonds. L’argent peut être alloué, mais la réalisation dépend grandement des petites mains, des gens en charge desdits projets. Combien de projets ficelés en haut lieu se retrouvent à prendre la poussière ?

Je ne parle pas uniquement des fonctionnaires peu zélés, mais aussi des colleurs d’affichettes et autres porteurs de drapeau parachutés ci et là, qui forts de leur incompétence, grippent la machine et coûtent cher aux contribuables en paralysant de leur bêtise les projets.

Il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées, il faut les bonnes personnes pour les réaliser. Nous verrons bien d’ici là la couleur, en espérant qu’il ne s’agit pas, une fois encore, de repeindre les éléphants en blanc…

Un brin caustique

Réalisable ou pas, un budget est une liste d’intentions. C’est l’expression renouvelée de la vision d’un gouvernement. À plus d’un million sur un bateau perdu dans l’océan Indien, notre capitaine, par la voix de son second, nous dicte la direction.

Il n’est pas possible ou souhaitable de passer sur chaque annonce, alors faisons comme les doctes docteurs des universités et définissons des axes de façon très subjective et un brin caustique. J’en propose trois : la consolidation des acquis, l’embellissement de surface et le chant des sirènes.

Ainsi, il y a toute une série de mesures pour consolider les secteurs existants. L’agriculture, la manufacture et le secteur du service. Tout cela est bel et bon de produire pour l’exportation.

Quid de l’autosuffisance alimentaire ? Serons-nous toujours des importateurs de tout ? À l’heure où le fret grimpe et la roupie descend, où la guerre russo-ukrainienne pousse certains pays à penser à sortir de la dépendance énergétique, aurons-nous toujours le réflexe de la main tendue ?

Attention nuance ! Nous devrons toujours collaborer avec plus grands et plus forts que nous. Nous sommes un petit pays, mais nous pouvons être une grande nation qui accepte la négociation, mais refuse la vassalisation pour quelques deniers ; une nation qui peut, d’elle-même, nourrir toute sa population.

Je parle de quelque chose de plus substantiel que de faire de la microagriculture dans son arrière-cour…les leçons du Covid n’ont visiblement pas été retenues et il est plus facile de pérorer que de prévoir.

Un autre axe concerne les embellissements de surface. Repeindre les écoles, planter des arbres, embaucher policiers, enseignants entre autres, mieux équiper certains secteurs, rallonger le métro, faire des espaces de loisir et ainsi de suite. Des mesures clinquantes qui font dans le « visible », pour ne pas dire dans le tape-à-l’œil.

Des projets à jeter sur son bilan de fin de mandat, que l’on pourra hurler lors de meetings en faisant du slogan facile : « Terin football sintetik, pou zanfan pa tom dan sintetik ! ».

J’ironise sans croire que ces mesures soient mauvaises. Elles sont juste insuffisantes parce que superficielles. De nombreux secteurs demandent plus, ils demandent à être repensés complètement. Un coup de peinture et quelques enseignants ne vont pas changer les choses.

Les mesures encourageant l’écologie… non, ce serait plutôt de l’écoblanchissement… illustrent bien cette pratique du tape-à-l’œil. L’écologie est à la mode, après tout. Mais je me demande si une flotte de bus électriques dans un pays qui tire son électricité majoritairement de carburant fossile est très écologique…

Je me demande aussi si détruire un bâtiment en plein centre de Port-Louis (déviation, ralentissement, création de tonnes de déchets de construction…) pour la création d’un parc avec des plantes (non ce n’est pas une forêt) est très écologique.

Taper du pupitre…

Après des années à bétoniser le pays…plantons des arbres ! Passons sur l’écologie pour les nuls…avons-nous vraiment besoin d’une promenade dans le centre de Port-Louis ? Où iront les bureaux ? Et tous les documents relatifs à l’état civil, au passé des citoyens, où et comment cela sera-t-il transporté ?

En toute honnêteté, il est trop facile de reprocher aux décideurs de se suffire de peu. Changer les choses en mieux demande du courage politique, c’est-à-dire discuter et convaincre, pas imposer. Il faudrait être capable de penser plus loin que la réélection.

Il faudrait un grand homme (ou une grande femme) dans le sens hégélien. Je crains bien que le temps des grands soit révolu, qu’il ne reste plus que des minus qui tapent du pupitre…

Pour poursuivre avec la métaphore marine, de nombreuses propositions ne sont, selon moi, que des chants de sirènes. C’est-à-dire, belles et envoûtantes de loin, mais véritables chemins de perdition en vérité.

Oui, certaines mesures vont soulager des quotidiens. Elles vont même sauver des vies en offrant une prise en charge totale dans certains cas. Or, est-ce le visage humain et humaniste de nos dirigeants ou encore le spectre des élections à venir ? Veut-on aider quelques citoyens ou faire du pied sous la table à quelques électeurs ?

Taxation à taux variables, TVA qui saute sur les crayons de couleur, revenu minimum garanti, essence, gratuité par ici, effacement de dettes par-là, augmentation de ceci, baisse de cela. Véritable arrosage d’argent comme dans les clips à la mode. Jouissance immédiate.

Et sur le long terme, est-ce tenable pour le contribuable ? Pourra-t-il tenir quand les prix augmenteront à l’international ? Ou il faut juste tenir jusqu’au prochain budget pour qu’on soit mûr pour les élections ?

L’aide aux malades et à ceux dans le besoin peut séduire, à juste titre. L’on peut se laisser tenter par les sirènes et croire à la bonté d’âme des dirigeants, mais les vingt mille roupies aux primovotants… à ceux qui atteindront leur majorité dessille vitement.

Comment recevoir un chèque permettrait-il de préparer un jeune citoyen à rentrer dans le monde actif ? Pour réaliser ses ambitions, ses rêves, ne devrait-il pas…travailler ? Le mériter ?

J’imagine que l’idée est de créer une belle génération qui trouve normal de recevoir sans rien faire. Plus manipulable in fine. Adieu méritocratie moribonde. Le ciblage, je comprends, mais là, il s’agit juste de jouer au grand-parent bienveillant : « bon anniversaire, mon enfant, voilà une petite enveloppe.»

Bon budget ou pas, réalisable ou pas, je ne vois pas où cela nous mène en tant que pays. Mis à part les prochaines élections, la reconquête du pouvoir pour encore jouir des privilèges pendant encore cinq ans. Pas de vision, pas d’innovation.

Si. Une phrase. La vision du gouvernement c’est « oser protéger ». C’est nouveau ça. J’ai toujours cru que le but premier de ces gens élus et rémunérés (trop ?) était de protéger la population, que c’était le sens même de leur engagement. Pourquoi le terme oser ? Un gouvernement a-t-il en priorité un autre devoir que de protéger son peuple ? Est-ce une faveur que l’on nous fait de nous protéger…avec notre argent ?

Se protéger

Peut-être que le communicant qui a écrit ce discours a commis une erreur et qu’il voulait écrire : oser SE protéger. Cela a plus de sens pour un gouvernement qui pense fondamentalement à lui-même avant tout et nous jette quelques miettes de temps en temps.

L’amertume et la jalousie de côté, je sauverai une mesure. Plus de TVA sur les instruments de musique. Révolution historique ! Merci, Grand Argentier.

Je vais m’acheter une belle guitare pour jouer cet air qui m’obsède…pas pour que se lève le soleil…nous en avons eu bien assez du petit soleil orange…non.

La musique est la poésie dans le vent, le souffle premier pour la voile marine, la muse des choses qui changent, l’espoir des petits matins, le courage des grands soirs, le chant des possibles. L’espoir, toujours.

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