Haniff Peerun : « Il est temps de s’adapter aux caprices de la nature »

Il est temps de s’adapter aux caprices de la nature. C’est ce que soutient Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress (MLC). Les récentes prévisions météorologiques ont forcé les élèves et étudiants à rester à la maison pendant plusieurs jours et les parents ont eu fort à faire pour s’adapter à une telle situation. Il faut que le ministère de l’Éducation vienne avec d’autres idées pour aider les élèves à se rattraper, dit-il. Le One-Line Teaching ne donne pas les résultats escomptés et finit par créer deux catégories d’élèves.

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Dans l’interview qui suit, le syndicaliste dit regretter que le gouvernement n’ait pas écouté la voix de la population pour procéder à une réduction du prix du carburant. Pour lui, « le prix du carburant est devenu une vache à lait pour renflouer les caisses de l’Etat ». Il demande ainsi au gouvernement de libéraliser l’importation du carburant. Il se dit inquiet de la hausse des tarifs d’électricité à compter de ce mois-ci. « Cette augmentation entraînera une escalade d’augmentation des prix des produits frigorifiés qui seront au détriment de la classe laborieuse ». Le syndicaliste constate aussi qu’il ne voit pas de Feel Good Factor” dans le pays, Si tel est le cas, « il se trouve en tout cas dans un cercle bien fermé », ajoute-t-il.

Comment se présente l’année 2023 pour le Mauritius Labour Congress ?

Pour nous au Mauritius Labour Congress (MLC), l’année 2003 est celle de la reprise économique après une période de récession. Tout le monde, y compris les travailleurs, s’accorde à dire avoir souffert directement et indirectement avec un taux d’inflation galopant dépassant la barre de 12% et une croissance économique ne dépassant pas 4%. Sur le plan syndical, on attend des jours meilleurs pour les travailleurs car la classe laborieuse a consenti à beaucoup de sacrifices au nom de la recension mondiale, des effets de la guerre en Ukraine, du Covid-19 et d’autres.

Le monde syndical doit évoluer en 2023 car les revendications sont multiples. Je parle du respect des droits acquis, d’un salaire décent et de meilleures conditions de travail, mais il y a aussi de nouveaux défis qui sont liés au changement climatique, la politique monétaire, le droit pour un logement et la démocratisation de l’éducation. Tous les travailleurs et les enfants devront avoir les mêmes chances et les mêmes droits.

Quel regard portez-vous sur la rentrée scolaire de 2023 ?

La rentrée scolaire a été planifiée à l’avance par le ministère de l’Éducation comme chaque année. Malheureusement, la rentrée de 2023 a été perturbée par le mauvais temps. Cela n’arrange pas tout le monde, surtout les parents qui ne savent pas quoi faire car chaque matin. Ainsi, chaque parent doit réorganiser sa journée avant d’aller travailler et également assurer la surveillance de leurs enfants, la préparation de leurs repas, etc. Prenant en considération les retombées du changement climatique, je crois qu’il faudrait commencer à s’adapter aux caprices de la nature et revoir, s’il le faut, le cursus scolaire, car une bonne planification peut apporter moins de perturbation. Il faut explorer tous les moyens non seulement le On-Line Teaching, il y a aussi les cours de rattrapage et la réduction du nombre de congés scolaires. Cependant, tout doit être fait dans le consensus avec des consultations non seulement avec les parents mais aussi avec les syndicats des enseignants et les directeurs des écoles.

Je pense qu’avoir recours seulement à l’enseignement à distance crée deux catégories d’élèves. L’une dispose des outils informatiques et l’autre n’a pas les moyens de s’adapter. Il faudra aussi étudier chaque cas, école par école, et non globalement pour toutes les institutions scolaires. Par exemple, chaque enseignant peut s’organiser pour dispenser des cours pour ses élèves respectifs, Il ne faut pas oublier que chaque école a son calendrier de travail et on ne peut pas appliquer un plan d’uniformisation pour toutes les écoles. Toutes les écoles n’enseignent pas les mêmes chapitres en même temps. Certaines écoles sont en avance sur d’autres. Donc, le On-Line Teaching peut d’une certaine manière décourager les enfants à suivre des cours en ligne. Chaque école travaille d’après son rythme.

Le service météorologique est très sollicité ces temps-ci en cette période pluvieuse. Quel regard portez-vous sur ses prévisions ?

Je pense au fait comme tout le monde. La Météo de Maurice doit se réinventer pour s’adapter aux activités économiques, au monde scolaire et à d’autres secteurs qui dépendent beaucoup d’elle pour planifier leurs activités. Je constate maintenant que même des anciens de la météo de Maurice n’hésitent pas à jeter un pavé la mare à cause des prévisions.

Je ne suis pas en train de dire que la population de Maurice ne doit plus faire confiance au service météorologique de Vacoas. Mais elle pense qu’avec tous les moyens modernes dont dispose le service de Vacoas, il faut quand même que les têtes pensantes là-bas ne se ridiculisent pas avec des prévisions à côté de la plaque alors que d’autres personnes disposant peu de matériel de pointe arrivent à faire des prévisions plus au moins exactes. Faire des prévisions météorologiques dans des catégories telles que veille de forte pluie et plusieurs niveaux d’alerte, c’est en quelque sorte un moyen pour noyer le poisson en faisant croire à la population qu’ils sont en train de travailler et qu’on innove.

Des élèves ont récemment critiqué le menu qui leur a été offert lors de leur participation au plus grand drapeau humain. Pensez-vous qu’ils avaient raison de se plaindre ?

Les élèves ont participé à cet événement pour une noble cause pour leur pays. Moi, je suggère que chaque élève qui a participé à cet événement ait droit à un certificat de participation à cet événement. Concernant le repas qui leur a été servi, je pense qu’il est malheureux de constater qu’il n’était pas au goût de ces enfants car ils ne sont pas habitués à ce genre de repas. En fin de compte, je pense que les autorités doivent retenir cette leçon et que cela ne se répète pas à l’avenir.

Tout le monde a certainement rigolé lorsqu’ils ont entendu le ministre des Arts et du Patrimoine culturel, Avinash Teeluck, venir justifier ce repas en en vantant la qualité et donnant l’assurance qu’il a personnellement vérifié le repas le matin avant la distribution aux enfants. C’est rigolo ! Il n’y a rien à dire de plus. Mais je pense quand même que si c’était le ministère de l’Éducation qui était responsable pour le repas, ce ne serait pas la même chose.

Le ministère des Arts et du Patrimoine culturel recherche des sponsors tels que l’AHRIM pour la préparation de repas. Il faut savoir que les parents contribuent déjà à un fonds dans chaque école, que ce soit au niveau du primaire ou du secondaire pour la Parents Teachers Association. On l’appelle Parents Teachers Association, mais au final c’est uniquement les parents qui contribuent à ce fonds. Pourquoi n’avoir pas utilisé cet argent pour offrir aux enfants un bon repas qu’ils auraient apprécié ?

Je profite de l’occasion pour parler de la distribution de repas chauds dans les écoles. Dans ce genre de situation, je pense que chaque école doit être responsable de son propre service de traiteur. Ce n’est pas le ministère de l’Éducation qui doit trouver des services de traiteur pour plusieurs écoles. D’ailleurs, chaque école dispose d’une cantine. On peut utiliser ces cantines pour offrir aux enfants un repas chaud. Le ministère de l’Éducation peut donc octroyer des fonds appropriés aux associations de parents d’élèves pour que le travail puisse se faire. Le ministère de l’Éducation ne peut pas choisir un service traiteur pour 40 à 70 écoles. Cela risque d’entraîner l’intoxication alimentaire avec la chaleur. Si le ministère de l’Éducation va dans ce sens, cela donnera l’impression qu’il est en train de favoriser quelqu’un qui est proche du pouvoir. Chaque école doit préparer ses repas car elle connaît les besoins de ses élèves.

La compensation de Rs 1 000 est appliquée à tous les travailleurs cette année. Pensez-vous que c’est une bonne chose d’accorder cette compensation salariale “across the board” ?

C’est bien que le gouvernement ait accordé cette somme de Rs 1 000 pour compenser la perte du pouvoir d’achat. Malheureusement, elle n’est pas suffisante car la roupie mauricienne a beaucoup déprécié. Il suffit de se rendre dans un supermarché avec Rs 1 000 pour acheter quelques produits de base, vous verrez très vite cette somme vite engloutie. Mais il faut quand même saluer le gouvernement pour avoir fait l’effort d’accorder une compensation salariale de Rs 1 000 à tous les travailleurs, indistinctement du fait que le travailleur est en train de toucher un salaire de Rs 50 000, Rs 100 000, ou plus de Rs 150 000 par mois car le coût de la vie a augmenté et cela est en train d’affecter tout le monde. Il faut savoir que beaucoup de travailleurs sont endettés actuellement à cause des emprunts pour la construction de leurs maisons, l’achat de terrains, le financement des études universitaires, que ce soit à Maurice ou à l’étranger.

Il ne faut pas oublier aussi que les prix des médicaments ont pris l’ascenseur. Je pense que le gouvernement doit proposer d’autres mesures d’accompagnement en attendant le prochain budget. Je profite de l’occasion pour demander au gouvernement de venir avec une politique de contrôle des prix car des importateurs et des distributeurs font la pluie et le beau temps. Il y a un cartel qui s’est installé et il faut absolument le démanteler. Comment se fait-il que le même produit soit vendu à des prix différents dans plusieurs points de vente ? J’ai vu des commerçants faire environ 300% de profits sur des produits, en particulier sur des médicaments. C’est la plupart des vieilles personnes qui en font les frais. Ce sont ces pauvres gens qui n’ont pas eu droit encore une fois à la compensation salariale et qui doivent mettre la main à la poche. Le contrôle des prix serait le bienvenu.

Il faut donc limiter les profits des commerçants…

Nous ne sommes pas en train de dire que les commerçants ne doivent pas faire de profits. Loin de là. Mais il faut que les prix des produits vendus sur le marché local soient justes et équitables pour que tous les Mauriciens. Est-ce que les gens qui touchent de gros salaires doivent aussi bénéficier de cette compensation salariale ? Je pense que oui car à ce jour, il y a beaucoup de travailleurs qui tombent dans la catégorie de la classe moyenne et ne sont plus à ce niveau en raison de la hausse du coût de la vie. La classe moyenne est en train de souffrir terriblement dans la conjoncture.

Dans le passé, la compensation salariale était appliquée sur un certain barème salarial et les salariés de la classe moyenne ne touchaient pas de compensation salariale. La compensation salariale était plafonnée à Rs 50 000. La classe moyenne a beaucoup de responsabilités maintenant. C’est la classe moyenne qui roule l’économie du pays. Donc, c’est une bonne chose d’avoir accordé la compensation salariale across the board.

Le prix du carburant demeure toujours inchangé malgré l’insistance de l’Association des consommateurs de l’île Maurice pour revoir le prix. Que pensez-vous de cette situation ?

J’ai comme impression que le prix du carburant est en train de devenir une vache à lait pour le gouvernement. Le prix du pétrole a dégringolé sur le marché mondial et il continue sur la même lancée et plusieurs pays ont déjà réajusté le prix alors que c’est toujours le statu quo à Maurice. Cela me fait penser qu’il y a peut-être des incompétents à la tête du comité chargé de revoir le prix du carburant. D’après moi, le prix du carburant aurait dû baisser de manière substantielle. Mais vu que la State Trading Corporation enregistre un déficit d’au moins Rs 1,4 milliard, on préfère garder le prix du carburant. C’est ridicule. C’est bien l’incompétence des gens à la STC qui ont contribué à cette situation. Je pense qu’il faut revoir le calcul pour la fixation du prix du carburant.

Pourquoi ne pas libéraliser l’importation des produits pétroliers si cela va être dans l’intérêt des consommateurs ? Il ne faut pas oublier que l’objectif de la STC n’est pas de faire des profits colossaux. Cette instance a été mise sur pied pour permettre aux consommateurs de bénéficier de prix compétitifs. Malheureusement nous sommes en train de constater que certains produits importés par la STC ne sont pas aussi abordables pour les consommateurs.

Des manifestations sont organisées ici et là en raison de la mauvaise fourniture d’eau dans le pays. Quel regard portez-vous sur la question ?

Dieu merci, Maurice n’importe pas d’eau pour la plupart des besoins de la population. Nius devons tout simplement savoir comment stocker ce don de la nature. Est-ce que c’est tellement difficile de le faire avec une bonne planification ? La réponse est pourtant simple. Il faut faire une bonne planification. Réduire les fuites à travers l’île, stocker l’eau des pluies de façon judicieuse et c’est tout.

Malheureusement, la majeure partie de l’eau des pluies qui tombent sur l’île va à la mer. L’ironie maintenant est que nous sommes en train de proposer l’idée que nous pourrions envisager le dessalement de l’eau de mer pour améliorer la fourniture d’eau. Le gouvernement doit mettre de l’ordre à la Central Water Authority car il y a trop de laisser-aller. Et il n’y a pas d’innovation pour améliorer la fourniture d’eau à Maurice.

Pensez-vous que les municipales doivent se tenir cette année ?

Dans une démocratie, il faut apprendre à respecter les règles en vigueur dans le pays. Que ce soit pour les élections municipales ou générales, il faut organiser les élections à temps et laisser aux gens décider qui doivent diriger ou gouverner leurs municipalités ou leurs pays. Mes amis citadins que je rencontre me disent que les Districts Councils sont mieux gérés que les municipalités actuellement. À ce jour, nous sommes en train de constater que le régime en place est en train de gouverner malgré le fait qu’il a obtenu 37% des voix. Est-ce qu’il est en train de bien faire ou n’est pas en train de performer à la satisfaction de tout le monde, cela est une autre question.

D’autre part, on voit des gens de l’opposition qui se chamaillent pour des postes de responsabilité en cas de victoire. Nous avons à faire à une opposition qui n’est pas unie et de l’autre côté nous avons affaire à un gouvernement ou certains ne sont pas en train de faire leur travail correctement et c’est toute la population qui est en train de faire les frais de leurs incompétences. Peut-on blâmer le Premier ministre, Pravind Jugnauth dans ce sens ?

Que doit faire ce dernier ?

Si des Advisers sont en train de mal conseiller le chef du gouvernement et que ses députés et ministres ne sont pas en train de donner le meilleur d’eux-mêmes, le gouvernement est voué à l’échec. Je pense que le Premier ministre doit être à l’écoute du peuple pour comprendre ce qui est en train de se passer sur le terrain. S’il écoute le peuple au lieu de ses conseillers, il sortira gagnant. S’il va continuer à écouter ses conseillers qui vont continuer à lui donner de faux espoirs, il aura un prix à payer.

Cependant au MLC, nous disons qu’un gouvernement qui a été élu démocratiquement a tous ses droits pour gouverner le pays et il doit gouverner pour toute la population mauricienne. Il faut gouverner dans la transparence et la méritocratie doit prévaloir où tout le monde doit pouvoir obtenir un emploi d’après ses compétences et ses mérites, et non pas au gré de son appartenance politique. Ailleurs, plus particulièrement aux États-Unis, la couleur de la peau, ses origines ou son appartenance politique ne comptent pas pour se faire embaucher. Si aujourd’hui les municipalités, les compagnies d’Etat ne sont pas en train de fonctionner comme il se doit, cela est dû au fait qu’il y a gens qui n’ont pas les compétences appropriées à des postes de responsabilité. Les institutions ne sont pas en train de fonctionner. Il serait dans l’intérêt du gouvernement de placer des gens appropriés et qualifiés à la tête des institutions pour donner des résultats escomptés. C’est en plaçant des gens compétents à la tête des institutions que le gouvernement et le peuple sortiront gagnants.

Les Britanniques ont signifié leur intention d’ouvrir les négociations sur le dossier Chagos. Pensez-vous que c’est une bonne chose ?

Je pense que c’est une bonne décision. Il faut non seulement ouvrir des négociations sur les Chagos mais il faut ouvrir des négociations sur l’avenir de la base militaire de Diego-Garcia. C’est une bonne chose que les Britanniques, sous le leadership de Rishi Sunak, aient accepté de négocier avec le gouvernement pour le retour des Chagos. Il faut retourner notre archipel sans aucune condition. Il faut aussi songer à récupérer Diego Garcia car on ne peut pas accepter de faire usage de notre patrimoine pour aller bombarder des innocents dans d’autres pays.

Est-ce que la hausse des tarifs d’électricité à compter de ce mois-ci inquiète le MLC ?

Le gouvernement vient dire que cette hausse ne va pas affecter les travailleurs en général. Je pense qu’il a tort de venir dire cela car les grandes surfaces qui vont être frappées par cette augmentation n’hésitent pas à ajuster leurs prix.

On s’attend à une escalade des prix et c’est la classe laborieuse qui aura à subir cette situation. Si les propriétaires des supermarchés constatent que leur note d’électricité devient salée, ils n’auront pas d’autre choix que d’ajuster leurs prix. Lorsque les tarifs d’électricité augmentent, cela va affecter directement et indirectement les consommateurs. Le gouvernement aurait dû proposer une formule appropriée pour que les consommateurs ne paient pas le prix de l’incompétence des gens qui sont à la tête des institutions. Ces gens-là auraient dû gérer les affaires de l’Etat convenablement.

Pensez-vous qu’il y a un Feel Good Factor, qui s’est installé dans le pays ?

Est-ce qu’il y a un Feel Good Factor qui s’est installé dans le pays ? Mais malheureusement ce Feel Good Factor ne s’applique pas pour la majorité de la population. Je ne vois de Feel Good Factor lorsque les gens descendent dans la rue pour manifester en raison de la mauvaise fourniture d’eau. Je ne vois pas de Feel Good Factor lorsque les gens sont obligés d’avoir un double emploi pour joindre les deux bouts. Je ne vois de Feel Good Factor  quand de jeunes diplômés n’arrivent pas à trouver un travail. Est-ce que le Feel Good Factor est là lorsque les travailleurs en général dans le pays ne sont pas en train de percevoir un salaire décent et que nos enfants sont en retard sur le programme scolaire en raison du mauvais temps et du Covid-19 ?

Maintenant le changement climatique est en train d’affecter le monde du travail. Un travailleur n’est pas un salarié uniquement sur son lieu de travail. En dehors du monde du travail, il est toujours un travailleur qui est en train de faire face à des défis économiques et sociaux. Est-ce qu’il y a suffisamment d’activités pour la santé mentale des travailleurs ?

Propos recueillis par

Jean-Denis PERMAL

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