Renvoi des élections municipales et inconstitutionnalité : quel recours ?

Alexandre Barbès-Pougnet, Juriste,  Secrétaire-Général d’En Avant Moris

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J’ai passé la dernière semaine à écouter ou à lire avec beaucoup d’attention les réactions des uns et des autres sur la question du renvoi des élections municipales à l’initiative du Gouvernement. Notre pays traversant en ce moment une période de son histoire où le moindre événement est susceptible d’appropriation à des fins de publicité politique, je ne me suis pas étonné du très faible niveau d’analyse servi aux citoyens, sauf rares exceptions mais sans pour autant que celles-ci aient évoqué des solutions envisageables. Mais avons-nous été habitués à mieux ?

Tous ont ainsi parlé, sans grande surprise, « d’atteinte à la démocratie », « d’atteinte aux valeurs démocratiques », « d’anticonstitutionnalité » (un juriste bien formé devrait savoir que le terme exact est « inconstitutionnalité »). Bref, ce fût une énième leçon pouvant être titrée « comment enfoncer une porte ouverte ? ».

Après que nos historiens-observateurs-politiques-politiciens-super-héros auto-proclamés, et déifiés par des médias, nous aient ressassé des épisodes de l’histoire politique post-indépendance, certains ont osé pousser la réflexion plus loin en relevant à bon droit l’outrage fait à la démocratie par le Président de la République sans pour autant approfondir la question. D’autres nous ont annoncé qu’ils « saisiront la justice », probablement pour nous enfoncer un peu plus, nous ayant habitué à des saisines mais pas à des victoires… Sacrés super-héros… En tout état de cause, nous retiendrons de chaque intervention que le débat s’orientait vers une atteinte portée à la Constitution mauricienne, à nos droits fondamentaux et à la forme démocratique de l’Etat qu’elle consacre. C’est un bon début.

Toutefois, comme dans toutes situations, seule une problématique bien posée permet de trouver les solutions les plus adaptées. Or, si la question relative à l’inconstitutionnalité de la loi peut être posée plus ou moins légitimement, elle ne me semble être que secondaire face à une question plus profonde touchant à la fonction même du Président de la République, garant de la forme démocratique de l’Etat et de ses institutions, mais aussi du respect de nos droits fondamentaux constitutionnellement consacrés (1). Se pencher sur les « missions » confiées au Président de la République, n’était-ce pas in fine se pencher sur la sanction pouvant frapper ce dernier en cas de violations de ses obligations constitutionnelles, et donc sur une sanction pouvant déboucher sur sa destitution et, en conséquence, sur l’invalidation des actes ratifiés par sa main (2) ? Enfin, attaquer un acte du Président de la République, voire demander sa destitution, requièrent que nous nous penchions sur l’identité des détenteurs de l’intérêt à agir ou locus standi et sur les divers fondements possibles dudit intérêt à agir (3).

1 – Les obligations du Président de la République

L’article 28 (1) de la Constitution fait peser sur le Président de la République, en sa qualité de Chef de l’Etat, la mission de veiller et de défendre la forme démocratique de l’Etat, et donc de ses institutions. La garantie de la forme démocratique de l’Etat, consacrée par l’article 1 de la loi fondamentale, est d’autant plus importante qu’elle est l’un des seuls éléments de la Constitution ne pouvant faire l’objet d’un amendement qu’après tenue d’un referendum populaire, à l’instar des ¾ des voix requises au sein du Parlement pour procéder à un amendement des autres dispositions constitutionnelles.

Cette mission, ou plutôt cette obligation du Président de la République, de garantir à la Nation le respect de la forme démocratique de l’Etat, mais aussi de garantir à chaque individu le respect de ses droits fondamentaux prévus aux articles 3 à 16 du texte, est renforcée par le serment prêté à la Nation lors de son investiture, et par lequel il s’engage solennellement à « defend the Constitution, and the institutions of Democracy and the rule of law, ensure that the fundamental rights are protected (…) ». Fait important à retenir est celui que nous ne sommes pas en présence d’une prestation de serment de ce nominé politique à destination du Premier Ministre, premier de ses conseillers, mais bien à la Nation mauricienne.

 

Dit plus simplement et appliqué au cas qui nous intéresse ici, le Président de la République a donc l’obligation de s’assurer qu’une loi votée et qui lui est soumise pour ratification par sa signature ne porte pas atteinte à la forme démocratique de l’Etat, ni ne viole les droits fondamentaux garantis à chaque individu. L’objectif de cette obligation pesant sur le Président de la République étant celle d’ériger celui-ci en rempart contre l’arbitraire du Gouvernement, toute violation de cette obligation est fort heureusement sanctionnable.

2 – La sanction constitutionnelle

La gravité d’une violation de ses obligations constitutionnelles par le Président de la République est telle que le constituant a prévu une sanction à la hauteur de ce manquement : la destitution. En effet, l’article 30 de la Constitution mauricienne prévoit que « (1) The President (…) may be removed from office in accordance with this section for – (a) violation of the Constitution (…) ». Il ne s’agit pas là d’une action civile ou pénale à l’encontre de la personne du Président de la République, proscrite par l’article 30A de la Constitution et garantissant l’immunité du Chef de l’Etat, mais bien d’une action constitutionnelle à l’encontre de la fonction de Président de la République.

Point important à retenir et non des moindres, toute destitution du Président de la République s’accompagnerait en toute logique d’une déclaration de nullité des actes de ce dernier ayant justifié sa destitution. Appliqué à notre cas, la destitution du Président de la République pour violation de ses obligations constitutionnelles, notamment celle de s’assurer du maintien de la forme démocratique de l’Etat et des institutions, aurait pour conséquence le prononcé de la nullité immédiate de l’amendement du Local Government Act pour inconstitutionnalité.

La subtilité serait ici de ne pas tenter d’obtenir la déclaration d’inconstitutionnalité de l’amendement en passant par une action en inconstitutionnalité de la loi portée devant la Cour suprême par voie de Judicial Review, mais en obtenant une inconstitutionnalité de droit en passant par l’action en destitution du Président de la République. Il s’agit donc de nous attaquer directement à la cause pour faire disparaître les symptômes, et non pas de traiter les symptômes sans traiter la cause.

Ceci étant dit, il convient de nous questionner sur l’identité des citoyens ayant un intérêt à agir ou locus standi dans une action en destitution du Président de la République.

3 – Les fondements de l’intérêt à agir

Le Président de la République, comme évoqué dans le paragraphe premier, est titulaire d’obligations et d’une qualité de garant du respect de la forme démocratique des institutions et des droits fondamentaux des individus. Si l’article 30 de la Constitution ne précise pas explicitement l’identité de ceux ayant un intérêt à agir en cas de violation par le Président de la République de ses obligations, un indice évocateur nous permet d’avancer sans risque que tout citoyen, appartenant à la Nation mauricienne, dispose légitimement de cet intérêt à agir : il s’agit du serment prêté par le Président de la République lors de son investiture. En effet, nous parlons bien là d’un serment prêté à la Nation, et pas aux seuls responsables de la nomination du Chef de l’Etat.

Cet indice ne peut qu’être renforcé par les règles de procédure civile s’imposant à toutes juridictions et permettant de qualifier l’existence d’un intérêt à agir, à savoir la démonstration que l’intérêt de la victime est direct, personnel, né et actuel.

La violation de ses obligations par le Président de la République, en ratifiant un amendement législatif portant une atteinte sérieuse à la forme démocratique de l’Etat et au fonctionnement démocratique de nos institutions, mais aussi à la liberté de conscience et à la liberté d’expression des citoyens, suffit à mon sens à remplir les quatre conditions permettant la reconnaissance d’un intérêt à agir par la juridiction appelée à connaître de l’action en destitution.

Si une certaine partialité de la juridiction en question venait à faire obstacle à la reconnaissance d’un intérêt à agir, le demandeur pourrait dépasser les exigences de la procédure civile classique pour justifier d’un intérêt à agir en ayant recours à la doctrine de l’attente légitime ou legitimate expectation, applicable en droit administratif mauricien tel que consacré par l’arrêt du Privy Council Rainbow Insurance Company Ltd v. Financial Services Commission (Mauritius) (2015) UKPC 15, à son paragraphe 51. Cette doctrine suppose que tout acte administratif puisse être attaqué par tout intéressé dès lors que ledit intéressé pouvait légitimement s’attendre à un comportement ou à une décision contraire de celle adoptée par l’autorité concernée.

En effet, n’avons-nous pas droit, en notre qualité de citoyen, de membre de la Nation Mauricienne, de nous attendre légitimement à ce que le Président de la République respecte ses obligations constitutionnelles, à ce qu’il s’assure du respect de nos droits fondamentaux et qu’il garantisse le fonctionnement démocratique de nos institutions ?

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