Dr Satish Boolell  : « La santé est en train de devenir un luxe réservé aux riches ! »

Notre invité de cette semaine est le Dr Satish Boolell, médecin légiste et ancien député du MMM connu pour son franc-parler. Dans l’interview qui suit, il fait le bilan critique du ministre de la Santé et répond à des questions d’actualité.

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Le ministre de la Santé parle de moins en moins du Covid 19. Est-ce que cela signifie que, comme il le laisse entendre, Maurice a su, grâce à ses efforts, venir à bout de l’épidémie ?
— Une des caractéristiques du ministre de la Santé est de rater les occasions de se taire. Nous avons eu une politique de vaccination basée sur la méthode trial and error, la désorganisation et le chaos à tous les niveaux. Rappelez-vous de ces longues queues de vieilles personnes sous le soleil et la pluie devant les centres de vaccination ! On a eu une profusion de vaccins dont un non reconnu par l’OMS, à tel point qu’on peut se demander si la vaccination n’a pas plus profité à ceux qui ont eu les contrats d’importation qu’à la population. On a vacciné à tour de bras sans se préoccuper des conséquences du vaccin sur certaines personnes. Si le ministre de la Santé se dit satisfait de sa campagne de vaccination et pense qu’il a vaincu le Covid, il devrait aller consulter un psychiatre ou un psychologue ! Par ailleurs, je crois que le virus du Covid est en train de muter en perdant de sa force pour atteindre le niveau d’une grosse grippe.

Si le virus a baissé d’intensité, pourquoi l’obligation du masque sanitaire et celle de 50 personnes dans les rassemblements publics sont-elles maintenues ?
— Il n’existe aucune raison médicale pour justifier le port obligatoire du masque sanitaire. Tant bien que mal, une majorité de Mauriciens a été vaccinée, ce qui nous a permis d’atteindre le niveau d’immunité collective recherchée. Le masque est recommandé, pas imposé, pour ceux qui souffrent de certaines maladies qu’on appelle aujourd’hui “comorbidités”. Les amendes pour non-port du masque sanitaire font partie d’un fund raising organisé par la police pour remplir les caisses de l’État. Cette mesure maintenue arbitrairement ne repose sur aucune approche scientifique, n’a aucune logique, si ce n’est de remplir les caisses de l’État qui ont été vidées pendant l’épidémie. Je crois aussi que cette mesure est maintenue pour permettre aux amis du gouvernement qui ont constitué des stocks de masques de les écouler. La limitation du nombre de personnes aux réunions publiques a une motivation politique : puisque le gouvernement ne peut pas tenir des réunions sans se faire interpeller et ses membres se faire traiter de “gopia”, il préfère maintenir l’interdiction. Du coup, ce sont les fidèles des religions qui sont les victimes collatérales de cette décision. Cela étant, il me semble que le nombre de cinquante personnes est largement dépassé dans certaines inaugurations officielles que la police ne prend pas la peine de contrôler. Alors qu’elle est allée compter le nombre d’avocats qui ont défilé en signe de protestation contre la manière de faire de la police la semaine dernière. Et après on s’étonnera de l’impopularité de la police.

Non seulement le prix des médicaments a beaucoup augmenté, mais les pénuries dans ce secteur sont de plus en plus fréquentes. Quelle en est l’explication ?
— La politique des médicaments pratiquée à Maurice est scandaleuse et ne repose sur aucune logique. Savez-vous qu’on vend au moins vingt marques de paracétamol dans notre petit pays. Il y a des vested interests autour de l’importation des médicaments. Le Pharmacy Board compte dans ses rangs des nominés, qui ont remplacé ceux qui faisaient bien le travail, mais qui ont été limogés pendant les confinements. Tout ça afin de permettre les achats de médicaments et d’équipements que l’ont sait sans respecter les règlements. Il n’existe pas de politique claire sur la provenance des médicaments importés, les permis internationaux qui doivent les accompagner et ceux qui peuvent les importer. Il y a des pharmacies qui ont le droit d’importer des médicaments et peuvent même participer à des appels d’offres du ministère. Nous n’avons pas, autant que je sache, un inventaire complet des médicaments autorisés à Maurice. Beaucoup de médicaments essentiels ne sont pas disponibles à Maurice, mais ceux qui en ont les moyens peuvent les acheter et les importer des pays voisins. Tout cela relève de la mauvaise organisation du ministère de la Santé, dont le ministre se dit très fier.

Que pensez-vous de la proposition des pharmaciens de se faire payer pour toute information demandée par un patient sur la nature et l’utilisation des médicaments ?
— C’est tout simplement scandaleux ! Pourquoi est-ce que la loi exige qu’il y ait un pharmacien par pharmacie ? Pour conseiller et informer les patients. Le travail, le devoir du pharmacien est d’informer le patient sur le médicament qu’il vend, sa posologie et ses effets secondaires. Si un pharmacien n’est pas capable de faire ce pourquoi il est payé, qu’il cède la place à des commis qui, eux, de toute façon, font ce travail, son travail !

Pendant les débats sur la motion de censure, la semaine dernière, le ministre de la Santé s’est dit satisfait des mesures qu’il a prises pour faire face à la situation sanitaire. Il a dit avoir pris les mesures d’urgence nécessaires et s’est félicité de son action…
— Je vous ai déjà dit qu’il ne rate pas les occasions de se taire. Il a pratiqué une désinformation sur la situation des malades pendant la pandémie. Que l’on se rappelle les malades enfermés et isolés à l’hôpital et les enterrements en catimini, sans les rites religieux ! Si le ministre est satisfait de son action pendant l’épidémie, si le travail a été bien fait, pourquoi est-ce qu’il ne rend pas publiques les conclusions du rapport sur les malades dialysés morts pendant le Covid, à l’hôpital de Souillac ? Le refus de rendre publiques les conclusions de cette enquête indique que des erreurs et des fautes ont été commises. Le manque de transparence dans les achats effectués pendant l’épidémie était évident. C’est trop facile de dire qu’en cas d’urgence on ne respecte plus les règlements qui prévoient des exceptions dans certains cas spécifiques, mais pas des achats sur une grande échelle comme cela été le cas pendant le confinement. Les mesures pour passer outre aux règlements demandent une enquête approfondie et surtout des sanctions contre ceux qui les ont autorisées ou couvertes. Mais les quelques enquêtes ouvertes, sous la pression de l’opinion publique, ne progressent pas et finiront pas être oubliées, ce qui semble l’objectif du gouvernement. Il espère que les Mauriciens, anesthésiés par les coups de massue économiques, auront d’autres préoccupations que les résultats de ces enquêtes.

Est-ce que, comme le ministre le laisse entendre, la situation est revenue à la normale dans les hôpitaux après la crise sanitaire ?
— La ministre a oublié que le fait d’avoir traité le Covid comme la maladie prioritaire a eu pour conséquences de gonfler la waiting list des patients pour toutes les autres maladies. Les patients doivent faire la queue pour se faire soigner et il y a des chariots de malades qui attendent dans les salles d’opération. Savez-vous que si un malade doit faire une radiographie au milieu de la nuit, il faut qu’il revienne le lendemain pour obtenir les résultats ? Avec la crise économique, tous ceux qui ne peuvent plus se payer une assurance médicale vont se tourner vers l’hôpital public. Est-ce que ce dernier a les moyens — a défini une stratégie, pour faire face à cette augmentation de cas à traiter ? J’ai bien peur que la santé ne finisse comme l’éducation qui est gratuite, mais avec une majorité d’élèves qui prend des leçons payantes. La santé va devenir un luxe réservé à ceux qui peuvent se payer des consultations de spécialistes, des séjours en clinique ici ou ailleurs pour compenser les traitements que le public ne peut pas lui offrir. Mais cette possibilité ne concerne qu’une minorité de Mauriciens. Nos moyens limités ne sont pas optimisés, comme l’utilisation de nos ressources. Au lieu de s’autocongratuler, le ministre devrait féliciter les Mauriciens pour avoir accepté ces situations scandaleuses sans réagir de façon brutale, comme c’est le cas actuellement au Sri Lanka.

Vous êtes en train de faire un tableau très sombre de l’hôpital public…
— Si vous croyez que je suis en train d’exagérer, je vous invite à écouter les émissions des radios privées qui traitent des doléances des auditeurs. Si vous voulez savoir quelles sont les carences et les négligences de l’hôpital, il suffit de les écouter. Ce sont de longues litanies de doléances quotidiennes. Il y a sans doute des exagérations, mais le nombre de cas rapportés dans les médias est conséquent. Le problème est que malgré les carences, les Mauriciens qui ne peuvent pas se payer des consultations et soins dans le privé sont obligés d’aller à l’hôpital pour se faire soigner. Les critiques sont moins sur les médecins et les infirmiers que sur les structures, l’organisation du travail dans les hôpitaux, les mauvaises décisions prises par la toute puissante administration. Vous savez combien d’heures les gens doivent passer à l’hôpital pour voir un médecin, avoir des médicaments, se faire admettre, s’il y a des lits disponibles ? Le personnel hospitalier travaille souvent dans les pires conditions et il fait de son mieux. C’est le personnel hospitalier qui, malgré les conditions déplorables, essaye de bien faire son travail, qui doit être félicité, pas le ministre !

Changeons de sujet. Que pensez-vous du niveau des débats parlementaires qui ont été marqués, dans le sens du ridicule la semaine dernière, par la déclaration du ministre Hurreeram affirmant qu’il faut casser des omelettes pour faire des œufs ?
— Ce lapsus ministériel s’inscrit dans la suite d’une longue liste de perles pondues au Parlement et en dehors. Pire que l’omelette est la référence aux divinités et aux personnages de Bollywood. Savez-vous que le ministre en question a été comparé à un personnage du cinéma indien, un bâtisseur. Un autre ministre est allé plus loin en comparant Pravind Jugnauth à Shivaji. Ce serait méchant de dire que les auteurs de ces remarques sont des ignares, mais le fait demeure que ce sont ces personnages qui prennent des décisions au nom des Mauriciens et engagent le pays. Le problème c’est qu’aujourd’hui, surtout au MSM, n’importe qui à Maurice peut devenir député et ministre sans avoir une formation adéquate, sans avoir fait ses armes au niveau des villages et des municipalités. Il lui suffit d’avoir le “bon profil” castéiste et les moyens financiers, et il a un ticket. C’est pour cette raison que nous entendons des perles destoutes sortes au Parlement et dans certaines manifestations où on ose comparer Phœnix à New York et Vacoas à Manhattan !

L’opposition a aussi dans ses rangs quelques faiseurs de perles…
— Je parlais de la classe politique en général, avec un accent sur le MSM. Mais je tiens à dire que quand j’étais député, il y avait au Parlement des élus qui avaient une culture générale certaine et qui n’auraient jamais confondu entre une omelette et des œufs. Nous n’étions pas parfaits, mais nos interventions étaient travaillées, fruit de recherches. Aujourd’hui, le niveau a beaucoup baissé, surtout au niveau du pouvoir, où les députés et les ministres sont entourés et adulés par des partisans et des conseillers qui ne leur disent que ce qu’ils veulent entendre. Avec en plus la couverture de la MBC, ils se prennent pour des génies et sont persuadés qu’ils ont le monopole du savoir. Dans ce système, tous les imbéciles finissent par se croire intelligents. Ils ne réalisent pas que leurs encenseurs sont des carapates prêtes à changer de chien à la première occasion, comme le disait l’autre.

Vous avez une vision pessimiste de notre société et du pays…
— Avec ce que nous voyons et subissons tous les jours, comment faire pour avoir une vision optimiste ? Je suis pessimiste comme beaucoup de Mauriciens. J’ai deux enfants à l’étranger et j’aurais aimé qu’ils rentrent au pays pour prendre ma retraite à leurs côtés. Vous pensez que c’est possible qu’ils seront reconnus pour leurs seuls mérites et obtiendront un travail sur leur compétence et pas sur leur appartenance politique ? Il faut le reconnaître: la méritocratie est en train de ficher le camp à Maurice.

À la demande du public, vous avez été obligé de faire deux fois une conférence sur la criminalité à Maurice. Qu’est-ce qui explique cet appétit des Mauriciens pour la criminalité et les faits divers sanglants ?
— Il existe à Maurice un besoin de plus en plus fort de ce voyeurisme criminel, un besoin d’explications de la criminalité et de détails, fussent-ils horribles. Les gens n’ont plus confiance dans les institutions, dont la police et ses enquêtes criminelles qui n’aboutissent pas. Je pense aux meurtres de Vanessa Lagesse, de Michaela Harte, du couple de Bassin-Blanc et tout récemment à celui de M. Kistnen. Dont un enquêteur de la police a dit qu’il était mort de peur, alors que le pays entier sait qu’il est mort brûlé dans un champ de cannes ! Ce sont ces enquêtes non abouties qui nourrissent le voyeurisme criminel dont je vous parlais et qui est un phénomène mondial. Les séries policières ont envahi les écrans de la télévision et rendu le crime attractif.

À Maurice, la criminalité est en augmentation avec la multiplication des affaires de plus en plus sordides. Est-ce que cette tendance va continuer, selon vous ?
— Je crois que l’on pourrait facilement réduire le nombre de crimes à Maurice en instituant un fast track pour les enquêtes et les procès. Disons qu’un crime est commis cette semaine, on arrête le présumé coupable et son procès a lieu dans quelques mois. Aujourd’hui, les procédures prennent un temps infini et le présumé coupable d’un crime passe des années en détention — ou en liberté conditionnelle — avant qu’il ne soit jugé. Je pense que si l’on introduisait un jury populaire dans les procès, les choses iraient plus vite.

La police a-t-elle les moyens d’organiser ce que vous appelez un fast track dans les enquêtes criminelles ?
— Quand un ou une touriste se fait agresser, l’affaire est prise très, très vite en cour, généralement avant le départ du ou de la touriste. Si le fast track existe pour les touristes, pourquoi n’est-il pas utilisé pour les Mauriciens ? Mais vous savez, nul n’est prophète en son pays.

Par contre, aux Seychelles, la cour et la presse ont fait vos louanges tout récemment dans le cadre d’un procès criminel…
— Je dois dire que ça n’a pas toujours été le cas. J’ai eu droit à un autre genre d’accueil dans le cadre de l’enquête sur la mort d’Harmon Chellem, survenue il y a quelques années. Dans le premier cas, je critiquais la police seychelloise, qui n’a pas apprécié. Dans le deuxième cas, il s’agissait de la mort d’une femme dont le mari avait été accusé et qui a été reconnu non-coupable. Tout cela a pris un an. Donc, on pourrait faire la même chose à Maurice. Si on veut, on peut. On a pu dans le cas du voleur de letchis chez un ancien commissaire de police, dont l’enquête, le procès et la condamnation n’ont pris que quelques jours !

Autre sujet. Est-ce que vous faites partie de ces membres de l’opposition qui ont été « horrifiés » que Week-End ait publié un sondage annonçant que si les élections générales avaient lieu maintenant, le MSM l’emporterait avec 29% des suffrages ?
— Je n’ai jamais cru dans les sondages faits à Maurice parce que le Mauricien ne dit pas ce qu’il pense dans cet exercice. Le Mauricien est paranoïaque, croit que son téléphone est surveillé et il est persuadé que malgré tous les systèmes de sécurité, le pouvoir va savoir ce qu’il a répondu aux questions du sondage. Il ment dans ses réponses et je peux le comprendre eu égard au système de pressions et de menaces dans lequel nous vivons. Je ne m’inquiète pas des résultats des sondages, mais de la multiplication des votes des Bangladais lors des prochaines élections en faveur du gouvernement. Et ce n’est pas un joke.

Lors des prochaines élections, les oppositions avec des leaders aux ego surdimensionnés seront-elles enfin unies ?
— Je suis sûr que d’ici là, les choses vont s’arranger et que les ego seront ramenés à leur juste mesure. Je comprends que les Mauriciens soient fatigués de ces petites guerres et n’aient pas envie d’aller voter. Je souhaite que pour les prochaines élections, il y ait une masse pour aller dans les bureaux de vote pour exprimer cette frustration et cette colère contre le gouvernement qui n’ont pas besoin d’un sondage pour s’exprimer. Il ne faut pas oublier que les votes des Mauriciens qui vont s’abstenir seront remplacés par ceux des Bangladais ! Et ce n’est toujours pas un joke !

Serez-vous candidat à ces prochaines élections ?
— J’ai l’envie et j’ai l’ambition d’avoir un ticket, mais est-ce que je l’aurai? Ça ne dépend pas de moi.

Terminons par une question d’actualité. Vendredi, le gouvernement a annoncé que le bail du Mauritius Turf Club sur le Champ de Mars était résilié et que l’organisation des courses est confiée à une toute nouvelle société. Votre réaction ?
— C’est la suite de l’accaparement scientifique et la main sur toutes les institutions de ce pays par le gouvernement MSM. On a créé une compagnie où l’on va caser les copains d’abord avec une série de nominations. On dit que l’organisation des courses par le MTC laissait à désirer et c’est sans doute vrai, mais quand on constate un défaut : dans un système, on répare le défaut, on ne ferme pas le système. Quand une pièce est pourrie dans une maison en bois, on fait les réparations nécessaires : on ne brûle pas toute la maison. On ne doit pas, comme le dit un fameux proverbe, jeter l’eau du bain du bébé et le bébé avec. Ce qui vient de se passer avec le Champ de Mars alourdit davantage l’héritage négatif que le MSM laissera aux Mauriciens !

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