Le cyclone Franklin

Qu’est-ce qui a tiré l’ICAC du profond sommeil dans lequel elle semblait s’être plongée ? En quelques jours, l’institution s’est non seulement réveillée brusquement, mais a apparemment commencé à faire ce pourquoi elle a été créée : lutter contre la fraude et la corruption en interpellant l’habitant de Rivière Noire surnommé Franklin. Il faut reconnaître qu’elle a suivi une autre institution chargée de la répression des fraudes et de la corruption : la Financial Intelligence Unit. C’est cette dernière qui a déclenché – tardivement – les opérations en obtenant le gel des nombreux avoirs de Franklin administrés par des prête-noms : villa en pierres taillées dominant la mer, yatch, bateaux, grosses cylindrées, flotte de voitures, restaurant. Selon l’affidavit juré par la FIU, cette institution a son radar – à ne pas confondre avec celui du Premier ministre – braqué sur Franklin depuis 2016.
Comment expliquer que ce n’est que sept ans plus tard qu’elle a agi ? Dans ce dossier, il n’y a pas que la FIU qui a pris du temps en laissant Franklin accumuler ses avoirs. Aucun des départements de la police chargés de réprimer les fraudes et les trafics en tout genres – l’ADSU, la Special Striking Team et le Central Criminal Investigation Department – ne semble s’être intéressé à l’habitant de Rivière Noire. Et pourtant, ce dernier a été condamné par contumace à sept ans de prison par un tribunal de La Réunion pour trafic de drogue entre les îles-sœurs en juillet 2021. Après le jugement, une demande d’extradition de Franklin aurait été faite aux autorités mauriciennes par La Réunion. Aucune suite n’ayant été donnée à cette demande, on doit supposer qu’elle s’est perdue entre St Denis et Port-Louis, ce qui a permis à Franklin de circuler en toute liberté à Maurice et ailleurs.
Mais savez-vous qui a cassé le sommeil des institutions mauriciennes dans cette affaire ? C’est Franklin lui-même qui a déclenché le cyclone qui porte son nom et suscite beaucoup d’interrogations. Il se trouve à Madagascar en janvier quand une vidéo commence à circuler sur les réseaux sociaux alléguant qu’il est proche du patron de la fameuse Special Striking Team de la police. Dès son retour à Maurice, Franklin réplique par une espèce de conférence de presse, destinée à des médias en ligne, et une déclaration sur les réseaux sociaux dans laquelle il jure de son innocence et fait des allégations contre Bruneau Laurette.
La presse fait son travail et révèle la condamnation de Franklin à La Réunion pour trafic de drogue. Non seulement l’habitant de Rivière Noire dément, mais il attaque. Il porte plainte pour diffamation contre L’Express, en déclarant qu’il n’est « aucunement impliqué dans un trafic de drogue ou une quelconque importation de drogues ou de zamal » et qu’à sa connaissance, il n’a « jamais été condamné à la prison à l’île de La Réunion. » Ce qui ne l’empêchera pas, deux semaines plus tard, de faire appel à la Cour suprême pour réclamer une injonction contre toute tentative de son extradition (vers La Réunion) par les autorités mauriciennes ! Quand ses avoirs seront gelés et qu’il sera interpellé et arrêté, il ne le sera pas pour trafic de drogue, mais pour soupçon de blanchiment d’argent. La presse fera remarquer que Franklin bénéficiera d’un traitement préférentiel de la police, puisqu’il ne sera pas menotté pout être conduit en prison.
Les incohérences et les interrogations se multipliant dans cette affaire, surtout quand au rôle du gouvernement, dont l’inaction semble protéger Franklin, le ministre de la Justice décide de tenir une conférence de presse. Visiblement pour réagir à une photo d’un prête-nom de Franklin en compagnie du PM, qui suscite de nombreux commentaires. Mais tout comme Franklin, le ministre de la Justice aurait mieux fait de se taire. Face à la presse, il est incapable de répondre aux questions très précises, utilise plusieurs fois le terme confidentialité, avant de quitter la conférence de presse pour se réfugier dans son bureau.
Face à l’échec du ministre de la Justice, le PM fait ce que Franklin avait fait avant lui : menacer la presse. Son avoué fait publier un communiqué menaçant de traîner en justice tous ceux qui tenteraient de faire des rapprochements malveillants entre sa personne et une affaire de blanchiment d’argent faisant l’actualité. Il n’est pas sûr que, comme dans le cas de Franklin, cette menace ait fait trembler et, surtout, ait muselé…
Prions pour que le cyclone Franklin n ’incite pas les institutions internationales à replacer Maurice sur la liste des pays dont les systèmes de lutte contre la fraude, la corruption, le blanchiment et le trafic de drogues ne fonctionnent pas.

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