Réouverture des écoles: la crise de nerfs pas près de finir…

L’enseignement à distance connaît des limites qu’il sera difficile de combler avant les examens d’avril

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Géraldine Lamusse, enseignante : « Rendez-moi le sourire et la voix de mes adolescents »

Les enseignants réclament la réouverture des écoles au plus vite. Mais pour rouvrir la porte des écoles aux enfants et adolescents, les conditions sanitaires doivent être réunies. Or, avec le report de l’entrée en vigueur de l’obligation d’être fully vaccinated (trois doses) au 19 février, l’élargissement de la vaccination aux enfants de 5 à 11 ans, l’absence de données sur la propagation du variant Omicron (hautement contagieux) dans la communauté, des chiffres officiels de cas positifs au Covid-19 qui ne reflètent pas la réalité et la décision d’étendre les restrictions sanitaires jusqu’à la fin de mars indiquant clairement que les risques de contamination sont élevés, la réouverture des écoles avant mi-février semble aléatoire.

D’ailleurs, si au 19 février les enseignants du secondaire qui ne sont pas fully vaccinated ne pourront pas avoir accès à leur lieu de travail, les classes en présentiel pour les élèves de Grades 9, 9 + , 11 et 13 auront quand même déjà repris ! Entre-temps, les cours en ligne ont beau être la meilleure alternative pour compenser l’absence à l’école, disent des enseignants, la distance impose des limites qui font du tort tant à l’apprentissage qu’à l’enseignement. Parallèlement, les examens nationaux étant maintenus pour avril, les élèves, expliquent des enseignants, ne seront pas prêts. Impossible de poursuivre et boucler le syllabus dans la mesure où tous les élèves n’abordent pas les cours à distance dans les mêmes conditions. La situation reste un casse-tête, d’autant que le ministère de l’Éducation est pour le moment silencieux. La crise de nerfs pour les parents et les enseignants n’est ainsi pas près de finir.

“Nous ne sommes plus dans la même conjoncture qu’en novembre dernier. Lorsqu’on aura passé le pic de contamination, annoncé pour ce mois-ci, il faudra rouvrir les écoles au plus tôt à la fin du mois ou au début de février”, dit d’emblée Vimal (nom modifié), enseignant de Grade 6 dans une école dite star. À la fermeture des écoles en novembre dernier, la communauté scolaire avait enregistré 2 407 étudiants et 900 enseignants contaminés au Covid-19.

15 heures, vendredi dernier. Vimal vient de finir les cours qu’il dispense via l’application Zoom. La quasi totalité de ses 39 élèves avait, comme d’habitude, répondu présents. Ces derniers, appliqués et rodés pour la compétition, ont démarré le troisième trimestre avec en tête les examens du Primary School Achievement Certificate. C’est aussi dans l’optique de ces examens nationaux, maintenus pour le mois d’avril, que Vimal de même que plusieurs de ses collègues enseignants réclament la réouverture des écoles. “Les exam-oriented works, comme je les définis, doivent se faire à l’école et demandent deux mois de travail au minimum”, dit-il.

Les enfants vont payer un lourd tribut

Si l’école en présentiel est vitale pour le développement social et l’épanouissement des enfants et adolescents, elle l’est aussi pour leur apprentissage académique, lequel a grandement souffert avec les interruptions brutales des cours en classe. D’ailleurs, dans le long terme, les enfants, affirme Kadress Pillay, ancien ministre de l’Éducation, vont payer un lourd tribut. En clair, il y a, d’un côté, le retard accusé dans le programme scolaire — tous les enfants ne seront pas au même niveau au moment du rattrapage en classe. Et, de l’autre côté, il y a ces nombreux enfants coupés des cours à distance pour de multiples raisons qui eux aussi auront dû mal à renouer avec le circuit éducatif et l’apprentissage.
“Pour ne pas perdre de temps et pour maintenir le niveau acquis par l’école, nous avons, comme pas mal d’établissements, commencé à travailler sur le syllabus et entamé le deuxième volet des manuels pour chaque matière. Il y a beaucoup d’enseignants d’écoles gouvernementales qui ont pris les devants pour travailler sur le programme avec leurs élèves sans attendre l’aval du ministère de l’Éducation. Sinon, nous n’avancerons jamais. On ne peut pas compter sur les cours dispensés à la télévision. Les cours en ligne sont beaucoup plus interactifs. Dans mon école, lorsque nous avons appris qu’ailleurs des enseignants avaient opté pour maintenir le contact avec leurs élèves par Zoom et WhatsApp, nous n’avons pas voulu rester à la traîne. Il y va de notre réputation de high flyers”, concède Vimal.

Et c’est aussi dans cette optique, explique-t-il, que des écoles ont décidé de maintenir l’enseignement du programme des matières comme prévu initialement et non le syllabus deloaded en vue des examens du PSAC. À ce sujet, l’enseignant lance un appel au ministère de l’Éducation et au Mauritius Examinations Syndicate respectivement pour la publication des specimen papers des prochaines épreuves de PSAC prévues pour avril. “Les élèves, tout comme les enseignants et leurs parents, doivent savoir à quoi s’en tenir”, dit l’enseignant.

Vimal, enseignant : « Je perds le sommeil »

Il n’y a pas que les parents qui plébiscitent le retour des enfants à l’école, et ces derniers voudraient renouer avec leurs camarades de classe et leur environnement scolaire. Des enseignants aussi ont sérieusement commencé à avoir le blues de leur métier. Même s’il était content de revoir ses élèves à travers l’écran de son ordinateur après trois semaines de vacances, Vimal concède qu’il dort mal. “Je suis pessimiste… J’ai une conscience professionnelle, un travail à accomplir. Je suis conscient que j’ai un programme à couvrir et que je dois préparer mes petits soldats, les armer pour affronter le PSAC. Mais la conjoncture m’empêche de travailler. Les enfants, aussi brillants soient-ils, décrochent… Derrière mon écran, je ne peux pas deviner si mon élève a son manuel devant lui tant que je ne lui pose pas de question. Je n’arrête pas de penser à cette situation. Il m’arrive de perdre le sommeil. On ferme les écoles, mais les enfants peuvent aller au cinéma !”, confie l’enseignant, amer.“Je voudrais retrouver mes élèves en classe, les entendre, les voir en vrai… Mes collègues et l’école me manquent. Je me sens de plus en plus isolée à la maison” confie Indrannee Bassodeb, enseignante de français au Curepipe Collège.

De son côté, s’exprimant sur les réseaux sociaux, une autre enseignante, Géraldine Lamusse, qui exerce dans une école française, confie : “Depuis bientôt deux ans, recluse dans ma chambre, devant mon écran, je m’adapte non sans grande peine comme tous les enseignants du monde à l’enseignement en ligne, dépourvu de contact humain et si impersonnel. Mon vœux le plus cher pour 2022 : rendez-moi le sourire et la voix de mes adolescents ! Que je puisse interagir avec eux live and direct. Que je puisse circuler dans ma salle. Que je puisse converser avec mes collègues.”

« Des travaux pratiques ne peuvent se faire par écran interposé »

À l’approche des examens de Cambridge, la préparation des course works par les candidats, loin des enseignants, inquiète ces derniers. Regarder et donner des instructions sur des travaux en Arts à travers un écran n’est pas une situation idéale. Il en est de même pour les matières qui requièrent des sessions pratiques, rappelle Harrish Reedoye, président de la United Deputy Rectors and Rectors Union et enseignant au collège d’État de Camp de Masque. “La curiosité que nous développons chez les étudiants à travers des travaux pratiques et des démonstrations en laboratoire ne peut pas se faire par écran interposé. Si on attend une amélioration considérable de la situation sanitaire pour rouvrir les écoles, on attendra longtemps” dit-il.

À Flacq, le Dr Yogesh Sunmukhiya, recteur du collège Modern, s’interroge sur la tenue des examens nationaux en avril. « Si on ne maintient pas les examens, nous aurons une plus grande marge de manœuvre pour préparer les élèves afin qu’ils y prennent part dans de meilleures conditions. L’étudiant doit être prêt psychologiquement pour participer aux examens. À Maurice, il y a cette croyance qui veut que l’élève peut prendre part aux examens dès qu’il a complété le programme. Non ! Il ne sera prêt qu’à 50 à 60%. Il doit avoir l’opportunité de se préparer de manière plus complète et générale », insiste le pédagogue. « Et comme dans les présentes conditions, tous les étudiants n’ont pas le même rythme d’apprentissage, d’autant que cela devient pénible pour eux de regarder non-stop un écran. Comment les préparer correctement pour les examens alors qu’il faut leur accorder du temps pour dissiper les confusions, reprendre ce qui n’a pas été bien assimilé ? Cela fait partie du learning process en marge des examens », dit-il.

Pour Yogesh Sunmukhiya, la réponse aux inquiétudes des parents et enseignants est une rencontre, au plus tôt, entre les représentants de ces derniers et les autorités de l’Éducation. La rentrée en présentiel du 2 février prochain servira aussi de test pour le personnel des collèges. En effet, quoi qu’il arrive, le retour à l’école, dans les semaines à venir, devra être accompagné de mesures sanitaires strictes. Yogesh Sunmukhiya explique que, le 2 février, il faudra faire des rappels aux étudiants, par exemple, pour qu’ils « ne partagent pas leur bouteille d’eau, leur repas, qu’ils privilégient la nourriture préparée à la maison, ne se regroupent pas, portent le masque correctement… »

Kadress Pillay, ex-ministre de l’Éducation: “ Des mesures exceptionnelles pour ouvrir les écoles ”

Kadress Pillay, ancien ministre de l’Éducation, est d’avis que la réouverture des écoles au plus tôt est indispensable pour l’équilibre des enfants et des adolescents scolarisés. S’il était à la place de l’actuelle ministre de tutelle, Leela Devi Dookun Luchoomun, il aurait, dit-il, rouvert les classes en jours et horaires décalés. Et les classes, divisées en deux parties, selon le nombre d’élèves.
“Il n’est pas nécessaire que l’école dure une journée. Les cours peuvent être répartis de 8h à midi”, ajoute-t-il, avant d’ajouter : “La situation est difficile pour tout le monde et encore plus pour les enfants. Les petits sont ébranlés.” Kadress Pillay estime que “si le gouvernement a su adopter des mesures  exceptionnelles pour maintenir l’économie, il peut en faire de même pour l’éducation. Il faut des mesures exceptionnelles pour ouvrir les écoles.”

Parmi ces mesures pour relancer les classes en présentiel, l’ancien ministre de l’Éducation préconise le recrutement de surveillants pour soutenir les enseignants afin de s’assurer que les élèves appliquent et respectent les gestes barrières. Et dans le contexte actuel, il aurait, dit-il, privilégié les évaluations en ligne, au lieu d’examens au retour des enfants à l’école. “Et le retour à l’école ne doit pas être une course contre la montre pour finir le syllabus”, dit-il, “mais une reconnexion de l’enfant avec son univers pédagogique.”

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