Tribune – Censure du Cardinal Piat : Attention au piège ethnique !

Il n’a pas fallu longtemps pour que la grossière et consternante censure du message de Noël du cardinal Maurice E. Piat se retrouve sur un terrain ethnique miné. Certes, le traitement infligé au chef de l’Église catholique est honteux, mais il faudrait absolument éviter ce piège ethnique. Parmi les voix qui s’élèvent contre cette faute de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) figurent celles de prêtres de ladite Église dénonçant un ras-le-bol dans une vidéo en ligne, dans le cadre d’Affirmative Action. Un nouvel exemple du « rejet de la communauté créole », disent-ils. Affirmative Action, mouvement de droits civiques avec des citoyens mauriciens et des îles avoisinantes qui militent pour l’élimination de la discrimination, propose aussi une pétition revendiquant le droit à l’information et à la parole. Si cette demande est nécessaire et légitime, la précision finale « comme tous les citoyens de ce pays », laisse entrevoir qu’un groupe serait plus particulièrement visé par cette censure. C’est là que se trouve, selon moi, le glissement vers un piège ethnique. Les mots coupés de l’évêque de Port-Louis faisaient remonter la souffrance d’une République frappée par une pandémie. Ce n’étaient pas des mots identifiant uniquement les problèmes des créoles – qui demandent, par ailleurs, à être traités sérieusement dans un autre cadre. Ce qui s’est passé le soir du 25 décembre est une décision politique et pas uniquement guidée par l’ethnie et la religion de celui qui prenait la parole. C’est le reflet clair de la situation de la liberté d’expression à Maurice.

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Si le cardinal Piat avait félicité le gouvernement pour son traitement du Covid-19, son message serait non seulement passé in toto mais aurait fait l’ouverture du journal télévisé ! En pointant une situation que nul ne peut, de bonne foi, contester, il a été jeté dans le panier des voix discordantes – et donc opposantes, peu importe son statut. En plaçant maintenant cette censure dans le champ ethnique, le risque est de se tromper de combat.
Nul doute qu’il y aura un bouc émissaire dans cette histoire. Une énième enquête est ouverte dans le pays, cette fois à la MBC, pour déterminer des responsabilités (comme-ci on ne pouvait les deviner). Et chacun sait que cette enquête n’empêchera pas de récidive. « De toutes façons, zot fer saki zot oule », ne cessent de constater des Mauriciens résignés. Les incompétents et lèche-bottes en poste sont toujours prêts à tout pour continuer à voguer dans le système solaire gouvernemental. Ils peuvent aussi compter sur leur crisis managers aux multiples visages pour le service après-vente. Et ce qui est dommage ici, c’est que beaucoup retiendront la censure du message de l’évêque de Port-Louis et non son appel fondamental à « marcher ensemble ». C’est pourtant cela le plus important, quel que soit l’ethnie, la religion, le parti politique.

Finalement, c’est un bien dangereux cocktail que les sponsorisés du Pouvoir ont servi. Un peu plus d’instabilité, de méfiance, de colère. Cela vient aussi donner une gifle aux manœuvres pour plaire à une section de l’électorat mauricien. Il faudra aujourd’hui plus d’un singing priest – transformé en rabatteur pour braconniers politiques – pour rétablir la confiance avec ceux qui se sentent directement visés.

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Monsieur le Premier ministre, des décisions fortes seront nécessaires pour atténuer l’affront fait au cardinal Piat. Et les cicatrices de notre histoire sont encore là. Ceux qui étaient présents le 27 avril 1986, au Monument Marie-Reine-de-la-Paix à Port-Louis, lors de l’ordination de Jacques-Henri David, se souviennent peut-être de cette phrase de Mgr Jean Margéot : « Premié fois enn l’évêque censuré », alors qu’il évoquait dans son homélie la situation du prêtre ouvrier Léonard Diard, proche des mouvements ouvriers mauriciens et dont le permis de séjour n’avait pas été renouvelé par le Prime Minister’s Office. Durant cette même cérémonie, le Père Henri Souchon invitait les 25,000 fidèles à « bat lame for pou ki lotel gouvernema tendé ». Aujourd’hui l’approche de la hiérarchie de l’Église catholique est différente, mais les colères et les frustrations sont bien vives. Monsieur le Premier ministre, il est grand temps de rappeler vos troupes à l’ordre. Puisqu’elles n’ont pas votre privilège et votre talent de ne jamais commettre de faute, s’il vous plaît, pour la paix sociale du pays, dir zot aret fané !

Jean-Luc Mootoosamy

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