Me Antoine Domingue : « Les Mauriciens ne voteront pas pour le PTr-MMM mais contre le MSM ! »

Notre invité de ce dimanche est Me Antoine Domingue, Senior Counsel et observateur politique. Dans l’interview qu’il nous a accordée vendredi, il revient sur les éléments ayant mené à la cassure de l’alliance PTr-MMM-PMSD et partage son analyse sur la situation politique du pays et ses perspectives électorales.

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Est-ce qu’en plus d’être Senior Counsel vous seriez également voyant, Me Domingue ? Je vous pose la question puisqu’en février de cette année, vous écriviez : on est parfaitement en droit de se demander si XLD sera toujours leader de l’opposition à la rentrée parlementaire ou s’il aura scellé un autre accord électoral avec le MSM ?
— Je ne suis pas un voyant, je n’ai fait que faire travailler mes méninges et faire une analyse à partir d’informations disponibles. On savait qu’il y avait eu des pourparlers entre le MSM et le PMSD, alors que les deux leaders de ces partis se trouvaient en même temps à Rodrigues, en 2023. À l’époque, le leader du PMSD était hésitant et disait que s’il faisait une alliance avec le MSM, après tout ce qu’il avait pu dire sur ce parti, les gens allaient lui cracher dessus. Il semblerait que, depuis, il ait changé d’opinion ou que l’on soit parvenu à le faire changer. En début d’année, avec les longs séjours de XLD à Londres, je me suis demandé si ces pourparlers avaient avancé dans un sens ou l’autre, ou s’ils se poursuivaient en Angleterre, ce qui aurait expliqué le fait que les négociations PTr-MMM-PMSD ne progressaient pas, ce qui alimentait certaines rumeurs. J’ai donc posé la question en ne m’attendant pas à ce que la cassure ait lieu aussi rapidement, dans l’après-midi de dimanche dernier.

Qu’est-ce qui a réellement provoqué cette cassure de l’alliance PTr-MMM-PMSD ?
— Mon analyse, selon les informations que l’on détenait avant avec celles qu’on commence à avoir maintenant, c’est que Xavier-Luc Duval a tout fait pour temporiser les négociations PTr-MMM-PMSD en quittant le pays à un moment crucial, pour des raisons familiales. Il ne s’est pas rendu compte que le PTr et le MMM avaient commencé à le surveiller, ce qui fait qu’ils se sont rendu compte que la sortie d’Adrien Duval sur une radio privée dénonçant le partage des tickets était cousue de fil blanc. La morale de l’histoire c’est qu’un politicien ne doit pas courir après deux lièvres en même temps et, plus important, insulter l’intelligence de son interlocuteur et de son électorat. Le leader du PTr a déclaré que mis en face des faits — ses pourparlers avec le MSM —, Xavier-Luc Duval ne les a pas démentis. Ce qui équivaut à une haute trahison et ne fait pas honneur à quelqu’un qui fait de la politique depuis quarante ans. Avec une carrière pareille, on ne va pas discuter avec un marchand de merveilles qui l’a visiblement piégé. Et je me demande si le MSM n’a pas fait fuiter l’information au PTr afin qu’il “installe” Xavier Duval et se débarrasse du PMSD pour après…

Pour après… Vous voulez dire pour une grande alliance MSM-PTr-MMM ?!
— Ce n’est pas impossible. Nous saurons si on va dans cette direction si la prochaine élection partielle est organisée et qu’on a le même scénario que pour la partielle de Quatre-Bornes. C’est-à-dire que le MSM ne met pas de candidat face à celui du PTr.

Vous êtes en train de dire qu’une alliance orange-rouge-mauve est envisageable, après tout ce que les leaders ont dû dire et faire contre les autres ? Après qu’ils se sont tous trahis ?!
— Mais bien sûr et ce ne sera pas une première ! Que ne ferait-on pas pour sauver le pays, pour le prétendre ! Si le leader du PMSD a pu aller négocier avec le MSM, tout en étant en alliance avec le PTr-MMM, tout est envisageable dans la politique mauricienne ! Je n’exclus pas l’hypothèse que le leader du PMSD a été piégé par le MSM et qu’on lui ait fait miroiter monts et merveilles, tout en le faisant savoir au PTr. À la fin, XLD s’est retrouvé à la fois comme le dindon de la farce et le diable dans le bénitier avec un parti désintégré. Un parti qui, déjà, ne représentait pas grand-chose sur l’échiquier politique. On ne peut pas dire que dans les régions urbaines son apport était insignifiant, mais il n’était certainement pas déterminant ou indispensable. Pour moi, le PMSD a toujours été le cash qui manque pour faire la roupie, mais avec ce qui vient de se passer, ce cash ne vaut plus rien.

Quelles sont les principales erreurs de Xavier-Luc Duval dans la « stratégie » qui a conduit à l’éclatement de son parti ?
— Il a commis bêtise sur bêtise. Il n’aurait jamais dû dire qu’il n’allait pas donner de tickets à Kushal Lobine et Richard Duval. Il est en train de mettre la cassure de l’alliance sur le dos de Bérenger en répétant un vieux slogan du MSM. D’autre part, il s’est laissé séduire par les sirènes et le marchand de merveilles du MSM qui lui ont dit que Bérenger est vieux, sur le départ, sur une pente descendante, alors que lui et le PMSD sont sur une pente ascendante et que le parti du coq valait le double de ce que valait le MMM, électoralement parlant. Voilà ce qu’on est allé mettre dans les têtes de Xavier-Luc et d’Adrien Duval et qui explique ce qu’ils ont fait.

Est-ce que l’alliance PTr-MMM sort amoindrie ou renforcée de cette cassure ?
— Difficile à dire. J’ai l’impression que la force d’appoint que représentait le PMSD se retrouve aujourd’hui avec Richard Duval, Kushal Lobine, Véronique Leu-Govind, puisque personne ne veut de ce qui reste du PMSD. À moins peut-être Bhadain, Bodha, Valayden ou Belcourt et encore. Il y aura une redistribution des huit tickets qui étaient « réservés » au PMSD : trois allant au trio Duval, Lobine, Leu-Govind, deux autres attribués, par le PTr, à Rezistans ek Alternativ, les trois autres partagés entre le PTr et le MMM.

Le MSM, avec l’ajout de ce qui reste du PMSD, est-il toujours, pour reprendre une de vos expressions, le soleil couchant du paysage politique mauricien ?
— Plus que jamais, et il s’en rend compte. La meilleure preuve c’est qu’après avoir renvoyé les élections municipales — avec raison — à cause du Covid et de la quarantaine, il l’a refait deux fois de suite. Ce qui fait que les conseillers du MSM, qui sont en majorité dans toutes les municipalités, ont vu leurs mandats passer de six à neuf ans ! Avec les salaires qui vont avec. Donc, le MSM étant sûr de perdre les élections municipales, continue de contrôler les municipalités de manière on ne peut plus antidémocratique. Si le MSM se sent aussi fort qu’il le dit avec l’augmentation de la pension de vieillesse, il n’a qu’à organiser des élections générales puis municipales ! Je ne vois pas comment le MSM a pu progresser depuis les dernières élections. Pour moi, on va vers un vote sanction, et je pense que l’électorat ne va pas aller voter pour le PTr-MMM, mais contre le MSM. Le MSM le sait, c’est pour cette raison qu’il a tout fait pour casser l’alliance des partis d’opposition parlementaire

La dernière péripétie politique, avec la cassure de l’alliance PTr-MMM-PMSD, ne va-t-elle augmenter le nombre d’électeurs dégoûtés de la politique qui disent ne pas vouloir aller voter aux prochaines élections ?
— Cette cassure va très peu affecter les bases électorales des partis. Mais je crois qu’il y aura une mobilisation anti-MSM et ses satellites, parce qu’on veut faire ce parti quitter le pouvoir. Dans l’histoire politique du pays, aucun parti n’a réussi à obtenir un troisième mandat gouvernemental de suite et, valeur du jour, je ne vois pas le MSM casser le record. Et je demande si, quelque part, le MSM ne souhaite pas être battu, mais avec suffisamment de sièges pour faire une bonne opposition aux prochaines électorales.

Je suis curieux de savoir pourquoi le MSM souhaiterait ne pas remporter les prochaines élections ?
— Parce que le gouvernement qui va remporter les élections aura fatalement à prendre des décisions très impopulaires, ce qui causera des crises, de l’agitation et donnera l’occasion à l’opposition de prendre le pouvoir. Si l’opposition est alors incarnée par le MSM, il reviendra au pouvoir.

Vous êtes en train de décrire une situation politique calquée sur celle des années 1982-83…
— À peu de choses près. Quel que soit le gouvernement qui sortira des urnes, il aura à prendre des décisions drastiques, à serrer la vis pour redresser la barre, ce qui le rendra impopulaire très rapidement. La meilleure option pour Pravind Jugnauth et son MSM, c’est de perdre les élections, avec suffisamment d’élus pour faire une opposition conséquente, d’attendre que le gouvernement devienne impopulaire pour revenir en force et, triomphalement, à l’hôtel du gouvernement. Je pense que le scénario sera le même si l’alliance PTr-MMM et autres perdent les élections et que le MSM et ses satellites forment le prochain gouvernement.

O L’avenir dira si votre analyse tient la route. En attendant, j’aimerais vous interroger sur d’autres sujets d’actualité, en commençant par le procès que le commissaire de police intente au Directeur de Poursuites publiques, ce qui est une première dans les annales mauriciennes. Est-ce que ce procès n’aurait pas dû être traité le plus rapidement possible ?
— Je trouve que les choses vont assez vite dans ce cas. Il y a eu un procès intenté par l’ancien DPP quand on avait voulu le placer sous le contrôle du bureau de l’Attorney General et qu’il estimait que son indépendance était compromise. Cette affaire, qui a été logée il y a plus de six ans, n’a même pas commencé. L’affaire du CP contre le DPP a eu tous les honneurs, est allé beaucoup plus vite pour des raisons que je vous laisse imaginer. Des Queen Counsels sont venus de Londres, des Senior Counsels de l’Imperial College, de Londres également, et les choses sont allées assez rapidement…

Ce qui semble donner raison à ceux qui disent si vous avez les moyens et les soutiens nécessaires, vous pouvez obtenir justice plus rapidement…
— Je ne suis pas là pour dire le contraire. Il faut faire ressortir que dans le cas du CP contre le DPP, on fait état de plusieurs autres affaires, dont celle de M. Dabydin dans laquelle il y a eu contestation, l’affaire est allée devant un juge en chambre qui a préféré ne pas se prononcer en disant que ce cas était devant la Cour suprême. Je ne vous dit pas comment l’affaire CP contre DPP pourrait être prise sur le fond tant que, entre autres, puisque je crois que M. Laurette a lui aussi saisi la cour, la demande de M. Dabydin n’aura pas été réglée. Tout ça va prendre du temps. Je n’ai jamais compris comment dans cette affaire CP v/s DPP on a pu prendre les objections préliminaires avant que les contestations qui y sont liées aient été réglées. Dans ce cas, on a fait les choses à l’envers.

Il existe dans le pays une forte contestation du réenregistrement des cartes SIM des téléphones portables. Quel est votre avis sur cette question ?
— La Cour doit se prononcer sur la proportionnalité du nouveau règlement de l’ICTA et s’il est anticonstitutionnel. En attendant, il faut se poser la question suivante : pourquoi demander un réenregistrement pour les téléphones portables et pas pour les téléphones fixes, pour ceux qui ont une borne wi-fi et sur lesquels on peut tout aussi organiser toutes sortes de trafics, si jamais cette mesure a été décidée suite au rapport Lam Shang Leen qui date de… 2016, il me semble ! Ce n’est pas compliqué de faire un règlement qui dirait que là où il y a un doute, on demande au provider d’ouvrir une enquête sur son client dans le cadre de la politique know your client, comme cela se pratique dans les banques. Des personnes informées disent que le réenregistrement est imposé parce que le gouvernement a fait l’acquisition d’un software sur les données des propriétaires de téléphones portables qui ne peut pas les compiler sans un réenregistrement. Ce serait pour cette raison que l’on oblige des centaines de milliers de Mauriciens à aller se faire réenregistrer sous peine d’être déconnectés ! Allons plus loin dans l’absence de logique. Je possède quatre portables : un pour mon épouse, un pour mon secrétaire et deux, dans deux compagnies différentes, pour moi, ce qui me coûte à peu près Rs 8 000 par mois. Est-ce raisonnable pour l’IBA d’aller demander à mes providers de déconnecter un service qui leur rapporte Rs 8 000 par mois — sans oublier la TVA — en cas de non-réenregistrement ? Est-ce que le gouvernement se rend compte des implications économiques du nouveau règlement de l’ICTA, dans un monde où la majeure partie des transactions se fait par téléphone ? Comme le dirait Gaëtan Duval : où est le bon sens dans tout cela ! ?

Le Speaker a décrété que l’on peut poser une question parlementaire sur un cas qui est actuellement devant une cour de justice. Votre commentaire ?
— Le Speaker a déjà décrété le contraire sur une question semblable qui concernait l’affaire Angus Road et qui est dans les standing orders. Le principe fondamental de la séparation des pouvoirs est le suivant : le Parlement ne peut pas s’immiscer dans les affaires du judiciaire et le judiciaire ne doit pas s’immiscer dans les affaires internes du Parlement.

Ce qui donne au Speaker une marge de manoeuvre, pour ne pas dire une immunité, totale…
— C’est pour cette raison qu’il fait ce qu’il fait. Il connaît bien ces règles, il en joue et il en abuse. Ces règlements ont été mis en place pour garantir l’état de droit et la démocratie, mais ce qui se passe aujourd’hui au Parlement, c’est une subversion de l’état de droit. C’est la première fois que ça se passe depuis l’indépendance. Ce Speaker qui, on l’oublie, n’est pas un élu, est en train de bafouer la démocratie pour un oui ou un non, il est en train de provoquer les élus de l’opposition. Comment est-ce possible que dans un match de football, l’arbitre va provoquer un joueur de l’équipe adverse à son camp et ensuite tire un carton rouge contre lui avant de l’expulser du terrain ?! Avec le temps que prend le procès qu’a intenté Arvin Boolell contre le Speaker, on dirait que la Cour suprême ne semble pas trop pressée de prendre cette affaire. Il faut que l’on commence à réfléchir pour s’assurer qu’à l’avenir, dans un prochain gouvernement, ce genre de pratique ne se renouvelle pas.

Quelle est votre analyse de la situation économique du pays avec l’augmentation des prix et la dépréciation de la roupie ?
— Nous sommes tous coupables de la situation actuelle, parce que nous ne travaillons pas assez. Les pensions et autres allocations incitent les Mauriciens à travailler le moins possible et ne veulent pas faire plus qu’il n’en faut. On ne trouve plus de bonne, de jardinier, de chauffeur, d’ouvrier qualifié, à tel point qu’on est obligés de faire appel à de la main-d’œuvre expatriée qui, elle aussi, commence à être contaminée et ne travaille plus le week-end ou les jours fériés. Par ailleurs, on ne produit pas assez en termes de produits agricoles, de la mer et nous n’avons pas su acquérir notre indépendance dans ces domaines clés. Les coûts et les salaires augmentent, tandis que la roupie se déprécie, le dollar est introuvable et les transferts d’argent prennent un temps infini. Il faut impérativement qu’on produise plus et que l’on consomme moins, sinon on va devoir retourner au contrôle des changes que feu Veerasamy Ringadoo avait dû instaurer dans le temps pour réguler les importations. L’avenir est sombre tant qu’on n’aura pas compris qu’il nous faut travailler plus et se retrousser les manches. Cette dégradation ne date d’hier, elle s’est installée et s’est développée au cours des dix, quinze dernières années. Il faut que la mentalité change, que les Mauriciens se retroussent les manches et travaillent dur. Je vais répéter ce que je vous ai déjà dit l’année dernière : je suis choqué de voir la dégradation du pays et personne n’élève la voix, personne ne dit ce qu’il y a à dire, chacun étant occupé à faire semblant de ne rien voir. Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, pas de pire sourd que celui qui ne veut rien entendre et de pire muet que celui qui refuse de parler. Je le dis depuis plusieurs années : le pays est en train d’amorcer une descente aux enfers. Quand on est au fond d’un trou, il faut arrêter de creuser. Personne ne veut arriver plus tôt au travail, mais tous veulent partir avant l’heure de fermeture ! C’est pour cette raison que je vous disais que le prochain gouvernement aura à faire face à cette situation, qu’il aura à prendre des mesures qui le rendront rapidement impopulaire, les ministres et les députés auront à faire appel à des gardes du corps et ceux qui seront dans l’opposition prendront le pouvoir en faisant miroiter aux Mauriciens un miroir aux alouettes.

Sans commentaires ! Revenons à la politique et aux élections pour terminer. En fin de semaine, une rumeur circulait selon laquelle le Parlement serait dissous mardi prochain et des élections surprises organisées par le MSM pour profiter du désordre qui règne au sein des partis de l’opposition. Est-ce crédible ?
— Si cette rumeur se confirme, le MSM aura donc pris le parti d’éviter une élection partielle au Numéro 10, ce qui conduit inévitablement à la tenue d’élections générales avant le 2 décembre 2024. Il est à souligner que s’il prend cette décision, il n’aura pas besoin de présenter un budget avant, dans la mesure où la promesse d’augmenter la pension de vieillesse à Rs 13 500 a été déjà tenue. Sans compter les autres allocations déjà distribuées. Ce qu’il croit être un avantage déterminant. Puisque nous en sommes aux rumeurs, il faut savoir que, depuis quelques jours, des sources rouges annoncent que Navin Ramgoolam sera arrêté une nouvelle fois après 1er mai dans l’affaire des coffres-forts, selon les nouvelles dispositions de la FCC Act. Le tout dans le cadre de la stratégie électorale du MSM qui consiste à taper sur le leader du PTr, l’adversaire direct de Pravind Jugnauth. Attendons voir.

Vous avez été le junior de sir Gaëtan Duval dans son cabinet. Il était connu pour sa verve, ses bons mots et ses formules lapidaires. À votre avis, que dirait-il de la situation dans laquelle se retrouve ce qui reste aujourd’hui du PMSD pour les raisons que nous avons longuement évoquées ?
— Je crois qu’il aurait dit qu’il ne faut pas pisser contre le vent !

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