Thierry Montocchio : « Quand les gens viennent passer des vacances à Maurice, il faut qu’ils aient des moments inoubliables »

Le nouveau président de l’AHRIM, Thierry Montocchio, cinquantenaire marié et fier père d’une fille, figure éminente mais discrète dans le monde des affaires mauriciennes a consacré sa première interview à Week-End. Son parcours professionnel débute en tant que comptable agréé, dans le domaine du conseil financier chez DCDM/BDO. C’est son attrait pour le secteur dynamique et captivant du tourisme qui le conduit à embrasser une nouvelle aventure en 2012. À cette époque, il rejoint VLH en tant que directeur financier, contribuant ainsi à façonner la trajectoire financière de l’entreprise. Mais l’année charnière de 2019 allait marquer un tournant inattendu dans la carrière de Thierry Montocchio. Lorsque le poste de PDG chez VLH devint vacant, il est appelé à prendre les rênes de l’entreprise, passant ainsi d’un rôle axé sur les chiffres à un domaine plus centré sur l’aspect gestion et humain. Aujourd’hui, devenu Président des hôteliers et des restaurateurs mauriciens,Thierry Montocchio se confie sur ses premiers pas, ses expériences, les leçons apprises au cours de ce premier trimestre à la tête de cette organisation qui participe à la vie du tourisme de notre pays. Son regard, son expérience et sa vision méritent d’être lus et entendus…
l Thierry Montocchio, vous avez été plutôt discret depuis votre nomination à la tête de l’AHRIM (Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice). Maintenant que vous avez pris vos marques, dites-nous quelles sont vos ambitions à court et à long termes pour votre association ?
Maurice a connu des années prospères, développant une solide réputation. Cependant, avec l’arrivée du Covid, nous avons été confrontés à des défis, et cela nous a incités à nous remettre en question. Quelque part, la nature nous impose aussi de repenser notre approche. Going forward, nous travaillons sur la résilience de l’industrie, à promouvoir la durabilité, à offrir un tourisme de qualité. Nous sommes tous conscients du changement de paradigme après le Covid, et nous devons avancer en tenant compte de ces nouveaux défis. Nous souhaitons renforcer la position de Maurice en tant que destination touristique de premier plan.
l Pouvez-vous partager davantage sur les réussites de l’industrie hôtelière en 2023, comme mentionné par le président sortant Désiré Elliah ?
L’année 2023 a été remarquable pour l’industrie hôtelière mauricienne. Près de Rs 86 milliards de recettes touristiques en 2023, c’est un record. Nous attendons les chiffres d’arrivées touristiques pour décembre, mais  déjà nous savons que les chiffres sont très bon, comparables à celui d’avant la pandémie, dépassant les niveaux pré-Covid. En 2022, la reprise était déjà forte, on a continué à surfer sur cette vague de revenge travel. Et 2023 a été une année exceptionnelle. Le nombre de nuitées en hausse par rapport à 2019, malgré un nombre de touristes qui serait légèrement inférieur à 1,3 million, illustre bien la remontée spectaculaire de notre tourisme. Pour l’année financière en cours, nous visons 1,4 million d’arrivées, avec des taux d’occupation solides. Pour nous, hôteliers, cette performance confirme la force de notre destination et ses qualités intrinsèques qui continueront à nous démarquer de la concurrence. Cette reprise est importante économiquement, car le secteur s’est beaucoup endetté pendant le Covid. Avoir une bonne année qui permet de refaire face, d’assainir l’endettement est une bonne chose. Cela ne se fera pas en un an, mais on est bien partis.
l Comment l’AHRIM analyse-t-elle actuellement ses forces et faiblesses dans le contexte du tourisme évoluant et exigeant ?
Maurice a maintenu sa position malgré les défis internationaux, profitant d’une connectivité croissante et d’un parc hôtelier de qualité. Finalement, le scénario qu’on a eu est celui des  plus optimistes que les experts prévoyaient et on s’en réjouit. Il y a des projets de rénovation, certains établissements ont revu la qualité des infrastructures et l’on note que malgré qu’il y ait du challenge au niveau de l’emploi, on reste une destination où notre ADN, notre gentillesse, le sens de l’accueil, le bon service est toujours très apprécié. Mais au-delà, nous devons améliorer la mise en valeur de notre offre. Je crois qu’une des forces de Maurice c’est sa diversité, son patrimoine culturel. Et à ce niveau, à mon sens, on ne fait pas assez pour cela. Nous avons là des pistes de réflexion sur lesquelles travailler et qui nécessitent une collaboration entre les secteurs public et privé.
l Certes, le tourisme a évolué, mais le pays fait aussi face à des problèmes environnementaux…
Effectivement, il y a aussi le constat du gros problème que nous avons : l’érosion. Qui n’est pas le problème des hôtels uniquement. C’est un problème national. Nous ne sommes certes pas le seul pays affecté. C’est planétaire. Mais aujourd’hui, c’est l’opportunité de s’y attarder et d’apporter des solutions. Pour notre environnement immédiat, pour notre communauté, et pour le tourisme, pour l’économie. C’est pourquoi je pense qu’aujourd’hui, c’est une occasion pour le secteur public-privé de voir et revoir ce qui a marché, ce qui n’a pas marché dans ce qui a été fait, de considérer les nouvelles technologies que nous pouvons utiliser pour lutter contre ce problème. Mais il y a aussi un effort citoyen à être fait. Et cela doit passer par une réflexion nationale.
l Mais en même temps, on annonce des projets de construction de 2 600 nouvelles chambres d’hôtel pour cette année. Comment cette expansion du parc hôtelier contribuera-t-elle à renforcer l’attrait touristique de Maurice ? N’y-at-il pas du trop de béton sur le littoral ?
Aujourd’hui nous avons plus de 13 000 chambres hôtelières et avec les nouveaux projets, cela dépassera 14 000. Je n’ai pas le breakdown exact, mais je sais qu’il y a au Morne l’hôtel RIU qui revient avec 700 chambres. C’est l’un des plus gros projets. Mais dans les nouvelles chambres qui seront mises sur le marchés, sans doute certaines ont été fermées pour rénovations et vont rouvrir. Il faut voir. Je suis cependant d’accord que sur le littoral il y a la place qu’il y a. Ou plutôt la place qu’il n’y a pas. La solution n’est pas un tourisme de masse. Notre objectif est d’avoir un tourisme de qualité, et quand on parle de tourisme de qualité, c’est dans la durabilité. Et davantage de construction ne servira pas forcément si on manque de qualité de service et de main-d’oeuvre. On ne peut pas continuer à développer si on ne peut pas offrir le service qui va avec. On ne peut pas parler de chambres d’hôtels quand il nous manque de la ressource humaine. Cela ne sert à rien de parler de chiffres d’arrivées si on ne peut deliver. Nous avons besoin de main-d’oeuvre.
l C’est un problème maintes fois soulevé par les hôteliers qui souhaitent le recours aux travailleurs étrangers pour pallier le manque. Votre avis…
Cette demande a été acceptée par le gouvernement, mais à ce que je sache, aujourd’hui, nous n’avons pas encore fait des recrutements en ce sens. Notre requête a été acceptée de façon encadrée, avec un ratio maximum. Sur quatre employés, il ne peut pas y avoir plus d’un employé qui serait un étranger. L’idée de cette démarche n’est pas de remplacer les Mauriciens. Nous y avons recours parce qu’il y a un manque. Je comprends qu’il y a l’attractivité d’autres secteurs qui intéressent davantage les Mauriciens : les carrières à l’étranger, les bateaux de croisière… mais le résultat est que nos équipes sont fatiguées. Et c’est la solution que nous voyons. Je pense cependant que nous avons aussi un effort à faire en termes de communication, d’explications par rapport à notre profession pour encourager les jeunes, car le secteur a perdu de son attractivité aux yeux des travailleurs mauriciens. Ce qui est dommage, parce que l’hôtellerie, c’est une panoplie d’activités différentes. Cela reste, à mon avis, un des rares secteurs où c’est tout à fait possible de commencer au bas de l’échelle, sans grand diplôme, et arriver à être directeur d’hôtel de par son expérience et de la formation pendant sa carrière. C’est sur tout cela que nous devons communiquer et rendre le métier, le secteur, plus attractif.
l Quelles initiatives spécifiques proposez-vous pour améliorer la formation et l’éducation des professionnels de l’industrie ?
Noitre devoir est de mieux communiquer, expliquer l’industrie, la profession… Au sein des écoles de formation, je sais que ces trois dernières années, certaines ont eu moins de recrues que d’habitude. C’est là où la communication est importante. Nous devons redynamiser l’attractivité de ce secteur et cela doit se faire en partenariat avec les institutions pour que Maurice continue de rester une référence au niveau du tourisme. Et dans le cadre de l’École hôtelière, il y a la nécessité d’avoir un comité qui se penche sur les programmes pour remettre un peu les choses à jour.
l À qui le rôle de rebooster ces formations, ce secteur de formation ? L’AHRIM ou le gouvernement ?
Nous, nous sommes des hôteliers. Nous ne sommes pas des formateurs, même si, évidemment, nous avons des jeunes qui viennent en formation, en stage dans nos établissements. Certains groupes d’ailleurs ont des institutions pour la formation et le perfectionnement de leurs équipes. Mais nous n’avons pas la vocation d’être une école. Le privé a pris des initiatives. Il y a par exemple Vatel qui a une réputation internationale. Mais l’École hôtelière, c’est au niveau du secteur public. Les changements doivent venir de là. Et nous pouvons apporter notre contribution.
Comment évaluez-vous le rôle du gouvernement dans le soutien à l’industrie hôtelière, en particulier face aux défis actuels ?
Le gouvernement a joué un rôle crucial pendant la crise Covid-19, en fournissant un soutien financier à travers le MIC. Le tourisme, c’est naturellement un enjeu national. Maintenant, on peut toujours dire qu’on peut faire mieux. Il y a des choses sur lesquelles on doit continuer à travailler.
l Quelles mesures spécifiques espérez-vous voir prises par le gouvernement pour soutenir la croissance continue du secteur ?
Par rapport à la connectivité, ce qui est bien, c’est que la stratégie de diversification a été bien amorcée. Il faut continuer à aller en ce sens. On a vu en 2023, le marché français a augmenté par exemple par rapport à 2019. L’Angleterre aussi un petit peu. L’Afrique du Sud a un peu baissé, mais c’est sans doute dû au contexte économique. L’Inde est un peu une déception, car en baisse et il faudra oeuvrer. Mais déjà, il y a eu de bonnes nouvelles, comme aller à Genève, etc. Je pense que, désormais, le prochain marché sur lequel il faut s’attarder c’est la Chine. Il faudrait refaire un effort sur cette destination. C’est un effort qui doit être dans la durée. C’est un gros marché. Cela ne peut pas prendre une ou deux semaines.
Aussi, quand on parle de mesures, c’est également sur l’accompagnement du tourisme qui est nécessaire. Le tourisme ne se résume pas aux hôtels. C’est toute la destination. C’est l’intérieur de la ville. C’est la conservation des sites, du Jardin botanique, par exemple. Cela concerne la signalisation sur nos routes aussi. Les infrastructures. C’est très important pour les touristes de pouvoir se repérer. Les routes elles-mêmes doivent être agréables à circuler. Maurice a tellement à offrir, mais la qualité doit être au rendez-vous partout. C’est sur tout ça que nous devons travailler.… Il est essentiel de mettre en valeur nos patrimoines culturels. Il faut songer à des combinaisons, par exemple, faire des routes touristiques, comme dans la région du Morne avec le village de Chamarel… Il y a plein d’aspects qui méritent d’être repensés. Ce serait short-sighted de se dire qu’il suffit d’avoir de beaux hôtels et de beaux lagons pour attirer les touristes.
On a parlé du problème de l’érosion. C’est crucial de continuer à se protéger et de trouver des solutions. Et les solutions ne doivent pas concernées les 50 mètres devant un hôtel. Le problème doit être vu dans l’ensemble, par zones, avec des vrais experts… Ces choses-là sont importantes pour la destination. Et naturellement, il faut continuer à s’assurer que nous gardions notre réputation de destination safe.
l Vous avez beaucoup d’espoir par rapport à la réintroduction d’une liaison directe entre Maurice et la Chine. Comment cette reconnexion peut-elle influencer positivement les arrivées et quelles opportunités cela pourrait-il créer pour l’industrie ?
Repartir en Chine fait partie d’une stratégie de diversification. On a eu une très bonne année en 2023, et c’était sans beaucoup de touristes chinois. Je crois que dans l’idée de diversifier, il y a deux choses : augmenter le nombre d’arrivées. Mais pas seulement. Pour moi, c’est aussi diminuer les risques de dépendance sur un marché ou un autre. La réintroduction d’une liaison directe avec la Chine peut certainement contribuer aux chiffres d’arrivées, mais la stratégie doit être à long terme et inclure une communication efficace sur la destination. La Chine est un marché potentiel énorme, mais cela nécessite un effort constant et une offre adaptée aux besoins des touristes chinois. Il y a la langue aussi. Il faut qu’il y ait une offre qui contribue à la découverte de chaque visiteur. Aussi, il faut donner le temps au temps et accepter que les premiers vols ne seront pas pleins, mais qu’avec la bonne communication, ce marché décollera.
Revenons à ce que vous avez dit plus haut : pour aller vers ce tourisme de qualité souhaité, il faut d’une part la connectivité, mais aussi voir en dehors des hôtels…
Évidemment, il faut voir les offres de la destination, les événements, les infrastructures… En décembre dernier, il y a eu la tenue de l’Afrasiabank Mauritius Open Golf, qui est le plus grand événement sportif qu’il y a eu à Mauritius et qui a été diffusé plus de 500 millions de fois à l’international. Ce sont ce genre d’initiatives qu’il nous faut, comme le festival de la mer… Des événements de qualité et qu’à l’intérieur de l’île aussi on prenne soin de notre patrimoine culturel, religieux, environnemental… Tout cela contribue à la promotion de la destination.
l Quel rôle l’AHRIM compte-t-elle jouer pour que ces ambitions se matérialisent ?
Au-delà de gérer les hôtels, nous avons des dialogues avec les autorités. Et nous devons continuer à encourager les initiatives public-privé. Nous pouvons trouver des solutions conjointes avec le gouvernement. Il ne s’agit pas de privatiser certains sites, mais avoir un partenariat par rapport à comment certains lieux sont opérés, afin de garantir une qualité de produit. Au-delà des hôtels, l’AHRIM est volontaire pour contribuer à faire des choses pour améliorer le produit touristique. Mais tout cela commence par un dialogue et par un agenda.
Vous avez souligné l’importance de l’engagement envers la durabilité. Quelles actions concrètes proposez-vous pour transformer l’île en une destination plus durable ?
La durabilité  doit inclure des actions environnementales, communautaires et économiques. Il y a plusieurs choses qui ont été enclenchées et on doit continuer en ce sens. Mais il faut aussi une prise de conscience de chaque individu. Tout le monde doit prendre ses responsabilités et se dire que nous avons un rôle à jouer. Déjà au niveau du secteur hôtelier, nous faisons beaucoup dans la quête à moins polluer et pour réduire le bilan carbone. Les hôteliers, par exemple, ont adopté beaucoup de méthodes de baisse de consommation d’énergie, de réduction de tout ce qui est polluant, etc. Mais l’effort doit venir de tous. Il y a l’aspect environnant immédiat, mais surtout l’aspect environnant national. Il faut continuer à bien communiquer, éduquer et expliquer pour que tout le monde prenne conscience des enjeux. Par exemple, l’Environment Tax est quelque chose qu’il faut revoir complètement, car l’environnement ne doit pas concerner l’hôtellerie uniquement. Nous devons repenser à ce qu’on peut tous faire avec ce budget.
On doit aussi réfléchir au self-sufficiency et encourager le recours au local. Nous devons mettre en avant les traditions culinaires locales et devenir plus créatifs. Mais en même temps, nous assurer d’avoir les certifications pour que les normes, que ce soit pour les légumes ou pour d’autres types de business communautaires, soient respectées. Chacun dans son propre village. Il faut un objectif régional, national et international.
l Quelle est la position de l’AHRIM sur la hausse de près de 72% du Passenger Fee et son impact potentiel sur les arrivées touristiques ?
Je comprends que la mise en application de cette taxe a été reportée de quelques semaines. Il manquait un préavis, et les autorités ont rapidement rectifié. C’est tant mieux. Cette taxe n’avait pas été augmentée depuis 2011, ce qui explique sa magnitude. Même s’il est peu probable qu’elle décourage les voyageurs souhaitant venir à Maurice, il reste que c’est une hausse importante qui pèse sur notre compétitivité à un moment où nous devons consolider notre position.
l Quelles leçons avez-vous tirées des problèmes rencontrés par les passagers à l’aéroport, et quelles mesures sont envisagées pour améliorer votre coordination avec l’aéroport dans des temps difficiles à l’avenir ?
À mon avis, n’importe quelle compagnie d’aviation peut rencontrer ce genre de problèmes. Il faut qu’on soit réalistes : personne ne va faire décoller un avion pendant un cyclone ou quand un avion a un problème technique. La sécurité prime avant tout.  Il y a eu un ou deux jours où c’était compliqué, mais la situation s’est résorbée.  Ce genre de situation arrive aux plus grandes compagnies. Et je crois aussi qu’il y a eu par la suite une bonne compagne de communication d’Air Mauritius.
l Le mot de la fin ?
Nous avons connu une excellente année en 2023, et il y a des raisons d’espérer que 2024 sera également positive malgré les défis. La vigilance et la résolution des nouveaux défis sont nécessaires pour maintenir notre position en tant que destination de qualité.

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