Zafer zako napa zafer bigorno…

De combien de pouvoirs doit disposer le Premier ministre d’une république démocratique ?
Question que soulève l’actualité mauricienne, avec une semaine assez rocambolesque, où le Premier ministre décide un dimanche soir de révoquer son ministre de l’Agro-industrie, qui l’apprend par WhatsApp à sa descente d’avion le lendemain matin, révocation qui n’est suivie d’aucune explication. Le Premier ministre campant sur l’affirmation qu’il s’agit là de sa prérogative, pour ne pas dire son privilège, et affirmant qu’il n’a aucune explication à fournir à qui que ce soit à ce sujet.

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Son ministre ? Non. Notre ministre. Un ministre de la République, rémunéré des deniers publics, pour s’acquitter de tâches qui concernent l’intérêt public. Comment donc admettre qu’on veuille en quelque sorte nous signifier que zafer zako napa zafer bigorno ?
Si former et diriger un gouvernement relève de la discrétion d’un Premier ministre, cela peut-il être synonyme de secret ? N’y a-t-il pas, quelque part, un devoir évident de rendre des comptes ? Peut-on administrer un pays comme on régenterait sa famille ?

Le même type de question se pose par exemple autour du fait que notre gouvernement ait, en 2015, signé un accord secret avec un autre pays, en l’occurrence l’Inde, autour de l’île d’Agaléga. Jusqu’aujourd’hui, nous ne savons rien des termes précis de cet accord. Pas plus tard qu’en octobre 2023, face à des questions parlementaires suite à des informations persistantes à l’effet que le gouvernement de Modi serait en train d’y créer une base militaire, le Premier ministre mauricien a refusé d’en dire plus. Se cantonnant à l’information que l’Inde y procédait, pour nos beaux yeux, à l’aménagement « d’infrastructures », en l’occurrence une jetée et une piste d’atterrissage presque équivalente à celle de Plaisance (pour une île qui n’abrite quand même que quelque 300 habitants…), en finançant le tout à hauteur de Rs 8,8 milliards. A l’insistance du Leader de l’Opposition, le Premier ministre a opposé que l’accord entre Maurice et l’Inde comporte une clause de confidentialité, et que l’Inde s’attache à ce que celle-ci reste secrète. « Le ministre des Affaires étrangères indien Jaishankar m’a dit personnellement que l’Inde n’est pas en mesure d’accepter que l’accord soit rendu public », a déclaré Pravind Jugnauth. Un homme, fut-il Premier ministre, peut-il disposer à sa guise du territoire qui appartient à toute une population ? A-t-il le droit de déléguer la souveraineté de son pays à un autre Etat ?

A travers tout cela, la grande question reste celle des recours possibles ou pas, alors que de plus en plus, à Maurice et à travers le monde, c’est le règne de l’opacité et du pouvoir omnipotent qui semble vouloir s’imposer. Amenant dans le monde un recul de la démocratie.

C’est notamment ce que dit l’étude sur l’état des démocraties dans le monde, publiée ce jeudi 15 février 2024 par The Economist Intelligence Unit (EIU). Chaque année, ce groupe de recherche calcule un indice permettant de classer les pays selon leur type de régime. Et pour l’année 2023, il souligne le fait que les normes démocratiques sont en danger sur tous les continents, relevant, plus que de la stagnation, « une tendance générale de régression au cours des dernières années ».

En 2023, la moyenne mondiale de son indice est tombée à 5,23 sur 10, contre 5,29 l’année précédente. Soit son niveau le plus bas depuis la publication de la première étude en 2006.
Sur quels critères cet indice est-il calculé ? L’EIU en a fixé cinq : processus électoraux et pluralisme, fonctionnement du gouvernement, participation politique, culture politique, libertés civiles.

A partir des résultats obtenus sur ces cinq critères, les 167 pays étudiés sont classés en quatre régimes. Il y a la « démocratie complète », pour « les pays dans lesquels non seulement les libertés politiques et civiles fondamentales sont respectées, mais qui tendent également à être soutenues par une culture politique propice à l’épanouissement des citoyens ». La « démocratie défaillante » concerne les pays où il y a des élections libres et équitables et où les libertés civiles fondamentales sont respectées mais où certains problèmes sont relevés comme « des atteintes à la liberté des médias ». Les deux autres catégories sont « régime hybride » pour les pays qui combinent des éléments de démocratie formelle et d’autoritarisme, et « régime autoritaire ».

Ainsi, en 2023, seule 7,8 % de la population mondiale réside dans une « démocratie complète », contre 8,9 % en 2015 (soit un total de 24 pays). Ce qui amène l’EUI à affirmer que seule une poignée de la population mondiale vit désormais en démocratie. Un pourcentage qui a baissé suite à la rétrogradation des Etats Unis au statut de « démocratie défaillante » en 2016. Les pays classés comme « démocraties défaillantes » sont passés de 48 en 2022 à 50 en 2023. Ce qui représente 37,6% de la population mondiale.
La catégorie « régime autoritaire » regroupe elle 59 pays, représentant plus d’un tiers de la population mondiale, soit 39,4%. Quant à la catégorie « régime hybride », elle comporte 34 pays, soit 15,2 % de la population mondiale.

En haut du palmarès des meilleurs régimes démocratiques, on trouve la Norvège (9,81 sur 10), la Nouvelle-Zélande (9,61) et l’Islande (9,45). Les derniers du classement sont l’Afghanistan (0,26 sur 10), la Birmanie (0,85) et la Corée du Nord (1,08). A noter que Maurice se classe à la 20ème position, étant considérée comme le seul pays d’Afrique qui serait une « full democracy »…

En 2023, seuls le Paraguay et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ont intégré la catégorie « régime démocratique ». Les deux pays ayant connu les plus grandes chutes ont été le théâtre d’un coup d’Etat en 2023 : il s’agit du Niger (29 places de perdues pour atteindre le 141ème rang), et le Gabon (28 places de perdues, 146ème , rang). Au total, 68 pays ont enregistré une baisse de leur score, parfois très conséquentes.

« Alors que l’hégémonie des Etats-Unis est de plus en plus contestée, que la Chine se dispute l’influence mondiale et que des puissances émergentes telles que l’Arabie saoudite et la Turquie affirment leurs intérêts, l’ordre international devient de plus en plus instable », écrivent les auteurs du rapport. Et les pays jusqu’ici considérés comme ayant les démocraties les plus développées ne sont pas épargnés. Pour les auteurs du rapport, ils « luttent pour gérer les conflits politiques et sociaux à l’intérieur de leurs frontières, ce qui laisse à penser que le modèle démocratique développé au cours des huit décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ne fonctionne plus ». Ce qui serait particulièrement prégnant en Europe de l’Ouest. Qui, selon le rapport, « continue de sous-performer par rapport à son score record de 8,61 en 2008. Et bien qu’elle ait le score moyen le plus élevé de toutes les régions du monde, de nombreux citoyens d’Europe occidentale continuent d’exprimer leur mécontentement à l’égard du statu quo politique, comme en témoigne l’augmentation du soutien aux partis populistes ».

Déclin aussi, souligne l’EUI, des Etats Unis et du Canada : « les institutions démocratiques et les partis politiques sont devenus peu réactifs et peu représentatifs, même dans les démocraties les plus performantes », indique l’EIU.
Ce constat intervient alors que la moitié de la population mondiale sera appelée à voter cette année. Comme nous probablement, à Maurice. Mais selon l’EUI, il est prévu que seules 43 des quelque 70 scrutins prévus cette année seront réellement free and fair.

Mais les résistances, un peu partout, s’organisent.
Un peu partout, on voit aussi monter des mobilisations de citoyens attachés à l’exercice démocratique comme des bigorneaux attachés à une roche. Qui ne lâchent rien, bien décidés à ce que leurs espoirs ne soient pas payés en fausses promesses et en monnaie de singe.
Reste à voir ce que dira le prochain index…

SHENAZ PATEL

 

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