Jasmine Toulouse (Eco-Sud) : « Entre assurer son assiette et rembourser ses dettes… »

Le double impact de la pandémie du Covid-19 et de la marée noire pèse toujours le quotidien  du Sud-Est

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Eco-Sud, en collaboration avec WWF Japan, rédige un rapport avec des recommandations en vue de consolider la résilience

Des représentants d’organisations non-gouvernementales, de la société civile, d’organismes gouvernementaux et d’instances internationales, réunis pour un atelier de travail, jeudi dernier, sur les leçons à tirer de la marée noire du MV Wakashio. Notamment établir un Post-Mortem et prévoir The Way Forward. L’initiative revient à l’ONG Eco-Sud, en collaboration avec World Wildlife Foundation (WWF) Japan. Une étude sur l’impact social de la catastrophe a été menée par Josheena Naggea, de l’Université de Standford, États-Unis. Il en ressort que la communauté du Sud-Est a été doublement impactée par la pandémie du Covid-19 et la marée noire. Les séquelles demeurent.

25 juillet 2020, peu avant 20 heures,  le MV Wakashio s’échoue sur les récifs de Pointe-d’Esny. Le 6 août, soit 12 jours plus tard, 800 à 1000 tonnes d’hydrocarbures se déversent dans la mer et sont emportées par le courant sur toute la côte du Sud-Est.

Les régions les plus atteintes étant Rivière-des-Créoles, Vieux-Grand-Port et Falaise-Rouge. Trois ans plus tard, quelles ont été les leçons tirées de cette catastrophe? Eco-Sud et WWF Japan ont réuni plusieurs partenaires pour évoquer la question. Pour Sébastien Sauvage, CEO d’Eco-Sud, si les Mauriciens n’étaient préparés à faire face à une telle situation, il faut dorénavant renforcer les capacités et préparer la résilience communautaire.

D’où l’importance de cet atelier de travail réunissant différents partenaires, qui débouchera sur un rapport, avec des recommandations. Celui-ci sera par la suite rendu public. « Ensemble, nous devons renforcer nos capacités, nos connaissances et nous donner les moyens et ressources nécessaires pour nous adapter et favoriser un lien profond avec notre environnement naturel. Nos lois doivent également être adaptées afin de préserver la nature et la vie ! », dit-il.

WWF Japan a apporté sa contribution à cette initiative. Shigeki Yasumura, directeur de conservation, précise : « la marée noire provoquée par le MV Wakashio a également mis en évidence le manque de connaissances sur les écosystèmes, constituant le paysage marin de l’île Maurice. Cet incident a profondément touché le peuple japonais, et au WWF Japon, nous nous sommes engagés à apporter notre contribution, aussi minime soit-elle, aux efforts des ONG locales, du gouvernement mauricien, des communautés et des autres parties prenantes qui cherchent à comprendre l’impact de cette catastrophe sur l’environnement. »

Josheena Naggea, chercheuse de l’Université de Standford, a réalisé une étude sur les conséquences sociales de la marée noire du MV Wakashio. Il en ressort que les communautés du Sud-Est, grandement dépendantes de la mer, ont été doublement impactées par la pandémie de Covid-19 et la marée noire.

Les répercussions sont à la fois financières, sociales et psychologiques. Il a été noté également que cette situation a mené à un changement dans les habitudes alimentaires chez de nombreuses familles. Au total, 792 ménages ont participé à cette étude.

Trois ans après, comment ont-elles réorganisé leur quotidien par rapport à cet événement? Jasmine Toulouse, Social Coordinator, à Eco-Sud, brosse un tableau teinté de réalisme. « Les familles sont toujours très affectées. Pendant toute cette période où elles n’ont pu pratiquer leurs activités professionnelles, les dettes se sont accumulées. Aujourd’hui encore, certains doivent choisir entre manger et rembourser les dettes. D’autres n’ont plus d’électricité car les factures se sont accumulées. Les gens ne mangent plus à leur faim», souligne-t-elle.

Si Eco-Sud, en partenariat avec d’autres ONG, dont Caritas, a mis en place différentes formes d’aides, elles sont parfois temporaires, en attendant que les personnes concernées parviennent à sortir de cette situation. Jasmine Toulouse cite en exemple la boutique solidaire, qui permet aux familles de « souffler » pour six mois.

Le projet d’agro-écologie d’Eco-Sud apprend également aux familles à trouver de nouvelles alternatives. Beaucoup réalisent également l’importance d’un retour vers la terre ou la nécessité de diversifier ses activités.

Paradoxe de la régénération

Et sur le plan environnemental ? La biodiversité de cette partie de l’île a-t-elle été rétablie? Sarvesh Mundil, Scientific Officer chez Eco-Sud élabore sur l’Integrated Environment Monitoring Plan, pour évaluer l’impact environnemental de la marée noire. Celui découle d’une collaboration entre différentes ONG et les autorités. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, il en ressort que 2020 a été bénéfique à la biodiversité marine. Les coraux, qui avaient connu un épisode de blanchissement important en 2019, ont régénéré. De même pour les herbiers et les poissons.

Les scientifiques expliquent cette situation du fait avec les restrictions pendant la pandémie de Covid-19, il n’y a eu que très peu d’activités humaines, donc polluantes, en mer.  Cette hypothèse est renforcée par le fait que la situation a régressé à partir de 2021, quand les activités ont repris.

La période de Covid-19 2020 coïncidant avec celle du Wakashio, est-ce à dire pour autant que la marée noire n’a pas eu d’impact négatif sur l’environnement marin?  Pamela Bapoo-Dundoo, coordinatrice nationale du GEF Small Grants Programme de l’UNDP, est d’avis qu’il est trop tôt pour avancer un tel argument. « Il faudra voir, dans le long terme, quelles seront les répercussions, notamment sur les poissons »,dira-t-elle.

À ce sujet, les représentants du Centre de Recherches d’Albion précisent que le monitoring sur la qualité des poissons et des coquillages dans la région se poursuit. Jusqu’ici, les analyses ont démontré que les poissons et fruits de mer étaient propres à la consommation. La représentante du National Environmental Laboratory que les différentes analyses sur le long terme concernant la qualité de l’eau n’ont rien révélé de toxique. Donc, l’eau est propre, selon des normes établies.

Il faut souligner que plusieurs participants ont émis le souhait que les autorités jouent la carte de la transparence à ce sujet. Des pêcheurs, qui participaient également à cet atelier, ont témoigné des difficultés rencontrées par moment, pour écouler leurs poissons sur le marché, car des  consommateurs ont toujours des doutes.

Parmi les leçons à tirer également, relevons le manque de communication de la part des autorités, au moment de la catastrophe, alors que de nombreuses familles traversaient une situation de détresse. Beaucoup de savaient pas vers qui se tourner pour avoir de l’aide.

De même, on estime que l’accent a été mis sur l’environnement, alors que l’impact social a été relégué au deuxième plan. Cet atelier a également permis de prendre conscience du fait que le traumatisme est toujours au vif. Si certains ont pu se réinventer après la marée noire, d’autres peinent à changer de vie, après plus de 40 ans passés en mer. Sans compter ceux qui ont investi dans des activités liées à la mer et qui croulent sous les dettes…

Eco-Sud rédigera un rapport suite à cet atelier de travail et fera des recommandations, afin de préparer la résilience, face aux défis découlant d’une telle situation. Le rapport sera rendu public, donc accessible à tous.

 

Kanty Martin (Association des plaisanciers de Shandrani):

« Pas de suivi médical à ce jour »

Trois ans après la marée noire, les touristes sont-ils revenus dans la région du Sud-Est ?

Les touristes sont revenus en effet, mais ont toujours de nombreuses questions. Ils veulent savoir s’il y a eu des analyses de la qualité de l’eau, si c’est Safe de nager et ainsi de suite. Nous les rassurons. Pour cela, il faut que les autorités nous donnent toutes les informations nécessaires.

En tant que plaisancier, avez-vous été marqué par cet événement?

Effectivement. Ce qui nous inquiète le plus, c’est qu’à ce jour, il n’y a pas eu de vrai suivi médical. Quand la marée noire a eu lieu, nous avons tous contribué au nettoyage dans un premier temps. Nous avons fait notre devoir.

Cependant, à mon avis on aurait dû avoir un suivi médical approfondi pour les habitants qui ont dû respirer cette odeur des hydrocarbures ou qui ont aidé à nettoyer. On ne sait quels peuvent être les impacts sur le long terme. On a parlé de l’impact sur les poissons, mais il faut aussi s’intéresser aux humains.

Avez-vous pu reprendre vos activités normalement?

Nous avons repris nos activités, mais nous n’avons toujours pas été compensés pour le manque à gagner. Les pêcheurs ont obtenu leurs indemnités, mais les plaisanciers attendent toujours.

Est-ce à dire que le ministre de la Pêche s’est occupé de ses pêcheurs et que le ministre du Tourisme ne s’est pas occupé de ses plaisanciers. Il y a une frustration, nous avons le sentiment d’être lésés.

D’ailleurs, j’en profite pour dire que les plaisanciers ont été tant impactés que les pêcheurs car on a souvent tendance à ne parler que des pêcheurs.

Les scientifiques disent qu’il y a eu une régénération de l’écosystème. Qu’avez-vous constaté lors de vos sorties en mer?

Nous avons noté, en effet, qu’il y a une régénération des coraux. Même sur les lieux du naufrage. J’ai eu l’occasion de faire du snorkelling sur place, je peux confirmer que la vie reprend à cet endroit. D’ailleurs, il y a même des touristes qui demandent à aller voir le site du naufrage.

Toutefois, je ne peux vous dire si cette situation découle effectivement du fait que les activités étaient interdites pendant un certain moment en mer.

En tant qu’opérateur, comment pouvez-vous contribuer à préserver cette régénération?

J’ai soumis une proposition au ministère de la Pêche, pour baliser la mer avec des bouées, afin de créer des passages pour les bateaux. On pourrait même installer des lumières pour faciliter la navigation la nuit.

Ainsi, les bateaux éviteraient de passer n’importe où et seront contraints d’utiliser ces passages. À mon avis, cela limiterait les dégâts et amènerait plus de discipline en mer. Le ministère a été très réceptif à mon idée. Je ne sais s’ils vont l’appliquer ou pas.

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