D’un grain de sable, des étoiles et de la vérité.

GILLIAN GENEVIEVE
RUBEN SANDAPEN

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Je n’ai pas attendu l’aube pour me remettre à ta recherche. La nuit aussi est porteuse de vérité.

J’ai pris mon sac, une bouteille d’eau, un calepin et un crayon et j’ai pris le chemin de Flic-en-Flac. À pied.

Nous avons oublié les vertus de la lenteur : le savoir ne se construit pas dans l’impatience ; il faut avancer pas à pas. Et, c’est en déambulant sans se précipiter qu’on renoue avec le tout et le rien, l’infiniment grand et l’infiniment petit, les vérités révélées et celles qui ne le sont pas. Et, ce soir, je suis à l’écoute de la musique du ciel, en exil des bruits et de la rumeur de la ville afin de retrouver ta trace.

J’ai beaucoup marché. Je suis arrivé à la plage. Il est tard. Les gens honnêtes dorment depuis longtemps. Les touristes aussi.

La nuit appartient aux rêveurs, aux poètes, aux voyous et aux mathématiciens. Ils parlent tous le même langage : celui des vers, de l’amour et des équations. Pour parfaire la partition du juste et de la vérité.

Je marche pieds nus dans le sable fin face à l’immensité de la mer et j’écoute le murmure du lagon piqueté de la lumière des étoiles.
Je vis. Je ressens. Je contemple. Je sens. J’entends.

Le silence n’est pas possible quand le flux et le reflux du sang nous arriment encore au temps. Et je reste curieux des prémisses de ce qui advient, de l’inconnu et du danger.
Il fait froid. J’ignore encore qui tu es. Où tu es. Ce que tu es.
Je me suis arrêté un instant. Au creux de mes mains, j’ai pris un peu de sable.
Rien n’est anodin. Même pas un grain de sable perdu sur la plage de Flic-en-Flac.
Il est aussi une poussière d’étoiles.

La masse d’un grain de sable est environ 55 microgrammes. Par pure coïncidence, cette masse est approximativement égale à la masse dite de Planck que l’on obtient en combinant trois des constantes fondamentales de la physique: la vitesse de la lumière de la relativité d’Einstein, la constante de Planck de la physique quantique et la constante gravitationnelle. Mais qu’est-ce qu’une constante fondamentale ? Il s’agit d’une quantité universelle qui caractérise une théorie physique. Par exemple, la constante fondamentale de la relativité d’Einstein est la vitesse de la lumière dans le vide qui est la même partout et pour tous.

Ces constantes ont des valeurs numériques que l’on retrouve facilement en entrant « constantes fondamentales » sur Google. Les curieux pourront chercher ces valeurs numériques, ainsi que la façon de les combiner afin d’obtenir la masse de Planck. Faisons maintenant la petite manipulation mathématique suivante : multiplions la masse de Planck par elle-même et multiplions le résultat encore une fois par la même masse de Planck. En jargon mathématique, on dit qu’on vient de calculer la masse de Planck au cube. De même, si on multiplie la masse du proton par elle-même, on obtient la masse du proton au carré. Si on divise la masse de Planck au cube par la masse du proton au carré et on multiplie le résultat par 5%, on obtient 1.4 fois la masse du soleil.

Ce n’est pas une coïncidence cette fois-ci. Cette valeur est appelée la masse de Chandrasekhar, célèbre physicien indien qui est arrivé à ce résultat en combinant des principes de la physique quantique et celles de la relativité afin de déterminer le critère de stabilité d’une ancienne étoile appelée naine blanche.

En effet, la masse de Chandrasekhar est la masse maximale d’une naine blanche. Une naine blanche est ainsi nommée parce qu’elle est de petite taille, comparée à une étoile comme notre soleil, bien que sa température de surface soit beaucoup plus élevée. Les étoiles brillent et demeurent stables grâce aux réactions nucléaires dans leurs cœurs. Lorsque ces réactions nucléaires n’ont plus lieu, elles s’effondrent sous leur propre poids. Cet effondrement peut être éventuellement stoppé par une pression d’origine quantique à condition que la masse de l’étoile ne dépasse pas la masse limite de Chandrasekhar. Cette masse limite a été calculée pour la première fois par le jeune Chandrasekhar, alors âgé de 19 ans, lors de son voyage en bateau de l’Inde à l’Angleterre: une naine blanche ayant une masse supérieure à 1.4 fois la masse du soleil (1.4 masses solaires) ne peut être stable. Que se passe-t-il alors pour les étoiles trop massives pour finir comme des naines blanches? Leur effondrement se poursuit et, certaines d’entre elles, les plus massives, deviennent des trous noirs.
Aujourd’hui, comme Chandrasekhar en 1930, un étudiant ou une étudiante de physique peut, uniquement avec papier et crayon, calculer la masse limite d’une naine blanche. Ceci révèle la fascinante puissance des équations: sans jamais lever les yeux vers le ciel, on est capable de prédire qu’aucune naine blanche dans l’univers ne peut avoir une masse supérieure à celle de Chandrasekhar. Mais une telle prédiction n’aurait impressionné personne si les astronomes n’avaient pas déjà catalogué environ 10,000 naines blanches. La plus massive, RE J0317-853, découverte en 1998, a une masse de 1.35 masses solaires.

Je ne suis pas Chandrasekhar. Je ne suis ni physicien ni mathématicien. Je suis juste un voyou un brin poète. Et j’ai aussi un calepin et un crayon.
Alors, je cherche les mots et je fabule.
À défaut d’équations, j’écris de la prose et des vers sans rimes pour dire la nuit, la barrière de coraux, les ressacs mais aussi les nébuleuses et les naines blanches.
Je trompe ainsi le temps, en ton absence
Ce soir encore, je ne te retrouverai pas. Ce soir encore, tu ne seras pas là. Ce soir encore, tu te refuseras à moi.
Entre le premier cri et le néant, entre les premières larmes et le dernier souffle, entre les origines et la mort, le chemin est toujours trop court pour cerner le vrai et abjurer les mensonges.
Mais il s’agit de s’acharner sans espérance.
Il s’agit de marcher droit, de bifurquer, de rebrousser chemin et de te chercher.
Toujours.

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