GARE VICTORIA—ANCIENS DÉTENUS: La cordonnerie comme moyen de réinsertion

Ils ne sont pas fiers de leur passé. Dario Veckranges, 32 ans, et Jimmy Gentil, 41 ans, sont beaux-frères et tous deux d’ex-détenus que l’égarement de la jeunesse avait dévié du droit chemin. Depuis quelques années, ils se sont résolus à définitivement tourner la page et à gagner leur vie dignement comme d’honnêtes citoyens. Depuis leur sortie de prison, ils ont rejoint leur frère et beau-frère cordonniers à la Gare Victoria. Grâce à ce métier, appris sur le tas, ils ont en même temps acquis une discipline de vie. Du lundi au dimanche, entre 8h30 à 17h, vous pouvez les voir à même la rue, tissant, à travers de vieilles chaussures, la nouvelle toile de leur histoire. Se soustrayant à tout prix aux fléaux de la société, pour éviter une rechute.  Toutefois, en dépit de leur décision de se réinsérer, ils sont constamment chassés, ci et là, par les propriétaires de magasins. Les trois artisans plaident auprès de la mairie de Port-Louis pour obtenir un espace abrité où ils pourraient travailler en toute quiétude.
« Ne vous laissez pas voler l’espérance ! Compris ? Avec l’espérance, allez de l’avant ! ». Comme s’ils avaient reçu ces paroles du pape François lancées à des détenus à l’occasion du jeudi Saint en 2013, alors qu’il leur avait lavé les pieds en signe d’humilité, Dario Veckranges et Jimmy Gentil voient la vie positivement. « Problem-la, li la. La pli, soley, nou bizin lite. » Mais, reconnaissent-ils, le travail leur permet, chaque jour, de rentrer chez eux soulagés. La petite équipe familiale soutient avoir entrepris en vain des démarches auprès de la mairie de Port-Louis pour obtenir un espace bien à eux où ils ne seraient pas chassés en plein travail.
Assis sous un large parapluie, Dario Veckranges, sorti de prison en 2013, trace sur une semelle les points où il devra réaliser une couture. « Mon enfant va bientôt faire sa première communion. Quand j’ai été libéré, je me suis dit qu’il fallait que je change de vie, que je prenne soin d’elle. J’ai tout appris avec mon frère, qui s’est initié au métier quand il a quitté l’école primaire. » Devant le trio de cordonniers ambulants, dans cette rue très fréquentée menant à la Gare Victoria, un caisson rempli de chaussures et autres sandalettes abîmées attendent d’être réparées. Dans un autre sac, à côté de l’un d’eux, se trouvent des outils. La plupart des clients attendent sur place. Au bout de dix à 15 minutes, pour Rs 25 ou Rs 50, dépendant du travail à effectuer, leurs vieilles chaussures retrouvent une seconde vie. « Nous sommes différents des autres cordonniers. Nous réparons chaussures, sacs et valises sur le champ. Nous aimerions que les autorités nous accordent un espace pour notre gagne-pain. On est constamment chassés là où on s’installe. De fait, nous arpentons la gare entière. »
« Lespri fin mir »
Jimmy Gentil, lui, est sorti de prison il y a cinq ans. Lui aussi a eu envie de changer de vie. « J’avais un ami qui travaillait ici. Quand il est mort, je l’ai remplacé. » Au lieu de tomber dans l’assistanat, de rester au chômage et d’être sous l’influence constante des fléaux sociaux, Jimmy préfère travailler. « Kan nou fin gagn laz, nou lespri fin mir. Kan nou ti zenn, nou disan ti so. Quand vous avez un travail, cela vous aide à retrouver le droit chemin. Nous l’avons peut-être rejoint un peu tard, mais nous savons aujourd’hui où se trouve la vérité. Nul n’est parfait sur terre. L’important, c’est la conversion », estime-t-il. Sa fille étant en Form V, il dit souhaiter vivement qu’elle puisse terminer son HSC. « Travay ki nu fer kapav aste enn pake brede pou lakaz me pa kapav aste tou seki mo tifi bizin. » Lui aussi plaide pour un petit espace « où on pourrait s’abriter de la pluie, car quand il pleut, dès que l’on se rapproche un peu trop près des magasins pour s’abriter, on nous pousse dans le caniveau ».
Leur travail, ils le pratiquent à des horaires fixes, du lundi au dimanche. Mais comment parvient-on à observer une telle régularité quand on a connu une vie où les règles n’avaient que peu d’importance ? « Chacun d’entre nous agit comme garde-fou pour son prochain. Si l’on voit que quelque chose n’est pas correct, on le dit. Par ailleurs, on est aussi à l’écoute des remarques de nos clients. » Une capacité de constamment pouvoir revoir ses fautes et de s’améliorer qui semble indiquer qu’ils sont sur la bonne route. En tout cas, ils avancent, avec espérance, comme suggéré par le pape. Le Mauricien a tenté d’entrer en contact avec le Lord-Maire pour voir s’il comptait obtenir pour ces repentis un espace de travail, comme pour les marchands ambulants, mais il était injoignable.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -