INTERVIEW : L’Église restera une contre-culture, a déclaré Jean-Maurice Labour

Dans le cadre de l’élection du pape François 1er, nous sommes allés poser quelques questions au vicaire de Port-Louis, le père Jean-Maurice Labour. Il nous donne son sentiment sur le bilan du précédent pape et énumère les nombreux problèmes auxquels le nouveau pape devra faire face. Pour terminer, Jean-Maurice Labour répond à une question sur ses relations conflictuelles avec le ministre Hervé Aimée.
Que faut-il retenir du bilan de Benoît XVI?
Pour prétendre faire le bilan de Benoît XVI, il faut replacer en contexte son pontificat. Celui de son prédécesseur Jean-Paul II a été marqué par une certaine euphorie qui masquait quelque peu des problèmes de l’Église qui vont éclater sous le pontificat de Benoît XVII. Jean-Paul II, de par son charisme médiatique, était tourné vers l’extérieur, avec ses multiples visites à travers le monde et la création des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ). Sa contribution dans la chute du communisme est reconnue dans le monde; l’église est alors « sur un petit nuage ».
Benoît XVI prend en pleine figure les problèmes qui couvaient: l’Europe nouvellement fondée renie ses origines chrétiennes; l’église est secouée par le scandale de la pédophilie des membres du clergé; elle fait face au défi du fondamentalisme islamique et la montée des sectes en Amérique latine;  des conflits de pouvoir et la corruption minent l’administration de la curie romaine.
Au coeur de ce difficile héritage, Benoît XVI, avec la grande compétence qu’on lui connaît, multiplie les interventions doctrinales qui éclairent sur les positions de l’Eglise. Par ailleurs, il révise le droit canon (le droit de l’Eglise) pour instituer une attitude de zéro tolérance sur la question de la pédophilie. Il s’est épuisé à maintenir le dialogue avec les Lefebvristes qui divisaient l’Église, il poursuit l’oeuvre de son prédécesseur dans le dialogue interreligieux. Autant de gestes qui auront marqué au cours de son pontificat.
Benoît XVI a-t-il démissionné parce qu’il n’avait plus la force de continuer ou parce qu’il n’arrivait plus à gouverner une Église marquée par une série de scandales dont celui de la pédophilie?
Benoît XVI a été probablement marqué par la division dans l’Église et le scandale de la pédophilie. Nommé pape à 78 ans, au moment il aspirait à une retraite légitime – à son élection, il a avoué sentir « tomber » sur lui « le couperet » –, l’histoire ne lui a pas fait de cadeau. C’est tout à son honneur d’avoir accepté la charge pontificale à cet âge avancé et d’avoir eu le courage de se retirer à l’épuisement de ses forces. Au nom même de la haute conception de sa mission de pape, il laisse la place à un autre. Je dirai même que son geste est libérateur pour l’avenir car les futurs papes ne se sentiront pas le devoir moral de continuer jusqu’à la mort.
On a beaucoup parlé, dans le cadre de l’élection du pape, de la nécessité pour l’Église de changer, de se moderniser, de s’ouvrir, de comprendre et d’utiliser le langage d’aujourd’hui. Est-elle à ce point coupée des réalités du monde?
Le Concile Vatican II a déjà été une étape majeure de l’ouverture de l’Église au monde. L’année 2013 célèbre, d’ailleurs, les 50 ans de ce concile. Nous n’avons pas fini de mesurer le pas énorme qu’a accompli l’Église: elle sort de son arrogance pour reconnaître une part de vérité dans les autres religions; elle dialogue avec le monde malgré sa tentation de lui faire la leçon; la liturgie a adopté les langues vernaculaires et rejoint les cultures.
Entre-temps, de nouveaux problèmes se posent mais l’attitude de fond de l’Église est posée. Cependant, comme le dit Benoît XVI, de par sa mission, l’Église restera une contre-culture, souvent la seule à oser nager à contre-courant, au nom de sa foi. L’Église est dans le monde mais pas du monde.
Est-ce que cette nécessité de changer et de se moderniser concerne aussi l’Église catholique mauricienne?
Il est évident que l’Église, en annonçant sa mission au monde moderne, doit s’adapter au monde pour lui adresser une parole crédible. Mais s’adapter au monde n’implique pas la dilution du message évangélique. Par exemple, l’Église est largement présente dans les moyens de communication modernes, mais en dénonce aussi les pièges. Se moderniser veut dire aussi faire preuve de créativité dans les nouveaux problèmes qui se posent au monde aujourd’hui, par exemple, la lutte contre la pauvreté, les approches pédagogiques dans l’éducation des plus pauvres.
Un des grands défis de l’Église mauricienne est la participation des femmes dans les instances de décision et d’orientation de l’Église à Maurice. Ces femmes, déjà présentes dans les instances d’accompagnement, de service et de la formation, devraient être davantage reconnues et avoir plus de voix au chapitre.
Au coeur de l’Année de la foi, lancée par Benoît XVI, Mgr Maurice Piat, préoccupé par l’annonce de la foi aux jeunes et par l’éducation des jeunes dans nos institutions primaires et secondaires catholiques, lance, en ce moment, l’Église mauricienne dans un processus de renouvellement de son approche envers les jeunes. Ce processus vise à mobiliser les trois grands lieux d’évangélisation: la famille, les paroisses et l’école.
Est-ce qu’en choisissant un pape « venu du bout du monde », les évêques ont mis fin au système de gouvernement européano centriste qui dirige l’Église depuis toujours ou est-ce une exception qui confirme la règle?
Déjà, l’élection de Jean-Paul II marque une rupture avec l’italo-centrisme de l’Église. L’élection d’un pape polonais avait créé un buzz! Celle d’un Allemand devient presque normale. Voici que maintenant, pour la première fois, un pape nous vient du Sud. Il semble, donc, qu’il s’agit d’un mouvement qui travaille l’Église en profondeur. Elle devient consciente que son dynamisme dans l’hémisphère sud pourrait inspirer la conduite de l’Église universelle.
Est-ce  que l’élection d’un cardinal argentin au poste de pape influera sur le fonctionnement de l’Église catholique à Maurice?
Une église locale, avec ses dynamismes propres, est autonome. Mais elle s’inscrit à l’intérieur des orientations de l’Église universelle. Attendons voir l’initiative de ce pape en direction de l’Afrique, dont nous faisons partie.
Une question personnelle pour terminer. Avez-vous, en tant que bon chrétien, pardonné à votre frère le ministre Aimée pour ses propos sur le fonctionnement de l’Église à Agaléga où, dit-il, les cimetières sont séparés, comme en Afrique du Sud avant la fin de l’apartheid?
Le pardon implique la vérité. Or, le discours d’Hervé Aimée est truffé de mensonges sur la mission de l’Église à Agaléga. L’Église n’aurait donc rien fait depuis 1897! La première école a été dirigée par M. Hervé Sylva et sa femme, envoyés à Agaléga par le diocèse de Port-Louis en 1971. Ils y ont donné dix ans de leur vie. Les étudiants d’Agaléga sont accueillis à Maurice pour leur parcours secondaire au collège BPS, notamment. Les élèves sont placés au Couvent du Bon Pasteur, géré par les religieuses, ainsi qu’au foyer Père Laval. Jocinta Clarisse est une Agaléenne qui a passé les examens du HSC au SSS La Tour Koenig: le ministre de tutelle semble l’ignorer. De plus, la plupart des Agaléens qui, aujourd’hui, occupent des postes importants dans la OIDC, ont été des élèves du diocèse de Port-Louis.
Dans le domaine social, c’est un comité de soutien mis en place par le diocèse de Port-Louis qui a sollicité l’expertise de M. Bizlall et de Me Dev Ramano, avocat, pour que les Agaléens passent du statut de contractuel à celui de salarié régi par le PRB. De même pour l’accès à la terre.
D’autre part, l’Église aurait supposément couvert une culture de gandia à Agaléga! Ces informations balancées dans le public par un ministre de la République, non désavoué sur ce point par son gouvernement, devraient faire l’objet d’une enquête de l’ADSU. On se demande pourquoi l’ADSU est en train de « couvrir » l’Église?!
A la lumière de ces élucubrations, je me pose la question: M. Aimée maîtrise-t-il ses dossiers ou a-t-il perdu la raison?
La Commission Vérité et Justice a recommandé que pour un vrai développement intégral des Agaléens, un partenariat Église/État soit mis en place afin d’optimiser les ressources. L’Église a montré qu’elle était disposée à collaborer mais elle ne pourrait en aucun cas se substituer à la responsabilité de l’État. C’est l’absence d’un plan de développement que je dénonce depuis plusieurs années. Avec les Agaléens, nous réclamons la réalisation d’infrastructures – piste d’atterrissage et jetée – qui désenclaveraient Agaléga et lui donneraient les moyens de son développement. Il est regrettable que M. Aimée se perde dans des polémiques futiles.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -