SIR ANEROOD JUGNAUTH : “Il n’y aura pas de 60/0 aux prochaines élections”

Notre invité de la semaine est Sir Anerood Jugnauth, candidat au poste de Premier ministre sous la bannière du MSM aux prochaines élections. Dans l’interview qu’il nous a accordée, hier matin à sa résidence, il explique dans quelles conditions le Remake MSM-MMM a été conclu puis cassé. Il se livre ensuite à une analyse de la situation politique et affirme que contrairement à ce qu’affirment Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, il n’y aura pas de 60/0 aux prochaines élections. Le tout avec le langage direct qu’on lui connaît et quelques solides coups de bâton à ses adversaires…
Pourquoi avez-vous accepté de rester à la présidence de la République en 2005 après toutes les humiliations que Navin Ramgoolam vous avait fait subir ?
— Je suis resté pour montrer à Ramgoolam qu’il ne pouvait pas faire ce qu’il voulait parce qu’il venait de remporter les élections. Qu’il devait respecter la Constitution et les lois du pays. À la fin de mon mandat, il m’a supplié de rester, m’a dit que ce qu’il m’avait fait subir était dicté par des considérations politiques. Je savais qu’il était en train de négocier une alliance avec le MMM, ce qui pouvait déboucher sur un 60/0, et ce que je ne voulais pas. J’aurais accepté de rester à la présidence si le PTr faisait une alliance avec le MSM. Ramgoolam a accepté et il est allé discuter avec le MSM et vous connaissez la suite.
Pourquoi avez-vous quitté la présidence de la République en 2012 ?
— Quand j’ai été élu président de la République, j’ai considéré que ma carrière politique était terminée. Même si le MSM avait quitté le gouvernement, je continuais à servir le pays à partir du Réduit et cela me convenait. C’est Bérenger qui est venu me voir pour me parler pendant deux heures. Il a fait l’historique de tous les partis politiques du pays, fait une liste de tous les scandales en cours sous le mandat de Navin Ramgoolam. À la fin de cette longue conversation, il m’a dit – et ses mots sont restés gravés dans mon esprit – : “Navin enn pouritir ki pé pouri Maurice. Nou, bann vré patriot, nou na pa kapav asizé laisse sa arivé. Nou bizin sov péi.” Il m’a proposé de quitter le Réduit, de faire le Remake pour nettoyer le pays. Je lui ai fait confiance et j’ai accepté, à condition que les instances du MMM approuvent le Remake. C’est après ça que j’ai démissionné et que le Remake a fonctionné pendant un peu moins de deux ans et, toutes les semaines, nous avons organisé notre campagne.
Quand est-ce que les premiers signes de tension se sont manifestés au sein du Remake ?
— La première et les autres fois pour des raisons bancales. La première fois, Bérenger a allégué que Soodhun était en train de négocier avec Ramgoolam, ce qui était faux. Mais je crois qu’en fait, leskoz-kozé avaient commencé de l’autre côté.
Il y a eu ensuite votre opposition à la proposition de Bérenger que Reza Uteem, ministre des Finances pressenti, devienne n° 3 dans la hiérarchie du Remake…
— Quand il fait cette proposition, je lui ai rappelé que le Remake était une alliance entre le MSM et le MMM, que j’occuperais le poste de PM pendant la première période et lui pendant la deuxième. Et à ce moment-là, comme ce fut le cas en 2003, la place du n°2 revenait au leader du MSM. Bérenger a insisté en disant que si Reza Uteem ne devenait pas le n°3, les musulmans ne voteraient pas le Remake. Mais ce n’est pas sur ce point que Bérenger a cassé le Remake, il l’a fait parce que l’avocat de Pravind ne l’avait pas consulté sur sa manière de conduire le cas dans l’affaire Medpoint ! Il a dit que c’était un delaying tactic, qu’il n’avait pas été consulté. Je lui ai alors répondu que je ne savais pas qu’il était un junior ou senior lawyer.Il n’a pas apprécié. C’est sur ce “point” qu’il a cassé le Remake.
Il y avait quelque chose derrière tout ça, selon vous ?
— Évidemment. Cette affaire n’était qu’un prétexte. Je savais qu’il y avait des koz-kozé entre lui et Ramgoolam.
Pour quelle raison Bérenger a-t-il cassé le Remake qui, selon les observateurs politiques, avait de très bonnes chances de remporter les prochaines élections ?
— C’est évident maintenant : Bérenger est pressé de devenir Premier ministre. D’ailleurs, Collendavelloo l’a confirmé dans sa lettre de démission comme leader adjoint du MMM en citant une phrase de Ganoo : “Avec Ramgoolam, Bérenger peut devenir Premier ministre dans quelques mois. Avec Jugnauth, il aura à attendre quelques années.”Et il négociait avec Ramgoolam en même temps qu’il célébrait nos anniversaires et, selon la coutume, me faisait avaler un petit bout de gâteau ! À Flic-en-Flac, après avoir célébré notre anniversaire, il est allé voir directement Ramgoolam dans un hôtel. C’est à partir de ce moment qu’il a dit que le Remake, qui était selon luion and off,est devenu out ! Je crois qu’il n’y a pas juste l’envie de devenir PM derrière tout ça, mais aussi quelque chose que Ramgoolam a contre Bérenger, mais je n’en dirai pas plus pour le moment.
Mais après que Bérenger a déclaré le Remake “out”, vous avez continué à laisser une porte ouverte à la réconciliation. Pourquoi ?
— Parce que des amis du MMM étaient venus me voir pour me demander de ne pas adopter la ligne dure contre Bérenger, qu’ils allaient lui parler, arranger les choses. J’ai accepté, j’ai donné un délai et pendant un bon bout de temps, j’ai utilisé un ton conciliant. Mais quand il a dit qu’il avait tourné la page et que le Remake était mort, j’en ai tiré les conséquences. Maintenant pour moi, le Remake est définitivement enterré.
La politique mauricienne étant ce qu’elle est, il est possible qu’un de ces jours, on parle de remettre le Remake on…
— Pas moi. Si demain le MMM décide de faire une nouvelle alliance avec le MSM, ce sera sans moi. C’est ma position personnelle. Je ne peux plus croire que Bérenger est un homme qui peut tenir sa parole. Contrairement à moi, Bérenger est enn kouyoner, enn foser, un bluffeur, un menteur et un hypocrite, et je ne veux pas travailler avec lui.
Avec qui voulez-vous travailler ?
— Le MSM est en train de faire le travail pour lequel j’ai quitté la présidence : débarrasser Maurice de Navin Ramgoolam et de sa clique que Bérenger appelait pourriture il y a quelques mois à peine. Nous allons essayer de rassembler les autres partis comme le PMSD, celui d’Ivan Collendavelloo, de Sylvio Michel
La politique étant ce qu’elle est, peut-on envisager une situation où, comme en 2010, le MSM refasse alliance avec Navin Ramgoolam ?
(Rires)
nPourquoi riez-vous ?
— Parce que je savais que vous alliez me poser cette question. Pour moi, cette éventualité n’est pas possible…
Pour le moment…
— Non, ce ne sera pas possible, même à l’avenir. Pour moi, Navin Ramgoolam n’a pas de conscience, il n’a pas d’amour pour le pays, il ne pense qu’à lui et à sa clique. Si par malheur Navin Ramgoolam remporte les élections, nous nous retrouverons dans la même situation qu’en 1982, quand son père était au pouvoir. Il faut rappeler que quand nous avons eu le pouvoir en 1982, il n’y avait plus grand-chose dans les caisses de l’État. Ramgoolam-père avait signé un accord avec la Banque mondiale pour éliminer les subsides sur le riz et la farine, ce que nous avons dénoncé. Bérenger n’était pas d’accord pour que nous maintenions les subsides et c’est à partir de là que le MMM s’est cassé en deux et que j’ai formé le MSM. Après 1983, j’ai refusé les conditions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international et avec le concours de mon équipe, avec ma conviction et ma sincérité, j’ai réussi à redresser le pays et à relancer l’économie mauricienne.
Revenons au présent et à la realpolitik. Et si malgré tout ce que vous venez de dire le MSM décidait de refaire une alliance avec Navin Ramgoolam ?
— Si cela arrive, si le MSM refait une alliance avec Navin Ramgoolam et le PTr comme en 2010, ce sera également sans moi. C’est ma position personnelle. Qui est basée sur ce que je constate sur le terrain. Tous ceux que nous rencontrons dans les réunions du MSM nous disent de ne pas perdre courage et de continuer, qu’ils nous soutiennent. Je n’ai entendu personne jusqu’à l’heure me dire d’aller refaire le Remake avec Bérenger ou une alliance avec Navin Ramgoolam.
Vous avez déclaré dans une de ces réunions que Bérenger ne deviendra pas PM avec Navin Ramgoolam. Pourquoi ?
— Le plus grand cauchemar de Navin Ramgoolam était le Remake MSM-MMM. Il savait que nous étions en train de galvaniser les Mauriciens et c’est pour cette raison qu’il a tout fait pour empêcher le meeting de la Fête du travail, le 1er mai. La foule qui allait venir aurait démontré la force du Remake et il a tout fait pour que le meeting du Remake du 1er mai n’ait pas lieu et il a réussi, avec la complicité de Bérenger. Les koz-kozé étaient alors onet, rappelez-vous, c’est Ramgoolam qui a annoncé que le MMM ne tiendrait pas de meeting ler-Mai. Bérenger ne va pas devenir PM avant les élections, qui ne vont pas avoir lieu demain. C’est Navin qui dit que son mandat va jusqu’à l’année prochaine, alors que Bérenger ne cesse de parler d’élections anticipées ! Je connais Navin Ramgoolam, il ne permettra pas à Bérenger de devenir PM. Vous n’avez qu’à suivre ses déclarations, ces jours-ci : à chaque fois que Bérenger dit oui, Ramgoolam vient dire non. Croyez-en mon expérience politique : juste avant les élections, quelque chose va arriver qui va faire capoter l’alliance PTr-MMM. Comme Bérenger a l’habitude de dire : marké, gardé !
Est-ce que vous faites partie de ceux qui pensent que, vu son comportement actuel, Bérenger devrait démissionner du poste de leader de l’opposition ?
— Et comment ! Tout au long de sa carrière, Bérenger a prétendu être un défenseur de la démocratie et un homme de principes, dénonçant les scandales. Or, ce qu’il est en train de faire est plus que scandaleux. Il continue a être leader de l’opposition sur le papier, il ne joue pas son rôle, il ne respecte pas la fonction, il se comporte comme un complice de Navin Ramgoolam. Et tout cela en continuant à toucher les allocations de leader de l’opposition et les privilèges attachés à cette fonction. C’est de l’escroquerie. S’il était un homme de principes, il aurait dû démissionner de son poste dès qu’il a commencé à négocier une alliance avec Navin Ramgoolam. Et en plus à chaque fois que les négociations n’aboutissent pas, il fait du chantage en annonçant qu’il posera des questions déstabilisantes pendant la PNQ. Il annonce qu’il questionnera Ramgoolam sur la Rolls Royce et il ne le fait pas. C’est ça l’homme de principes qu’il prétend être ? On ferme l’Assemblée pendant des semaines et le leader de l’opposition ne proteste même pas. C’est comme ça qu’un homme de principes se comporte ?
Comment expliquez-vous le fait que la direction du MMM laisse faire son leader ?
— Il s’est arrangé pour placer dans les instances du MMM des gens qui acceptent tout ce qu’il fait, qui lui obéissent, n’ont pas le courage de résister, d’élever la voix. Ce sont ces instances qui ont approuvé trois fois le Remake avant de voter contre, une dernière fois. Ils ont fait comme leur leader et ont cassé le Remake sous prétexte que l’avocat de Pravind ne les avait pas consultés avant de prendre un point de droit en cour ! Excusez ma grossièreté, mais quand Bérenger montre un produit à ces instances, elles disent oui, quand il présente le même produit et leur dit que c’est du c…, ils disent également oui !
Vous pensez que les élections peuvent arriver n’importe quand ?
— C’est ce que Bérenger souhaite et c’est ce que Ramgoolam dit ne pas vouloir en flanquant à chaque fois des camouflets à son “allié”. Alors que Bérenger demande des élections, Ramgoolam lui dit que son mandat va jusqu’à 2015 et qu’il veut présenter son budget avant. Au lieu de se taire, Bérenger se présente comme le conseiller de Navin et va lui expliquer ce qu’il doit dire dans les conférences à l’étranger. Le leader de l’opposition, qui se présente comme le conseiller du PM, qu’il est censé remplacer. Heureusement que le ridicule ne tue pas à Maurice. D’après ce que je comprends, le Parlement entrera en congé, puis se réunira pour le budget, puis rentrera en vacances jusqu’à l’année prochaine pour les élections. En tout cas, nous, quelle que soit la situation, continuerons notre travail avec tous les partis politiques.
Que souhaitez-vous dire aux Mauriciens pour terminer cette interview ?
— Avant de parler de l’avenir, j’aimerais parler du présent, plus particulièrement de ce qui se passe à Gaza. L’armée israélienne est en train de massacrer des populations civiles palestiniennes au vu et au su du monde entier. Il faut que les Nations unies fassent un forcing pour que le cessez-le-feu soit respecté et pour qu’une solution soit trouvée pour que les Palestiniens puissent vivre en paix.
Cette situation vous préoccupe-t-elle ?
— Elle doit préoccuper tous les êtres humains. On ne peut accepter en 2014 que des populations civiles, des femmes et des enfants soient massacrés par une armée. J’en viens maintenant à votre question : les Mauriciens ont connu Bérenger comme PM pendant deux ans, ils ont connu Ramgoolam à ce poste pendant plus longtemps et savent qu’il est un danger pour le pays. Ensuite, il y a moi. Les Mauriciens auront à choisir entre ces trois comme PM, aux prochaines élections. On connaît mon passé, mon langage direct — trop parfois, selon certains —, ma conviction et le fait que je tiens mes promesses. J’ai pris un pays au bord de la banqueroute en 1982-83 pour le transformer en pays prospère reconnu par le monde entier. Avec mon expérience du passé, je suis convaincu qu’il est encore possible d’amener un vrai changement dans notre pays, de le sortir du gouffre où Ramgoolam l’a mené et redresser la situation à tous les niveaux.
À tous les niveaux ?
— Oui, à tous les niveaux, parce que nos institutions et nos services ne fonctionnent plus comme il le faudrait. Prenons l’exemple du judiciaire, si vous le voulez bien. Aujourd’hui, on prépare d’une telle manière les dossiers que l’on envoie à la cour que le magistrat n’a pas d’autre choix que de dismiss ces cas. Le dernier cas flagrant est celui…
… de l’ancien ministre de la Justice, Yatin Varma…
— Exactement ! C’est une affaire qui a scandalisé tout le pays. M. Varma qui a été acquitté par la Cour a envoyé des intermédiaires négocier le retrait de son casepar celui qui l’avait accusé. Si M. Varma n’était pas coupable, pourquoi est-ce qu’il serait allé négocier le retrait de son case, offrir des fleurs, du champagne, un livre et de l’argent ? S’il ne se sentait pas coupable de ce qu’on lui reprochait, pourquoi est-il allé présenter des excuses, pourquoi est-il allé, avec des intermédiaires, demander pardon ? Avez-vous déjà entendu parler d’un innocent qui va présenter des excuses et demander pardon ? Si tous ces faits figuraient dans le dossier envoyé en cour, est-ce que le magistrat aurait pu acquitter M. Varma ? Si l’alliance PTr-MMM est faite, nous assisterons à d’autres cas comme celui que je viens de citer.
Vous devez aussi penser au cas de votre fils, Pravind…
— Pas du tout dans la mesure où il n’y a pas de casedans cette affaire. Si tous ceux qui sont impliqués viennent dire la vérité en cour, il n’y a pas de casedans cette affaire. Si cela est fait et que la cour trouve qu’il y a un case, je suis disposé à abandonner mon diplôme d’avocat et mon titre de QC car cela voudrait dire que je ne comprends rien à la loi. J’avais déjà dit qu’il n’y avait pas de casedans l’affaire de Maya Hanoomanjee et j’avais raison. Permettez-moi de revenir sur ce que je veux dire aux Mauriciens pour l’avenir. Si la population me fait confiance aux prochaines élections, j’ai la conviction de pouvoir redresser le pays dans lequel tous les Mauriciens vivront en harmonie et en sécurité. J’ai la conviction et la détermination pour le faire. Je l’ai déjà fait en 1983.
Vous avez redressé le pays en 1983, mais cela fait déjà plus de 30 ans. Est-ce que dans les élections à venir, votre âge ne joue-t-il pas contre vous ?
— J’attendais également cette question que l’on entend beaucoup dans les milieux du PTr. Dites-moi, est-ce qu’on a posé la question de l’âge du bonhomme Ramgoolam quand il a posé sa candidature en 1982 alors qu’il avait dépassé les 80 ans, comme moi ? Je me sens aujourd’hui en aussi bonne forme que je ne l’étais dans les années 1980. Si je ne me sentais pas capable de le faire, je ne me serais pas présenté et je me serais retiré tranquillement. De vous à moi, bien souvent, je me sens plus jeune que mes deux challengers, surtout quand je les entends dire certaines choses. J’ai encore le courage et les Mauriciens peuvent compter sur moi pour faire, pour refaire de Maurice un pays où il fera bon vivre.

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