Sylvio Michel (Les verts fraternels) : « Si la réforme électorale avait été votée, cela aurait causé la mort des minorités »

Les Verts fraternels participeront cette année pour la dixième fois à des élections. Pour Sylvio Michel, le leader, cette joute ressemble à celle de 1976, où il s’était justement engagé pour la première fois. Il est d’avis qu’il est fort probable qu’il y ait une coalition après les élections si les votes sont divisés. D’autant, dit-il, que les électeurs votent plus pour un candidat que pour un parti de nos jours. De même, il juge le combat de Rezistans ek Alternativ contre la déclaration ethnique inutile, estimant qu’il y a d’autres moyens de combattre le communalisme. Les Verts fraternels placent également l’écologie et la réparation au cœur de leur programme électoral.

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Vous avez participé à plusieurs élections. Comment voyez-vous les législatives de 2019 ?
À 78 ans, je participe pour la dixième fois à des élections. Depuis 1976, l’Organisation fraternelle, devenue ensuite Les Verts fraternels, a été présente dans toutes les élections, seule ou en alliance, à l’exception de 1995, où il y avait eu l’incendie criminel de notre pâtisserie. Mon observation des présentes élections, c’est qu’elles ressemblent beaucoup à celles de 1976. Il y avait une joute triangulaire, avec l’Independence Party, le PMSD et le MMM. Le MMM en lui-même était un genre de conglomérat. C’est ainsi qu’il a remporté la majorité des sièges. En 2019, on se retrouve dans la même conjoncture, avec deux alliances, l’Alliance Morisien et l’Alliance Nationale, ainsi que le MMM qui se présente seul à ces élections.
Je constate que nous avons un électorat divisé. Parfois, dans une même maison, il y a différentes affinités. Pour notre part, nous étions en discussion avec Navin Ramgoolam. Quand il nous a laissés tomber, j’ai senti une satisfaction chez nos sympathisants. Ils ont dit qu’ils étaient contents et qu’ils n’allaient pas gaspiller leurs votes. L’autre constat est que maintenant, les gens votent plus pour un candidat que pour un parti. Ils veulent des personnes valables et ne votent pas aveuglément. Dans un tel contexte, il y a toutes les chances qu’on se retrouve avec une coalition après les élections. Mais si par malheur, une alliance ou un parti arrivait à obtenir une majorité confortable, la politique de vengeance va continuer.

Que voulez-vous dire ?
On a vu ce qui s’est passé avec Navin Ramgoolam en 2014. Et on voit encore, comment pendant la campagne, chacun accuse l’autre de toutes sortes de choses. Si demain Pravind Jugnauth perd les élections et se retrouve lui aussi devant le tribunal pendant trois à quatre ans, on aura fait un retour en arrière. Maurice est un petit pays. On n’est pas là pour passer son temps à se venger de l’autre. Proposez plutôt aux Mauriciens des solutions à leurs problèmes. Dans mon quartier, à Plaisance, la drogue fait des ravages. Il y a la misère, la souffrance des gens est terrible. Il y a des filles qui travaillent comme bonnes à 13 ans. Alors quand on vient dire que nous sommes un high income country, c’est tout à fait faux.

Il y a aussi dans ces élections une émergence de nouveaux partis, voulant faire de la politique autrement. Qu’en pensez-vous ?
Je suis personnellement surpris du nombre de partis qui se sont enregistrés. Mais je dois reconnaître également qu’il y a beaucoup qui sont là pour faire pression, sans vraiment avoir les capacités d’entrer dans une élection. Peut-être qu’il y a un ou deux qui peuvent se démarquer. En 2014, il y avait 14 partis, à côté des deux alliances. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Un parti comme Rezistans ek Alternativ avait récolté 23 000 votes, soit 2% de l’électorat. C’est pour cela que je considère que c’est une bêtise de venir contester la déclaration ethnique, quand on ne représente que 2%. Pourquoi imposer cela sur la société ?
En 2014, il y avait un mini-amendement, permettant de ne pas déclarer sa communauté. Des 692 candidats, 216 ne l’ont pas fait, mais 476 ont choisi de mentionner leur communauté dont Paul Bérenger, Navin Ramgoolam et sir Anerood Jugnauth. De ceux qui n’ont pas déclaré, six seulement ont été élus. Si la réforme électorale avait été votée, cela aurait causé la mort des minorités. Car si je me base sur les dernières élections où il y avait 14 partis et deux grands blocs, les 12 autres partis ensemble n’auraient pas eu un député sous la proportionnelle. Je l’ai déjà dit et je le redis : le Best Loser System assure la représentation des minorités et l’harmonie dans le pays. Il y a d’autres façons de régler le problème des communautés. Cela dit, Les Verts fraternels n’ont pas l’intention de réduire la campagne au débat sur la déclaration ethnique ou à la pension de vieillesse.

Quelles sont les priorités pour vous ?
D’abord, il faut prendre conscience que nous sommes dans une situation d’urgence climatique. Nous nous retrouvons avec deux clans à l’international, soit l’extrême droite avec Donald Trump qui veut faire croire que le réchauffement climatique est une invention des scientifiques. On prône une exploitation des ressources à outrance. Même l’Inde avance dans cette direction. Ensuite, il y a la droite et la gauche, qui sont des hypocrites. Ils savent très bien ce qui se passe, mais ils ne font rien. Il est important qu’on prenne conscience du danger. Comment un pays comme Madagascar, qui était supposé être le grenier de l’océan Indien, connaît la famine aujourd’hui ?
On ne doit pas se contenter de construire des hôtels et villas pour milliardaires. À l’Onu, Maurice est dans la catégorie des victimes. Mais que fait-on dans la pratique ? Est-ce seulement pour bénéficier de financement ? Le pays aurait dû diversifier son agriculture afin de nourrir son peuple et non pas se contenter de planter la canne à sucre. Il y avait des terrains mis à notre disposition au Mozambique et à Madagascar. On aurait pu s’en servir pour planter des légumes, mais on préfère continuer à en importer. Idem pour les produits de la mer. Quand j’étais ministre de la Pêche en 2005, la production de poisson était de 25 000 tonnes et on en importait 15 000 tonnes. Mais aujourd’hui, on importe plus que ce qu’on produit.
Quand on vient parler d’économie bleue, je me demande ainsi à quoi on pense. Au pétrole ? Aux énergies fossiles ? À ce sujet, nous sommes en faveur d’une réduction des importations de voitures à Maurice. C’est pour cela que nous sommes en faveur du métro léger. C’était d’ailleurs dans notre programme. Il faut des rues piétonnes, des pistes cyclables, pas seulement des routes pour les voitures. Il faut mettre les arrêts d’autobus plus loin, pour encourager les gens à marcher. Il faut également prévoir des journées sans voitures.

Et la compensation aux descendants d’esclaves ?
La compensation est au centre de notre action. C’est ainsi dans notre programme sous l’item justice sociale. Aujourd’hui, quatre ans après notre grève de la faim, nous avons pu mettre sur pied une Green Reparation Foundation. Tout l’argent sera versé dedans. Cependant, il y a beaucoup de difficultés. Cela fait trois mois que nous nous battons contre une banque commerciale pour ouvrir un compte bancaire. Pourtant, la fondation est dûment enregistrée. Il y a beaucoup de personnes qui veulent nous aider. Nous comptons engager des discussions avec les pays colonisateurs : la France, l’Angleterre et les Pays-Bas. L’État mauricien devrait agir comme facilitateur.

Comment comptez-vous procéder par la suite ?
Il n’est pas question de distribuer de l’argent aux gens, mais d’identifier les personnes dans le besoin pour leur venir en aide. Il faut d’abord un recensement approprié. Le gouvernement dit qu’il y a 11 000 familles sous le seuil de pauvreté. Si on compte cinq personnes par famille, cela ferait 55 000 personnes sous le seuil de pauvreté. C’est un mensonge. Cela voudrait dire que nous sommes plus avancés que les États-Unis. Un recensement sur les critères sociaux permettrait de savoir qui mérite une maison ou pas. Voyons ce qui se passe dans les cités aujourd’hui. Des générations vivent dans la même maison. Au lieu de construire des Smart Cities, on aurait dû construire des maisons pour la population et surtout pa get figir !
Il y a aussi la question de l’éducation. Nous sommes en faveur des boarding schools. Nous pensons qu’il faut retirer les jeunes de leurs milieux pour qu’ils puissent apprendre. Autrement ce n’est pas évident. L’accent doit également être mis sur la formation technique. La réparation, c’est pour tout cela. Et pour aider à créer des métiers, des entreprises. Non pas pour manze bwar.

Vous avez été parmi les premiers à vous battre pour la rétrocession des Chagos. Quels sont vos sentiments après la victoire à La Haye ?
Je suis très satisfait que ce que nous réclamions dans les années 75-76 soit devenu réalité. Aujourd’hui, on est sûr que si le Labour Party gagne les élections en Angleterre, Maurice retrouvera sa souveraineté sur les Chagos. Dieu sait combien d’énergie on a dépensé pour que les Chagos viennent à l’agenda politique. Il en est de même pour la réparation. Je voudrais terminer ce combat car je ne vois personne s’intéresser à ça. Ou alors, on risque de faire un hijacking et le mener dans un autre chemin. C’est pour cela que je me bats.

Propos recueillis par Géraldine Legrand

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