Vishnu Lutchmeenaraidoo : un fantôme est passé

  • Celui qui n’avait obtenu qu’un rôle de figurant dans l’aventure semée d’embûches de Lepep a finalement choisi de quitter la scène
  • Mais il le fait sur un coup d’éclat qui brouille le scénario bien écrit de Pravind Jugnauth

Il menaçait déjà de partir en avril 2016 lors de la première crise gouvernementale autour de l’Euroloan qui l’avait opposé à son collègue Roshi Bhadain qu’il accusait, dans un affidavit, d’user des méthodes du “KGB” pour l’atteindre. Vishnu Lutchmeenaraidoo soupçonnait la nouvelle coqueluche du Sun Trust et grand protégé de Sir Anerood Jugnauth de vouloir lui prendre sa place, les Services financiers étant trop minuscules pour sa carrure. Roshi Bhadain parti, lorsque les Finances furent attribuées au successeur de SAJ, Pravind Jugnauth, les déboires de Vishnu Lutchmeenaraidoo ne se sont pas atténués. Bien au contraire, celui qui n’avait obtenu qu’un rôle de figurant dans l’aventure semée d’embûches de Lepep a finalement choisi de quitter la scène. Un fantôme est passé…
Eh oui, le passage de Vishnu Lucthmeenaraidoo au sein de l’équipe Lepep aura été vraiment fantomatique. Inexistant, pesant de peu de poids au sein du gouvernement, rétrogradé des Finances aux Affaires étrangères, un bref retour dans les arcanes du Sun Trust compliqué, une absence de la circonscription qu’il avait représentée pour la première fois et, probablement la dernière, il a, en fait, collectionné tous les ingrédients qui ont le jeudi 21 mars conduit à une double démission, comme ministre et comme député.

- Publicité -

Il n’est pas nécessaire de revenir de manière élaborée sur la carrière très singulière de Vishnu Lutchmeenaraidoo, de ses débuts de fonctionnaire au Commerce au début des années 1980, de sa collaboration au MMM et de son engagement officiel chez les mauves avec une participation réussie aux élections de juin 82. Les problèmes commencent avec le 60/0 de l’alliance MMM/PSM.
Si Paul Bérenger est aux Finances, la promesse d’une réduction des ministres de 21 à 18 laisse peu de marge de manoeuvre pour caser le député du No 13, Rivière-des-Anguilles/ Souillac. Son ami, secrétaire général du MMM, songe un temps à créer un ministère du Budget pour l’épauler aux Finances, mais SAJ n’est pas partant.

Le rêve réalisé de 1983

Son rêve sera pourtant vite réalisé, puisqu’après la cassure du gouvernement, le 22 mars 1983, celui qui dit son attachement à son parti rejoint le MSM contre une offre d’occuper les Finances. Un poste qu’il occupera après les élections d’août1983 dans le cadre d’une alliance MSM/PTr/PMSD.
Il profite des mesures difficiles et courageuses de son prédécesseur, l’éphémère Bérenger, pour réaliser ce qui a été appelé le “miracle économique”, ce qu’un des protagonistes de l’époque, Jean Claude de l’Estrac, a remis dans sa juste perspective dans son tout dernier livre “Ennemis Intimes”.
Vishnu Lutchmeenaraidoo rempile en 1987 et retrouve son poste de prédilection, les Finances, mais pique une grande crise lorsque la bande à Nababsing, de l’Estrac, Uteem et d’autres entre en négociations avec SAJ pour contracter une alliance, le Premier ministre d’alors étant assez exaspéré par les agissements du PTr et, surtout, du PMSD.
Lui, Vasant Bunwaree, Ajay Dabee et Dinesh Ramjuttun démissionnent avec fracas à la conclusion de l’alliance. Il créé son parti, le Mouvement démocrate libéral, change de circonscription, décide de s’aligner au No 18 avec le soutien en sous-marin du PTr, mais il fait pâle figure contre le trio Rama Sithanen-Kailash Ruhee-Michael Glover.

Il se met en retrait de la politique pendant un temps préférant se consacrer à ses affaires personnelles, mais revient dans le giron du MSM en 1998, après la débâcle de l’autre 60/0 de décembre 1995 de l’alliance PTr/MMM et se déclare grand partisan de la “réconciliation de la grande famille militante”.
Sil n’est pas de l’équipée de septembre 2000 qui voit le triomphe du tandem SAJ/Bérenger, Vishnu Lutchmeenaraidoo sera néanmoins nommé à la tête d’un comité qui se penche sur le développement du numérique et qui deviendra BPML, mais il démissionne quelque temps après des différends avec le DPM et ministre des Finances d’alors, Paul Bérenger.

En 2005, il tente un rapprochement avec Navin Ramgoolam et sa grande “alliance sociale” de sept partis pour briguer les suffrages, mais le jour de la présentation des candidats, le leader du PTr lance une pique dans la direction de Vishnu Lutchmeenaraidoo disant qu’il n’est pas sur la liste parce qu’il est en “pleine méditation”.

Briser les tabous

En 2007, après avoir décrété qu’il fallait briser les tabous et des mois de “Koze-kozé”, Alan Ganoo le ramène au bercail mauve et son leitmotiv alors est que seul Paul Bérenger est apte à diriger le pays et qu’il ne devrait pas en être empêché à cause de son profil.

Les retrouvailles se déclinent sur le registre de l’émotion, l’alchimie avec le leader mauve semble tout à fait sincère. Il est candidat du MMM avec Zouberr Joomaye au No 13, en 2010, mais ils ne sont pas élus.
Lorsque les pourparlers avec les travaillistes atteignent un stade avancé en 2014, Vishnu Lutchmeenraidoo se déclare tout à fait hostile à une alliance avec les rouges. Il part non sans avoir été salué et par Paul Bérenger et par Navin Ramgoolam.

Mais après avoir annoncé son retrait de la politique, voilà qu’on le retrouve pourtant dans Lalians Lepep avec SAJ, le tandem étant vendu comme celui qui va réaliser le “deuxième miracle économique”. Ils sont élus, et Vishnu Lutchmeenaraidoo devient ministre des Finances, mais les choses ne se passent pas du tout comme prévu.

Les cadeaux promis sont bien distribués, le budget est présenté, mais les choses se compliquent assez vite pour le Grand Argentier qui se retrouve avec un Premier ministre moins impliqué et des collègues du MSM, dont Roshi Bhadain, omnipotent avec son Heritage City, qu’il connaît à peine.
Alors que lui, il s’était entouré de sa vieille et fidèle garde, comme Ramesh Basant Roi et d’autres qui exerçaient très peu d’influence au MSM nouveau, version fils. Le scénario du déraillement était écrit.

Le plein soutien de Pravind Jugnauth

Alors que le ministre des Finances était choisi pour piloter le projet de ville administrative de Highlands, Roshi Bhadain obtenait le feu vert de SAJ pour conduire son Heritage City à Minissi. Les relations, qui étaient au beau fixe lorsque tout le gouvernement se liguait pour liquider la BAI, vont se détériorer à une vitesse vertigineuse.

Les dossiers qui vont éventuellement atterrir dans le “cloud” vont commencer à sortir un par un à partir de mars 2016, à la même époque que l’affaire Bal Kuler de Raj Dayal. Il y a d’abord le fameux Euroloan de 1 million d’euros, pour spéculer sur les cours de l’or, contracté à la SBM qui est sous la tutelle des Finances. Mais ce n’est pas le seul fait incongru du dossier.

Le Credit Committee qui approuve ce prêt assorti d’un taux d’intérêt de 1,9% a pour membre Vivekanand Lochun, un partisan du MSM du No 7 qui siège également au conseil d’administration de la SBM et qui en plus d’agir comme le conseiller en informatique de Vishnu Lutchmeenaraidoo est aussi président du Sugar Industry Fund Board jusqu’au remue-ménage de fin 2018.

Le fameux prêt occupe la une des journaux, le ministre qui est dans le viseur de l’ICAC, dirigé par Kaushik Goburdhun, le cousin par alliance de Roshi Bhadain, s’empare du dossier et démarre les investigations. Au même moment est aussi révélé le fait que le fils du ministre des Finances, Ashwin Lutchmeenaraidoo a, lui aussi, bénéficié d’un contrat de complaisance avec cette même SBM.

Le ministre, qui attrape une bronchite et qui ne se présente plus à son bureau, se fait attendre au siège de l’ICAC et finit par s’y rendre, non sans avoir juré un affidavit pour dénoncer les méthodes de son collègue Roshi Bhadain.
SAJ, qui soutient totalement son “deuxième fils” Roshi, ne veut plus entendre parler de Vishnu Lutchmeenaraidoo, surtout après que ce dernier a prétendu l’avoir informé de son prêt, ce que dément catégoriquement le Premier ministre.
Si les choses se gâtent pour de bon entre SAJ et son ministre des Finances, celui-ci bénéficie du plein soutien de Pravind Jugnauth et de son épouse qu’il remerciera chaleureusement.

Alors que SAJ veut se débarrasser de son ministre des Finances et mettre à sa place son protégé Roshi Bhadain, Pravind Jugnauth reprend les choses en main, négocie une mutation pour Vishnu Lutchmeenaraidoo aux Affaires étrangères et prend le relais des Finances de son père, lorsque la Cour suprême le disculpe dans l’affaire Medpoint. Au grand dam de Roshi Bhadain.

Les enquêtes de l’ICAC terminées, le dossier est transmis au bureau du DPP en novembre 2016. Fait important à souligner, la direction de l’ICAC a changé. Depuis juillet 2016, c’est Navin Beekarry qui dirige l’organisme. Déjà, dans ses propres conclusions transmises au DPP, l’ICAC dit ne pas avoir suffisamment de preuves pour incriminer le ministre Lutchmeenaraidoo.

Le DPP va dans le même sens que l’ICAC, mais il demande à la Banque de Maurice, toujours dirigée en avril 2017 par Ramesh Badant Roi, de se pencher sur une possible infraction à la Bank of Mauritius Act et autres textes bancaires, mais personne n’a jamais su si la Banque centrale avait donné des suites aux suggestions du bureau du DPP.
Ecarté du dossier Chagos

A partir de là, déjà une ombre au sein de l’équipe gouvernementale, le chef de la diplomatie mauricienne va se rendre encore plus invisible. Il n’est pas de l’équipe qui est en première ligne sur le dossier des Chagos. Il en est expressément écarté par SAJ.
Sa situation devenait de plus en plus intenable, les humiliations s’enchaînant et le ras-le-bol à son comble, Vishnu Lutchmeenaraidoo va concocter froidement son plan de revanche et organiser sa sortie. Dans la dernière ligne droite de la présente mandature.
Même si c’est aux antipodes du comportement diplomatique, c’est le 13 mars devant un invité étranger, le président malgache, que le ministre va choisir de lancer son premier missile et procéder à une attaque frontale contre le PM et ministre des Finances Pravind Jugnauth et ses prédécesseurs.
Il rappelle que le pays fait une moyenne de 3% de croissance depuis dix ans, que tout le monde s’en flatte et s’enflamme et que, lui, il en a honte ! Il en profite pour déplorer que le projet de port de pêche qui lui est cher ne soit pas encore concrétisé et que l’économie bleue ne soit qu’une chimère. Des claques à tout vent !

Le propos provoque une onde de choc au sein du gouvernement. Le Premier ministre est furieux, mais il quitte le pays le même jour pour un long périple. Cette situation fait l’affaire de Vishnu Lutchmeenaraidoo.
Lâché par père et fils, il profitera de leur double absence, dont celle insoupçonnée du mentor, pour leur infliger un camouflet, celui de présenter une démission en tant que ministre et député.

Il sait le Premier ministre extrêmement frileux sur la question des partielles. Il se rappelle son forfait au No 18 et il est au courant des nombreuses tractations en coulisses pour éviter qu’il y en ait. Comme la rétrogradation de SAJ pour ne pas avoir à organiser une élection partielle au No 7, comme le maintien cher payé d’un grand nombre d’indélicats au lieu de les faire partir.
S’il a longtemps subi en silence, il a choisi de sortir sur un coup d’éclat. Qui brouille le scénario bien écrit par Pravind Jugnauth. La vengeance est vraiment un plat qui se mange froid !

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -